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04/04/2001 | LUXEMBOURG | N°12558

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 avril 2001, 12558


Tribunal administratif N° 12558 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 décembre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par les époux … BANDIC et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12558 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à

Luxembourg, au nom de Monsieur … BANDIC, né le … à Sjenica (Serbie), et de son épouse, Madame …, née le … ...

Tribunal administratif N° 12558 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 décembre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par les époux … BANDIC et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12558 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BANDIC, né le … à Sjenica (Serbie), et de son épouse, Madame …, née le … à Sjenica, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 18 août 2000, notifiée le 13 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 8 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2001 au nom des demandeurs;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Stéphanie JACQUET, en remplacement de Maître Luc SCHANEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Les 14 et 22 décembre 1998, respectivement Monsieur … BANDIC et son épouse, Madame …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice deux demandes en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la 1 Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux BANDIC-… furent entendus en date des mêmes jours, à savoir respectivement les 14 et 22 décembre 1998, par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 25 juin 1999, les époux BANDIC-… furent en outre entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile. Monsieur BANDIC fit encore l’objet d’une audition supplémentaire en date du 17 mai 2000.

Par décision du 18 août 2000, notifiée le 13 septembre 2000, le ministre de la Justice informa les consorts BANDIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous, Monsieur, vous auriez quitté la Yougoslavie le 28 août 1998.

Madame, vous avez quitté la Yougoslavie le 13 décembre 1998 pour arriver au Luxembourg le 19 décembre 1998 vers 19.00 heures.

Monsieur, vous exposez avoir été simple membre du SDA. Vous auriez participé aux meetings qui se tenaient mensuellement.

Vous expliquez vouloir une autorisation de séjour et la possibilité de pouvoir travailler comme agriculteur. La situation économique en Yougoslavie serait très mauvaise.

Vous déclarez avoir reçu deux convocations pour aller à la réserve. Vous ne vous seriez pas présenté suite à ces convocations.

Vous indiquez lors de votre audition du 25 juin 1999 avoir été condamné à une peine d’emprisonnement de 3 ans à cause d’une altercation dans un bar avec des membres de partis politiques serbes.

Lors de votre audition du 17 mai 2000 vous parlez cependant d’une condamnation à une peine d’emprisonnement de 1 an et 6 mois.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous indiquez avoir peur en raison de votre religion musulmane, sans préciser ce qui vous ferait peur.

Force est cependant de constater que vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vous versez un document à votre dossier que vous qualifiez de jugement de condamnation. Vous déclarez vous-même ignorer s’il s’agit d’un original ou d’un faux.

2 Il faut remarquer que ce document intitulé “ Ordonnance ” est dactylographié en bas d’une page de format DIN A4, ce qui est absolument inhabituel pour des ordonnances rendues par des tribunaux de la Serbie. Ce document est par conséquent d’une origine douteuse.

En plus, même à supposer qu’il s’agisse d’un original, cette ordonnance n’indique aucunement que vous auriez été condamné pour des motifs politiques.

Rien n’indique que vous auriez été dans une position spécialement exposée en raison de vos activités politiques. Vous avez déclaré n’avoir été qu’un simple membre du SDA.

En outre, il ressort de vos déclarations, Madame, que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de votre religion musulmane. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. ».

Par lettre datée du 12 octobre 2000, les époux BANDIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 18 août 2000.

Par décision du 8 novembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 7 décembre 2000, les époux BANDIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 18 août et 8 novembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils sont des « musulmans bosniaques », que Monsieur BANDIC aurait été un membre actif du parti d’opposition « SDA », qu’en raison de son appartenance, il aurait fait l’objet d’un mandat d’arrêt suite à une condamnation prononcée par un tribunal serbe à une peine d’emprisonnement d’une année et six mois pour « délit de vexation à l’égard des Serbes », que les faits à la base de cette condamnation auraient été « une altercation (…) dans un café à Sjenica au cours du mois de juin 1998 (…) entre des partisans serbes et des musulmans dont le requérant », que cette altercation aurait été provoquée par les Serbes et se serait terminée par une bagarre.

3 En outre, Monsieur BANDIC aurait reçu deux convocations pour faire la réserve militaire, que craignant pour sa vie et ne désirant pas se battre, il aurait préféré se réfugier à Sarajevo et qu’à l’heure actuelle, il serait passible de lourdes peines pour insoumission.

