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04/04/2001 | LUXEMBOURG | N°11960

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 avril 2001, 11960


Tribunal administratif N° 11960 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 avril 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par la société anonyme …, … contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en présence de Monsieur … et consorts en matière de comité mixte d’entreprise

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 28 avril 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, insc

rit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son ...

Tribunal administratif N° 11960 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 avril 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par la société anonyme …, … contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en présence de Monsieur … et consorts en matière de comité mixte d’entreprise

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 28 avril 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 23 mars 2000 par laquelle … a été enjointe « de saisir le comité mixte d’entreprise avant de poser tout autre acte en relation avec la mise en œuvre du deuxième module de son projet de réorganisation des ressources humaines » ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Patrick HOSS, demeurant à Luxembourg, du 8 mai 2000, portant signification dudit recours à 1) Monsieur …, en sa qualité de directeur de l’Inspection du Travail et des Mines, avec siège à …, 2) Monsieur …, technicien, en sa qualité de secrétaire du comité mixte d’entreprise de …, demeurant à … et 3) Monsieur ZZZ, employé, en sa qualité de représentant du personnel au comité mixte d’entreprise de …, demeurant à …;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Gilbert RUKAVINA, demeurant à Diekirch, du 5 mai 2000, portant signification dudit recours à Monsieur XXX, employé, en sa qualité de représentant du personnel au comité mixte d’entreprise de …, demeurant à …;

Vu le mémoire en réponse déposé le 21 juillet 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges PIERRET, assisté de Maître Albert RODESCH, tous les deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de Messieurs …, ZZZ et XXX, préqualifiés :

Vu l’acte d’avocat à avocat du 20 juillet 2000 portant notification de ce mémoire en réponse à Maître Victor ELVINGER ;

2 Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 août 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2000 au nom de … ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Patrick HOSS, préqualifié, du 19 octobre 2000, portant signification dudit mémoire en réplique à Messieurs …, ZZZ et XXX, préqualifiés ;

Vu le mémoire en duplique déposé le 17 novembre 2000 par Maître Georges PIERRET, assisté de Maître Albert RODESCH, préqualifiés, pour le compte de Messieurs …, ZZZ et XXX, préqualifiés ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Roland FUNK, demeurant à Luxembourg, du 17 novembre 2000, portant signification dudit mémoire en duplique à … ;

Vu la note de plaidoiries supplémentaire déposée à la demande du tribunal le 23 janvier 2001 au nom de …;

Vu la note de plaidoiries supplémentaire déposée à la demande du tribunal le 2 février 2001 pour compte de Messieurs …, ZZZ et XXX, préqualifiés ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maîtres Serge MARX, en remplacement de Maître Victor ELVINGER, Pascale PETOUD, en remplacement de Maître Albert RODESCH, Gabrielle EYNARD, en remplacement de Maître Georges PIERRET, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER, en leurs plaidoiries respectives.

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En vue d’assurer une gestion plus efficace de ses ressources humaines, la société …, préqualifiée, avait chargé la société YYY de l’élaboration d’un projet à ce sujet.

Lors d’une réunion du comité mixte d’entreprise qui s’est tenue en date du 18 mai 1998, ses membres furent informés qu’un projet dans le domaine des ressources humaines avait été réalisé. Le projet, établi sous forme de 3 modules et dénommé « ressources humaines », fut présenté aux délégations du personnel le 3 juillet 1998, étant précisé que le 1er module du prédit projet intitulé « descriptions des fonctions » fut approuvé par eux le 13 juillet 1998. Le module 1 a trait à la description de 106 fonctions distinctes s’appliquant au personnel employé et de 15 fonctions s’appliquant au personnel ouvrier.

