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04/04/2001 | LUXEMBOURG | N°12563

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 avril 2001, 12563


Tribunal administratif N° 12563 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 décembre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par Monsieur …RAMCILOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12563 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2000 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à

Luxembourg, au nom de Monsieur … RAMCILOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), sans état parti...

Tribunal administratif N° 12563 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 décembre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par Monsieur …RAMCILOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12563 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2000 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RAMCILOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), sans état particulier, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 août 2000, notifiée le 19 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 8 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu la constitution de nouvel avocat du 13 mars 2001 par laquelle Maître Guy LOESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclare qu’il a mandat d’occuper et qu’il occupe pour le demandeur en remplacement de Maître Jean-

Marie BAULER, préqualifié;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Claudine ELCHEROTH, en remplacement de Maître Guy LOESCH, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 10 mai 1999, Monsieur … RAMCILOVIC, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, 1 fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur RAMCILOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur RAMCILOVIC fut en outre entendu le 13 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 11 août 2000, notifiée le 19 septembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur RAMCILOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que dix-sept jours avant votre arrivée au Luxembourg vous avez quitté, en compagnie de votre frère …, le Monténégro en bus pour vous rendre à Sarajevo où vous êtes restés deux nuits. Vous avez ensuite transité par la Croatie, la Slovénie, l’Autriche et l’Allemagne, en partie à pied, en partie à bord de différents véhicules, pour finalement arriver au Luxembourg tôt dans la matinée du 10 mai 1999.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.

Vous exposez que vous avez reçu deux appels pour la réserve, l’un fin mars, l’autre début avril 1999. Vous ne vous êtes pas présenté parce que vous ne vouliez pas aller à la guerre pour tuer “ des gens de votre pays ”. Et puis vous aviez peur d’être tué vous-même.

Maintenant vous avez peur de retourner dans votre pays parce que vous craignez d’être emprisonné pour insoumission.

Vous déclarez par ailleurs que vous avez quitté votre pays à cause du climat nationaliste qui y règne en général et en raison de la politique discriminatoire exercée à l’égard des musulmans en particulier. Ainsi vous prétendez que l’accès aux emplois et aux études supérieures est barré aux musulmans auxquels les Serbes interdisent également de pratiquer leur religion en liberté et dignité.

Concernant le premier motif invoqué à l’appui de votre demande d’asile, à savoir la peur d’une sanction pénale pour insoumission, je souligne que la crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. J’ajoute que le conflit armé entre l’ex-Yougoslavie et le Kosovo est terminé et que la paix règne dans la région. Il n’est pas établi que l’accomplissement du service militaire au sein de l’armée yougoslave imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

En ce qui concerne la situation particulière des ressortissants de confession musulmane au Monténégro, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation 2 individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquez d’être persécuté pour un des motifs énumérés par la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre du 18 octobre 2000, réceptionnée le lendemain, 19 octobre 2000, au ministère de la Justice, Monsieur RAMCILOVIC introduisit, par le biais de son mandataire de l’époque, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 11 août 2000.

Par décision du 8 novembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 7 décembre 2000, Monsieur RAMCILOVIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 11 août et 8 novembre 2000.

QUANT A LA COMPETENCE DU TRIBUNAL ET A LA RECEVABILITE DU RECOURS Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

3 QUANT AU FOND A l’appui de son recours, Monsieur RAMCILOVIC expose être de confession musulmane et avoir vécu à Lagatore au Monténégro, ville dont la population serait majoritairement composée de Serbes et qu’après avoir reçu, en mars et avril 1999, deux convocations pour faire la réserve militaire, il aurait quitté son pays, ensemble avec son frère Sadat, pour éviter de devoir participer à la guerre qui sévissait au Kosovo.

Sur ce, il reproche au ministre de la Justice d’avoir méconnu les dispositions de la Convention de Genève et d’avoir commis une erreur d’appréciation, au motif que sa situation individuelle serait telle qu’il serait exposé à un risque de persécution au sens de la Convention de Genève. Dans ce contexte, il invoque, d’une part, son état d’insoumission, qui l’exposerait à un risque de subir une peine pénale sévère ainsi que des mauvais traitements et, d’autre part, sa religion musulmane, dont les croyants feraient l’objet d’agressions physiques graves au Monténégro par les Serbes.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur RAMCILOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur RAMCILOVIC lors de son audition en date du 13 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social 4 ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur RAMCILOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur RAMCILOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite, concernant le second motif de persécution allégué, à savoir la religion musulmane du demandeur, il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur RAMCILOVIC risque de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion musulmane ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé, de sorte que la crainte y afférente qu’il a exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 4 avril 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12563
Date de la décision : 04/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-04;12563 ?

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