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04/04/2001 | LUXEMBOURG | N°12369

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 avril 2001, 12369


Tribunal administratif N° 12369 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par Monsieur … AGOVIC, ….

contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12369 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Pol URBANY, a

vocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des ...

Tribunal administratif N° 12369 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par Monsieur … AGOVIC, ….

contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12369 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à Berane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- …. , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 juin 2000, notifiée en date du 31 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en ses plaidoiries à l’audience publique du 19 mars 2001.

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Le 5 mai 1999, Monsieur … AGOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

1 Monsieur AGOVIC fut entendu en date du 9 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 16 juin 2000, notifiée le 31 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur AGOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations qu’environ dix jours avant votre arrivée au Luxembourg, vous avez quitté Rozaje en taxi, en compagnie de votre frère Sanel, pour vous rendre à Podgorica. Ensuite vous avez pris le bus pour Sarajevo en Bosnie. A bord de différents camions, vous avez ensuite transité par la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver au Luxembourg le 5 mai 1999. Vous dites avoir traversé deux ou trois frontières à pied et que la nuit vous avez dormi dans la forêt. Vous ne pouvez pas donner d’autres détails sur le chemin emprunté. Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour même.

Vous exposez que vous n’avez pas encore fait votre service militaire. Bien qu’ayant passé le contrôle médical, vous n’avez pas encore eu d’appel pour l’armée. Mais comme tous vos amis ont reçu des lettres de convocation, vous avez préféré fuir avant que la guerre éclate au Monténégro.

Vous affirmez par ailleurs ne pas être membre d’un parti politique, mais qu’aux dernières élections vous avez voté pour Djukanovic. Vous déclarez que vous n’avez personnellement jamais subi des persécutions.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi la crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…). » Par courrier de son mandataire datant du 30 août 2000, Monsieur AGOVIC a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prérelatée. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice datant du 6 septembre 2000, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle du 16 juin 2000 précitée.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

2 A l’appui de son recours, le demandeur expose être ressortissant yougoslave de confession musulmane et avoir quitté son pays d’origine en avril 1999, sans préjudice quant à la date exacte, en compagnie de son frère, donc à une époque où le conflit armé au Kosovo battait son plein. Il fait valoir que, dans la mesure où la police militaire serait passée à cette époque dans toutes les maisons de sa région afin de convoquer tous les hommes valides au service militaire, il aurait préféré s’enfuir plutôt que d’être enrôlé de force et de devoir servir un régime autoritaire dont il désapprouverait complètement la politique. Il estime que dans ces circonstances il serait manifeste qu’il risquerait, en cas de retour dans son pays d’origine, d’être traité de déserteur par les autorités serbes et de se voir citer de ce chef devant un tribunal militaire, de manière à risquer d’encourir une peine d’emprisonnement d’une durée pouvant aller jusqu’à dix ans et qui serait manifestement disproportionnée par rapport à la gravité réelle des faits que l’on pourrait lui reprocher. Il fait valoir par ailleurs qu’il risquerait d’être sujet à des persécutions sérieuses en cas de retour en raison de son appartenance à la minorité ethnique des « bojniaks » ayant la particularité d’être de confession musulmane tout en parlant le serbo-croate, étant donné que les autorités fédérales et monténégrines feraient régner un régime d’oppression et de discrimination à l’encontre de cette minorité.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur AGOVIC lors de son audition en date du 9 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une 3 crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef de Monsieur AGOVIC une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur AGOVIC risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur AGOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission, ainsi que des lois d’amnistie votées tant par le parlement du Monténégro que, plus récemment, par le parlement yougoslave visant toutes les deux les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Concernant plus particulièrement les arguments et déclarations faites par le demandeur tenant à son appartenance à la minorité bosniaque, force est de retenir qu’elles constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il fasse cependant état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Nonobstant le fait que le demandeur n’était pas représenté à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, l’affaire est jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure étant essentiellement écrite devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, 4 au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 4 avril 2001, par Monsieur Campill, premier juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12369
Date de la décision : 04/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-04;12369 ?

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