Dans un communiqué daté du 20 juillet 1998, … informa son personnel que lors « des dernières négociations salariales, la Direction a fait connaître aux délégations sa détermination de s’engager sur la voie d’une gestion plus efficiente des ressources humaines et ceci dans le respect des règles du jeu du partenariat social. En date du 3 juillet 1998, le service du personnel a présenté le projet de la description des fonctions aux membres des deux délégations. A la suite de l’accord des deux délégations sur la démarche et les limites de ce projet, nous nous permettons d’en présenter ci-après les détails et les implications. Il s’agit 3 d’un outil devant permettre de clarifier la structure d’organisation, de préciser les rôles et missions de chaque poste de travail et d’avoir une vue d’ensemble sur les fonctions existant dans notre société. L’objectif est de rendre l’organisation plus flexible par la compréhension du « qui fait quoi ». Les fiches de définition des fonctions sont en fait la base d’un projet d’organisation à travers lequel peuvent être mises en place une gestion prévisionnelle des emplois, une planification des besoins de formation et une définition cohérente de l’organigramme de la société ». Il y est encore notamment précisé que « tout membre du personnel, employé et ouvrier est concerné par le projet ».

Par lettre datée du 22 novembre 1999, les représentants du personnel au comité mixte d’entreprise de …, à savoir Messieurs …, ZZZ et XXX, préqualifiés, dénommés ci-après les « consorts … », se sont adressés au directeur de l’Inspection du Travail et des Mines, dénommé ci-après « le directeur », afin de le « saisir d’une divergence d’opinion qui [les] oppose aux membres du comité de direction au sujet des attributions du comité mixte d’entreprise, conformément à la loi du 6 mai 1974 ».

Dans la prédite lettre, ils exposent qu’en date du 3 juillet 1998, le service du personnel de … aurait présenté aux deux délégations du personnel (ouvriers et employés) un projet appelé « ressources humaines », composé de trois modules distincts, à savoir, le module 1 concernant la description des fonctions, le module 2 concernant la classification de chaque fonction et le module 3 concernant l’appréciation et l’évaluation personnelle de chaque salarié, qu’ils auraient approuvé en date du 13 juillet 1998 la mise en œuvre du module 1, que le représentant du service du personnel leur aurait confirmé que la poursuite du projet avec les modules 2 et 3 serait également soumis à leur approbation, que néanmoins, lors de la dernière réunion du « comité de pilotage », le côté patronal les aurait informé qu’il passerait au module 2 (classification et hiérarchisation) « de quelques 22 fonctions du personnel employé, dits « hors cadre », (des employés de niveau universitaire, ingénieur technicien et BAC), sans l’accord des représentants du personnel au comité mixte d’entreprise ».

Les prédits représentants du personnel concluent de ce qui précède que « le module 2 du projet « ressources humaines » tombe dans le champ d’application de l’article 7(4) de la loi précitée sur les comités mixtes, disposant que « le comité mixte d’entreprise a compétence de décision en ce qui concerne « l’établissement ou la modification de critères d’appréciation des travailleurs », de sorte que le 2e module aurait également dû trouver leur accord avant sa mise en œuvre.

Le directeur, dans sa décision du 23 mars 2000, après avoir entendu les parties, se déclara compétent pour connaître du recours, le dit recevable et fondé aux motifs « qu’il ne saurait être raisonnablement admis que les critères dont la société … tient actuellement compte pour la classification des fonctions dites « dirigeantes » ne seront pas utilisés, dans le futur, pour la sélection et l’appréciation des travailleurs devant occuper les fonctions en question ; que la mise en œuvre du deuxième module du projet de réorganisation des « ressources humaines » tombe dès lors sous le champ d’application des articles 7(3) et 7(4) de la loi [du 6 mai 1974 instituant les comités mixtes dans les entreprises du secteur privé et organisant la représentation des salariés dans les sociétés anonymes], de sorte qu’elle aurait dû être soumise à l’accord du comité mixte d’entreprise ; que cette exigence légale n’est pas écartée par le fait que la mise en œuvre du deuxième module ne concerne que des fonctions qualifiées de « dirigeantes » par la société …, alors que la loi du 6 mai 1974 ne distingue pas, en ce qui concerne l’établissement ou la modification des critères généraux de sélection et 4 d’appréciation des travailleurs, entre les travailleurs occupant des fonctions « dirigeantes » et les autres ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2000, … a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du 23 mars 2000.

