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04/04/2001 | LUXEMBOURG | N°12577

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 avril 2001, 12577


Tribunal administratif N° 12577 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par les époux … BABIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12577 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2000, par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocat

s à Luxembourg, au nom des époux … et … BABIC-…, nés respectivement les … et … à Bérane (Yougosla...

Tribunal administratif N° 12577 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par les époux … BABIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12577 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2000, par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … et … BABIC-…, nés respectivement les … et … à Bérane (Yougoslavie), agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants E. et E., respectivement nés les … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L- … , tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 3 octobre 2000, notifiée le 8 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu la lettre du 17 janvier 2001 de Maître Jean-Georges GREMLING déposée le lendemain 18 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif, par laquelle il informe le tribunal de ce que ses mandants ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Monique CLEMENT, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 31 mai 1999, les époux … et … BABIC-…, préqualifiés, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants E. et E., introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des 1 réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux BABIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément le 1er juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 3 octobre 2000, notifiée le 8 novembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux BABIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Monsieur, vous exposez que vous auriez reçu deux convocations pour effectuer la réserve. Vous les auriez refusées et vous risqueriez par conséquent d'être traduit devant le tribunal militaire. Vous admettez ne pas être membre d'un parti politique. Vous dites enfin avoir été maltraité sans pour autant fournir d'autres explications. Vous ajoutez néanmoins que vous n'auriez pas été personnellement persécuté.

En ce qui vous concerne, Madame, vous déclarez ne pas être membre d'un parti politique. Vous auriez quitté votre pays d'origine en raison du conflit armé et en raison de l'appel à la réserve de votre mari. Enfin, vous admettez ne pas avoir personnellement subi de persécutions.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, la seule crainte de peines du chef d'insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu'elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d'être victime de persécutions au sens de la prédite Convention. De même, alors qu'une situation de paix s'est établie dans votre pays d'origine, il n'est pas établi que l'appartenance à la réserve de l'armée yougoslave imposerait à l'heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Quant à vous, Madame, vous n'invoquez que des motifs d'ordre personnel sans citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous admettez d'ailleurs vous-même ne pas avoir été personnellement persécutée.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

2 Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 8 décembre 2000, les consorts BABIC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 3 octobre 2000.

QUANT A LA COMPETENCE DU TRIBUNAL ET A LA RECEVABILITE DU RECOURS Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

QUANT AU FOND Les demandeurs font exposer qu’ils seraient nés à Bérane au Monténégro, que la situation générale existant au Monténégro serait toujours précaire et qu’un risque de nouvelles tensions persisterait toujours, que Monsieur BABIC aurait fait son service militaire de 1988 à 1989, qu’il aurait reçu deux convocations pour faire la réserve militaire, mais qu’il n’aurait pas donné suite auxdites convocations au motif qu’il refuserait de se battre contre d’autres musulmans, qu’il craint d’être traduit devant un tribunal militaire et qu’il a peur qu’une nouvelle guerre éclate au Monténégro, qu’il n’est pas membre d’un parti politique et que Madame BABIC-… craint de retourner au Monténégro « à cause de la convocation à la réserve de son mari et à cause de la religion ».

Sur ce, ils estiment qu’ils feraient valoir des craintes justifiées de persécution en raison de leur religion, de leur appartenance à un groupe social et de leurs opinions politiques, justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts BABIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux BABIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 1er juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’insoumission, principal motif de persécution allégué, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur BABIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur BABIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

4 Ensuite, concernant la situation des demandeurs dans leur pays d’origine en raison de leur religion musulmane, il est vrai que la situation générale des musulmans au Monténégro est difficile, mais elle n’est cependant pas telle que tout musulman du Monténégro, du seul fait de sa religion, aurait raison de craindre la persécution de la part des autorités en place, et, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que les consorts BABIC-…, considérés individuellement et concrètement, risqueraient de subir des traitements discriminatoires en raison de leur religion musulmane ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé, de sorte que la crainte y afférente qu’ils ont exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 4 avril 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12577
Date de la décision : 04/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-04;12577 ?

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