Ils estiment que le fait d’être marié à un opposant actif et un insoumis de l’armée, ensemble sa religion musulmane exposerait également Madame … à des risques de persécution.

Sur ce, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise appréciation de leur situation personnelle et ils concluent à la réformation des décisions litigieuses, au motif qu’ils rempliraient les conditions d’octroi du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux BANDIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Le délégué conteste plus particulièrement l’authenticité de l’ordonnance produite par les demandeurs qui se réfèrent à un jugement de condamnation du 4 février 1997.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs réaffirment l’authenticité de ladite pièce et, pour le cas où ladite pièce soulèverait des doutes quant à son authenticité, ils demandent au tribunal de procéder à une mesure d’instruction ou de solliciter un complément d’instruction de la part des autorités luxembourgeoises.

Le délégué du gouvernement fait état de problèmes techniques et autres mettant les autorités luxembourgeoises dans l’impossibilité de fournir des éléments supplémentaires en rapport avec ladite question d’authenticité. En outre, il estime que les demandeurs ne chercheraient qu’à gagner du temps et il demande au tribunal de statuer sur base des éléments d’information qui sont à sa disposition.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, sur base des éléments du dossier et sans qu’il soit nécessaire de recourir à des vérifications ou mesures d’instructions supplémentaires, l’examen des déclarations faites par Monsieur BANDIC et son épouse, Madame …, lors de leurs auditions respectives en date des 25 juin 1999 et 17 mai 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les trois comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des 4 procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant le motif de persécution fondé sur les opinions politiques de Monsieur BANDIC, il convient en premier lieu de relever que, si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, la simple qualité de membre à elle seule est insuffisante pour justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, en l’espèce, le demandeur n’allègue, ni, a fortiori, n’établit pas avoir joué un rôle actif au sein du SDA et le simple fait d’avoir participé à des réunions ou manifestations, en l’absence de circonstances particulières, n’est pas suffisant pour établir une crainte légitime de persécution de ce chef.

Concernant la condamnation à une peine de prison à la suite d’une « altercation » avec des Serbes en raison de son appartenance au SDA, le tribunal constate différentes divergences dans les déclarations et pièces des demandeurs. Dans ce contexte, il convient notamment de relever que lors de sa première audition en date du 25 juin 1999, Monsieur BANDIC a fait état d’une prétendue condamnation à trois ans de prison, tandis que lors de son audition complémentaire, en date du 17 mai 2000, pièce à l’appui, il fait état d’une condamnation à un an et demi d’emprisonnement. Par la suite, aucune explication n’a été fournie en rapport avec cette discordance sensible quant à la durée de la prétendue condamnation et il est difficilement concevable qu’un demandeur d’asile puisse oublier ou se méprendre sur une donnée factuelle d’une telle importance. Ensuite, dans ses déclarations, le demandeur situe les faits en rapport avec son altercation avec des Serbes qui seraient à la base de sa condamnation au mois de juin 1998, alors que la pièce produite, à savoir une ordonnance portant un numéro de référence IK-

9/97, en vue de son arrestation pour purger sa peine, se réfère à un jugement du 4 février 1997.

Or, cette incohérence entre la date du jugement et les faits poursuivis, ces derniers étant postérieurs en date par rapport au jugement, n’a pas été expliquée ni même contestée par le demandeur, qui, par ailleurs, séjournait à Luxembourg entre août 1995 et décembre 1997.

C’est donc à bon droit que le ministre de la Justice ainsi que le délégué du gouvernement mettent en doute l’authenticité de ladite pièce. En outre, il convient de retenir que les contradictions ci-avant relevées ne sont pas de nature à conforter la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Sur base des considérations qui précèdent le tribunal arrive à la conclusion que les demandeurs n’ont pas fait état, de façon suffisamment pertinente et crédible, d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, en raison de l’appartenance au parti « SDA » de Monsieur BANDIC.

Concernant l’insoumission alléguée de Monsieur BANDIC, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des époux BANDIC-…, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, 5 d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni que Monsieur BANDIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur BANDIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite, il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur BANDIC ou son épouse, Madame … risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur religion musulmane ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé.

Enfin, les demandeurs restent également en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de s’installer dans une autre région ou province de la Yougoslavie, notamment au Monténégro, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 4 avril 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12558
Date de la décision : 04/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-04;12558 ?

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