Quant au moyen tiré du dépôt tardif du mémoire en réplique Il convient en premier lieu d’examiner le moyen de « forclusion » du mémoire en réplique déposé au nom de … le 13 octobre 2000, soulevé implicitement par les consorts … dans leur mémoire en duplique. Sur invitation du tribunal, les parties à l’instance ont pris position par rapport au moyen tendant à voir écarter le mémoire en réplique, au motif qu’il n’aurait pas été déposé et communiqué dans les délais légaux. - Dans ce contexte, il échet de relever qu’il est indifférent qu’un moyen ait été soulevé dans un mémoire qui, le cas échéant, devra être écarté, étant donné que ce moyen a trait à l’ordre public et comme tel doit être soulevé d’office par le tribunal.

Le mandataire de la demanderesse se rapporte d’abord à prudence de justice quant au dépôt et à la signification du mémoire en réponse des consorts … dans le délai légal, en ce que ce mémoire en réponse a seulement fait l’objet d’une communication par voie de fax et non par voie d’huissier de justice. Il soutient en outre que le mémoire en réplique aurait été déposé au greffe du tribunal administratif dans le délai de l’article 5 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et que seule la date de son dépôt au greffe devrait être prise en considération pour l’examen du respect de la formalité prévue par la prédite disposition et non pas la date de sa communication aux autres parties.

Le recours sous analyse a été introduit après l’entrée en vigueur, le 16 septembre 1999, de la loi précitée du 21 juin 1999 dont l’article 10, sans préjudice quant aux articles 2 et 4 de ladite loi, qui organisent le dépôt au greffe des requêtes introductives d’instance et des mémoires, ainsi que la signification des requêtes introductives d’instance et des mémoires à la partie défenderesse et aux tiers intéressés, dispose que « les communications entre avocats constitués et entre le délégué du Gouvernement et les avocats constitués peuvent être faites moyennant signification par ministère d’huissier ou notification par voie postale ou par voie directe ou par voie de greffe en ce qui concerne les communications avec le délégué du Gouvernement.

La signification est constatée par l’apposition du cachet et de la signature de l’huissier de justice sur l’acte et sa copie avec l’indication de la date et du nom du délégué du Gouvernement ou de l’avocat destinataire.

La notification directe s’opère par la remise de l’acte en double exemplaire au délégué du Gouvernement ou à l’avocat destinataire, lequel restitue aussitôt l’un des exemplaires après l’avoir daté et visé ».

Le terme de « communication » constitue le terme générique qui englobe les notions de signification - qui s’opère par voie d’huissier - et de notification - qui est faite directement ou par l’intermédiaire de la poste. Les communications officielles (échanges de mémoires, 5 communication de requêtes adressées au tribunal ou à son président) entre avocats, et avec les délégués du gouvernement, se font, au choix, soit par signification d’huissier ou par notification directe ou par voie postale (cf. doc. parl. n° 4326, relatif à la proposition de loi portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, commentaire des articles, ad. art. 12, devenu par la suite l’art. 10, p. 16).

Il convient en outre d’admettre que la notification par télécopieur doit être assimilée à la notification par voie postale (trizzz adm., 6 novembre 2000, n° du rôle 11870, non encore publié).

En l’espèce, étant donné qu’il est établi par les pièces produites en cause que le mandataire de la demanderesse a effectivement reçu communication du mémoire en réponse en date du 20 juillet 2000, donc dans le délai de 3 mois à partir de la signification de la requête introductive d’instance tel que prévu par l’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999, il se dégage des considérations qui précèdent que le fait que ladite communication a été faite par voie de télécopieur n’est pas de nature à affecter la validité de ladite communication et le mémoire en réponse n’est partant pas à écarter des débats et le moyen afférent est à rejeter.

Dans son mémoire en duplique, le mandataire de la partie défenderesse se rapporte à prudence de justice quant « à la recevabilité du mémoire en réplique quant au respect des formes et délais prescrits par la loi du 21 juin 1999 ».

L’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999 prévoit en ses paragraphes (5) et (6) que « (5) Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse, la partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois.

(6) Les délais prévus aux paragraphes 1 et 5 sont prévus à peine de forclusion. Ils ne sont pas susceptibles d’augmentation en raison de la distance. Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre ».

Il convient encore de relever qu’aucune prorogation de délai n’a été demandée au président du tribunal conformément à l’article 5 paragraphe (7) ni, par la force des choses, accordée par ce dernier.

Il se dégage de l’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999 que la question de la communication des mémoires dans les délais prévus par la loi touche à l’organisation juridictionnelle, étant donné que le législateur a prévu les délais émargés sous peine de forclusion.

Par ailleurs, au vœu de l’article 5 précité, la fourniture du mémoire en réplique dans le délai d’un mois de la communication du mémoire en réponse inclut - implicitement, mais nécessairement - l’obligation de le déposer au greffe du tribunal et de le communiquer à la partie voire aux parties défenderesses dans ledit délai d’un mois (cf. Cour adm., 8.3.2001, n° 12306C du rôle, non encore publié).

Dans la mesure où les mémoires en réponse respectifs des parties défenderesse et tierce intéressées ont été communiqués au mandataire de la demanderesse respectivement en 6 date des 20 juillet et 30 août 2000, et en considération de ce qu’en vertu de l’article 5 (6) de la loi précitée du 21 juin 1999, les délais de procédure sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre, de sorte que le délai pour répliquer n’a donc commencé à courir qu’à partir du 16 septembre 2000, le dépôt et la communication du mémoire en réplique de la demanderesse ont dû intervenir pour le 16 octobre 2000 au plus tard. Or, si le mémoire en réplique a bien été déposé au greffe du tribunal dans ledit délai, force est de constater que la communication du mémoire en réplique n’est intervenue qu’en date du 19 octobre 2000, soit après l’expiration du prédit délai. Par conséquent, à défaut d’avoir été communiqué et déposé dans le délai d’un mois légalement prévu à peine de forclusion, le tribunal est dans l’obligation d’écarter le mémoire en réplique des débats.

Le mémoire en réplique ayant été écarté, le même sort frappe le mémoire en duplique des parties intéressées, lequel ne constitue qu’une réponse à la réplique fournie.

Quant à la compétence du tribunal Les consorts …, ainsi que le délégué du gouvernement se rapportent à prudence de justice quant à la compétence du tribunal administratif pour statuer dans le présent litige.

Une décision en matière de comité mixte d’entreprise rendue par le directeur ne constitue pas une décision de juridiction de premier degré, mais une décision administrative pré-contentieuse, susceptible en tant que telle d’un recours devant le tribunal administratif (cf.

trizzz adm. 22 octobre 1997, n° 9665 du rôle; trizzzadm. 27 octobre 1999, n° 10313 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Travail, n° 48). Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du présent litige.

Quant à la recevabilité du recours L’article 37 (2) de la loi précitée du 6 mai 1974 prévoyant un recours au fond en la matière, le recours en réformation, non autrement contesté sous ce rapport, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire, est partant à déclarer irrecevable.

Quant au fond La partie demanderesse soutient principalement que le 2e module du projet « ressources humaines » échapperait à la compétence de décision du comité mixte d’entreprise, dans la mesure où il ne tomberait pas dans le champ d’application de l’article 7 de la loi précitée du 6 mai 1974, qui attribuerait uniquement compétence au comité mixte d’entreprise en cas d’établissement ou de modification des critères généraux concernant la sélection personnelle en cas d’embauchage, de promotion, de mutation, de licenciement ou en cas d’établissement ou de modification des critères généraux d’appréciation des salariés.

En l’espèce, le projet portant sur les modules 1 et 2 concernerait uniquement l’analyse et la hiérarchisation théorique des fonctions, de sorte que les 2 modules ne sauraient avoir une influence sur les critères tels qu’indiqués ci-dessus.

7 Elle ajoute qu’en revanche le 3e module servira à apprécier les salariés et de fixer leurs critères de promotion, de sorte que seule la mise en œuvre de ce dernier module serait susceptible d’être soumise, le cas échéant, à l’approbation du comité mixte.

Le délégué du gouvernement fait valoir que le chef d’entreprise doit faire approuver par le comité mixte d’entreprise les critères généraux sur base desquels il entend procéder à la sélection ou à l’appréciation des travailleurs, et non pas les décisions de sélection ou d’appréciation elles-mêmes. Il considère que la mise en œuvre du 2e module du projet « ressources humaines » aurait précisément pour but de dégager les critères généraux sur base desquels seront prises, dans le cadre de la mise en œuvre du troisième module, les décisions individuelles de sélection ou d’appréciation des travailleurs.

Les consorts … font exposer que les 3 modules élaborés par le bureau de consultation externe YYY ne pourraient être dissociés l’un de l’autre, étant donné qu’ils formeraient un ensemble cohérent qui devrait être mis en œuvre au fur et à mesure de la réalisation de chaque module. Ils soutiennent que la mise en œuvre du module 2 serait réalisée par référence au module 1, de sorte que le même raisonnement devra s’appliquer pour la mise en œuvre du module 3, qui s’appuierait nécessairement sur le contenu du module 2. Ils relèvent que comme le module 3, qui serait donc la suite logique des deux modules précédents, serait soumis à l’approbation du comité mixte d’entreprise selon les « dires mêmes de la partie adverse », le module 2 devrait également trouver l’approbation du comité mixte d’entreprise. Ils estiment qu’au cas contraire la portée générale du concept de réorganisation serait « bafouée ».

Ils constatent finalement que le deuxième module aurait pour objet de « hiérarchiser chaque fonction, de définir des groupes de fonctions et ensuite des groupes de rémunération, de constater si les niveaux de rémunérations actuelles sont cohérents avec la hiérarchisation », et que la mise en œuvre de ces objectifs entraînerait nécessairement une modification des critères généraux d’appréciation des travailleurs, « car une fonction n’est rien sans la personne qui l’occupe ».

Le comité mixte d’entreprise, obligatoire dans toutes les entreprises industrielles, artisanales et commerciales du secteur privé d'une certaine envergure, a compétence de décision, conformément à l’article 7 (3) et (4) de la loi précitée du 6 mai 1974, pour l’établissement ou la modification de critères généraux concernant la sélection personnelle en cas d’embauchage, de promotion, de mutation, de licenciement et d’appréciation des travailleurs. Ces compétences dans le domaine social constituent des règles générales préétablies dans un objectif de participation des travailleurs aux décisions dans les entreprises, avec l’idée qu’en associant le travailleur à la prise ou à la préparation des mesures ou de politiques qu’il est appelé à appliquer, l’on contribuera à résorber les conflits et à promouvoir un esprit de coopération entre le travailleur et l’entreprise qui l’occupe.

Ces articles ne sont cependant pas de nature à diminuer ou à bloquer le droit du chef de l’entreprise de réorganiser ou de restructurer son entreprise comme il l’entend. Néanmoins, si le personnel de l’entreprise s’en trouve affecté, dans la mesure où des critères généraux se trouvent établis ou modifiés, notamment en ce qui concerne l’appréciation des travailleurs, le comité mixte d’entreprise doit être saisi pour décision.

Il y a donc lieu d’examiner à un premier stade si effectivement le projet « ressources humaines », et notamment le module 2 de ce projet, intitulé « classification (réflexion sur 8 l’échelle de rémunération) », est susceptible d’établir ou de modifier les critères généraux d’appréciation des travailleurs, sinon les critères d’embauche ou de redéploiement du personnel.

Il ressort du projet intitulé « ressources humaines », non daté, établi en collaboration avec la société YYY, que le module 2 recherche comme résultat de hiérarchiser chaque fonction suivant son importance pour l’entreprise, de définir des groupes de fonctions et ensuite des groupes de rémunération et ensuite de voir si les niveaux des rémunérations actuelles sont cohérents avec la hiérarchisation. Le module 2 a donc pour but d’effectuer la « pesée des fonctions » sur base des informations contenues dans la description des fonctions (module 1). Il y est encore précisé que « la pesée, lors de sa phase finale, aura évidemment son impact sur la rémunération qui y sera rattachée » et que « suite à la classification, il est possible d’attribuer à chaque fonction un salaire minimum (d’entrée dans la fonction), un salaire moyen et un salaire maximum, prenant en compte, dans un premier temps, les critères actuels, à savoir : le niveau de formation et l’ancienneté. Mais déjà, à la suite de cette classification, des inadéquations entre titulaire de fonction et niveau de rémunération peuvent apparaître. En d’autres termes : la rémunération de certains titulaires pourra s’avérer sur-

ou sous-évaluée par rapport à la classification déterminée précédemment. On voit toutefois déjà le passage d’une fonction à l’autre. Cette notion de passage sera affinée en y ajoutant les notions de performances (atteinte d’objectifs) et la notion de compétences (évaluation du titulaire) ».

Par ailleurs, il résulte encore d’un document intitulé « explication du projet ressources humaines », également établi par la société YYY, que le « fait d’avoir défini des groupes de fonctions/ groupes de rémunération permet de visualiser des passerelles – salariales et / ou de groupes de fonctions – lorsqu’on envisage des promotions ou des changements d’affectation ».

Il résulte de cet exposé des motifs quant aux objectifs à atteindre par le projet, et notamment par le module 2, et des explications supplémentaires fournies par la société YYY, que le module 2 tombe dans le champ d’application de l’article 7 (3) et (4), précité, dans la mesure où la hiérarchisation des fonctions, telle que décrite dans le projet, établit en fait des critères généraux de sélection d’embauche et de promotion.

A ce titre, il importe de souligner, comme l’a relevé à juste titre le délégué du gouvernement, que le chef d’entreprise doit faire approuver par le comité mixte d’entreprise les critères généraux sur base desquels il entend procéder à la sélection ou à l’appréciation des travailleurs, et non pas les décisions de sélection ou d’appréciation elles-mêmes. Or, en l’espèce, la mise en œuvre du 2e module du projet « ressources humaines » a précisément pour but de dégager les critères généraux sur base desquels seront prises, dans le cadre de la mise en œuvre du 3e module intitulé « entretien d’appréciation et d’évaluation », les décisions individuelles de sélection ou d’appréciation des travailleurs.

La partie demanderesse soutient à titre subsidiaire que l’article 7 de la loi précitée du 6 mai 1974 ne serait pas applicable aux cadres et au personnel dirigeant.

Elle expose qu’il résulterait du courrier adressé par les représentants du personnel du comité mixte d’entreprise au directeur en date du 22 novembre 1999 que la décision de lancer le module 2 ne concernerait que le personnel hors cadre, à l’exclusion du personnel 9 d’exécution. Comme le personnel dirigeant et les cadres participeraient à l’exercice des pouvoirs du chef d’entreprise, les critères de leur sélection, promotion ou mutation ne pourraient relever d’une quelconque compétence du comité mixte, sous peine d’entraver le pouvoir de direction du chef d’entreprise, qui ne serait dès lors plus en mesure d’organiser librement son entreprise. Elle considère dès lors que le personnel dirigeant et les cadres ne pourraient être considérés comme « travailleurs » au sens de l’article 7 de la loi précitée du 6 mai 1974, étant donné qu’ils seraient des représentants du chef d’entreprise exerçant une partie de ses prérogatives, de sorte qu’eu égard à leur position particulière, ils ne pourraient pas « être représentés par les salariés ouvriers ou employés au sein du comité mixte d’entreprise ». Elle souligne encore que leur position particulière résulterait du fait qu’ils seraient exclus des conventions collectives de travail qui renverraient aux contrats individuels le soin de fixer leurs conditions d’emploi et de rémunération.

Elle relève finalement que dans le cadre de l’élaboration de la loi précitée du 6 mai 1974, le Conseil d’Etat (doc. parl. n°1689(6)) aurait précisé que les dispositions de l’actuel article 7 (article 11 du texte initial) s’appliqueraient uniquement aux salariés tombant ou susceptibles de tomber sous l’application des conventions collectives, le chef d’entreprise ne pouvant se voir imposer aucune règle générale pour le choix du personnel dirigeant et des cadres.

Elle soutient dès lors qu’il résulterait de la combinaison des lois du 12 juin 1965 concernant les conventions collectives de travail et du 6 mai 1974, ainsi que des travaux parlementaires relatifs à l’élaboration de ces lois, que l’embauchage, la promotion, la mutation ou les critères généraux d’appréciation du personnel dirigeant et des cadres ne rentreraient pas dans les compétences de décision du comité mixte d’entreprise.

Le délégué du gouvernement rétorque qu’il résulterait des travaux préparatoires relatifs à la loi précitée du 6 mai 1974 que le législateur entendait ne pas distinguer entre le personnel dirigeant et les autres travailleurs, au motif que l’article 6 du projet de loi initial, ayant voulu interdire aux cadres supérieurs de faire partie des représentants du personnel au comité mixte d’entreprise, ne se retrouverait pas dans le texte tel qu’adopté par la Chambre des Députés (doc. parl. n°1689). En effet, si le législateur avait voulu faire sienne la position du Conseil d’Etat, il aurait dû l’exprimer clairement, étant donné qu’il serait de principe unanimement admis qu’il n’y aura pas lieu de distinguer lorsque la loi ne distingue pas.

Dans ce contexte, il conclut également qu’il serait sans aucune pertinence d’insister sur le fait que dans le cadre de la loi précitée du 12 juin 1965, il serait effectivement permis de traiter différemment les cadres supérieurs des autres employés.

Il conclut à titre subsidiaire que la partie demanderesse n’aurait apporté aucune preuve que les fonctions concernées par la mise en œuvre du 2e module du projet « ressources humaines » correspondraient effectivement à des fonctions dirigeantes.

Les consorts … considèrent également que les cadres et le personnel dirigeant tomberaient dans le champ d’application de l’article 7 de la loi précitée du 6 mai 1974, étant donné que cette loi ne ferait aucune différenciation à ce sujet et ils se rallient dès lors à la décision prise par le directeur.

10 Ils soulignent à nouveau qu’il y aurait lieu de traiter les 3 modules comme un ensemble, qu’il faudrait donc se référer à l’intégralité du projet pour apprécier quels travailleurs seraient concernés par le projet et que rien n’indiquerait dans le 2e module que seules les fonctions dirigeantes seraient visées.

Force est de constater que l’article 7 de la loi précitée du 6 mai 1974 ne fait aucune distinction en ce qui concerne les attributions du comité mixte d’entreprise en matière d’établissement ou de modification des critères généraux de sélection et d’appréciation des travailleurs entre les travailleurs occupant une fonction dirigeante et les autres.

S’il est vrai que le Conseil d’Etat dans son avis portant sur le projet de loi n°1689(6) avait retenu qu’il « doit être clairement entendu que les dispositions de cet article s’appliquent uniquement aux salariés tombant ou susceptibles de tomber sous l’application des conventions collectives, le chef d’entreprise ne pouvant se voir imposer aucune règle générale pour le choix du personnel dirigeant et des cadres. Cette observation est du reste conforme à l’article 5, alinéa 2 de la loi du 12 juin 1965 concernant les conventions collectives de travail », cette affirmation de la part du Conseil d’Etat n’a néanmoins fait l’objet ni de commentaires dans les avis subséquents, ni d’une modification de l’article en question afin que le sens attribué par le Conseil d’Etat à cette disposition puisse en être dégagé clairement lors de la lecture de cet article.

Le raisonnement effectué par la partie demanderesse selon lequel il serait admis que le personnel des cadres supérieurs pourrait être représenté au sein du comité mixte d’entreprise mais par contre qu’il ne pourrait être soumis à la compétence de décision de celui-ci ne trouve aucun appui ni dans l’article 7 précité ni dans une autre disposition de la loi précitée du 6 mai 1974. Par ailleurs, le fait que dans le cadre de la loi précitée du 12 juin 1965, il est permis de traiter différemment les cadres supérieurs et les autres employés ne fait que souligner qu’il aurait appartenu au législateur d’introduire également une telle distinction en matière de comité mixte d’entreprise, s’il avait voulu adopter la solution préconisée par le Conseil d’Etat.

C’est dès lors à bon droit que le délégué du gouvernement relève qu’il n’y a pas lieu de distinguer lorsque la loi ne distingue pas.

Il résulte des considérations qui précèdent que la décision du directeur du 23 mars 2000 n’encourt aucun reproche et que le recours dirigé à son encontre est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

écarte les mémoires en réplique et en duplique tardivement fournis ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

11 le dit également recevable;

au fond le dit non justifié, partant en déboute;

condamne la partie demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 4 avril 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11960
Date de la décision : 04/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-04;11960 ?

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