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26/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12399

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mars 2001, 12399


Numéro 12399 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 octobre 2000 Audience publique du 26 mars 2001 Recours formé par Monsieur … NEVES, Schifflange contre un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12399 du rôle, déposée le 16 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NEVES, de nation...

Numéro 12399 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 octobre 2000 Audience publique du 26 mars 2001 Recours formé par Monsieur … NEVES, Schifflange contre un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12399 du rôle, déposée le 16 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NEVES, de nationalité capverdienne, demeurant à L-… , tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 20 juillet 2000 lui refusant l’octroi du permis de travail pour un poste de manœuvre auprès de l’entreprise de construction COSTANTINI S.A., établie et ayant son siège social à L-… ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Michelle THILL, demeurant à Luxembourg, du 18 octobre 2000, portant signification de ce recours à la société anonyme COSTANTINI S.A., préqualifiée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000 par Maître Yann BADEN pour compte de Monsieur … NEVES;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Michelle THILL, demeurant à Luxembourg, du 5 décembre 2000, portant signification de ce mémoire à la société anonyme COSTANTINI S.A., préqualifiée;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier TODT et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 janvier 2001.

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Par déclaration d’engagement datée au 10 avril 2000, parvenue à l’administration de l’Emploi, ci-après appelée « ADEM », le 18 avril suivant, la société anonyme COSTANTINI S.A. sollicita un permis de travail en faveur de Monsieur … NEVES pour un poste de manœuvre, l’entrée en service étant indiquée pour le 20 mars 2000 et la rémunération par heure pour ce poste fixée à 336,66 LUF, le tout en contre-partie de 40 heures de travail par semaine.

Par arrêté du 20 juillet 2000, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre », refusa le permis de travail à Monsieur NEVES « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes :

- des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 1.666 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi ;

- priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur ;

- occupation irrégulière depuis le 20 mars 2000 ;

- augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’emploi durant les six dernières années : 3.526 en 1993 / 5.351 en 1999 ».

A l’encontre de cette décision ministérielle du 20 juillet 2000, Monsieur NEVES a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation par requête déposée le 16 octobre 2000.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l'obligation d'examiner en premier lieu l’admissibilité d’un recours au fond en la matière, l'existence d'une telle possibilité rendant irrecevable l'exercice d'un recours en annulation contre la même décision (trib. adm.

4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Nika, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 2, et autres décisions y citées).

Etant donné qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’instaure en matière de refus de permis de travail un recours au fond, le tribunal est sans compétence pour connaître du recours subsidiaire en réformation. Le recours principal en annulation est de son côté recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur expose être arrivé au Luxembourg vers la fin de l’année 1999 et être marié depuis le 21 janvier 2000 avec Madame Otelinda DE JESUS PIRES qui habiterait et travaillerait au Grand-Duché « en toute régularité depuis plus de dix ans ». Il reproche à l’arrêté ministériel attaqué d’avoir complètement omis de statuer in concreto en ne tenant aucunement compte de sa situation personnelle et familiale qui serait pourtant d’importance 2 majeure pour l’appréciation de sa demande de permis de travail, étant donné que durant les premiers mois du mariage son épouse aurait seule procuré les revenus du ménage, lesquels seraient néanmoins insuffisants pour entretenir à long terme une famille. Il estime dès lors qu’en présence de son droit de séjour reconnu, sa situation familiale et son désir légitime de pouvoir contribuer aux charges de son ménage par le biais d’un travail rémunéré, un défaut de déclaration de vacance de poste ne pourrait pas entraîner à lui seul un refus automatique, le ministre étant tenu de vérifier, pour toute demande lui soumise, si l’ensemble des faits justifient l’octroi ou le refus du permis de travail. Il ajoute que le défaut de déclaration préalable de vacance de poste, incombant à l’employeur prospectif, ne pourrait pas lui porter grief, vu qu’il y serait complètement étranger.

Le demandeur fait encore valoir que le motif tiré de la disponibilité de 1.666 demandeurs d’emploi bénéficiant d’un droit de priorité serait insuffisant pour justifier un refus de permis de travail, étant donné qu’on ne pourrait raisonnablement exiger une absence totale de tels demandeurs d’emploi avant d’admettre l’emploi de ressortissants de pays tiers, que le chiffre avancé par le ministre serait « d’une manière absolue relativement minime » et enfin que l’augmentation qualifiée d’inquiétante par le ministre serait en réalité une réduction depuis l’année 1997. Il considère que le ministre n’aurait pas justifié en quoi les demandeurs d’emploi qu’il qualifie de disponibles seraient aussi appropriés pour l’emploi concerné en l’espèce et que le contrat de travail serait en dernière analyse un contrat conclu intuitu personae, de sorte que l’employeur devrait être en mesure de choisir le salarié qui lui convient et de ne pas se voir imposer un choix.

La décision attaquée repose sur les motifs fondés sur la situation du marché du travail, la priorité à l’emploi des ressortissants d’un Etat membre de l’Union Européenne et de ceux d’un Etat partie à l’Accord sur l’Espace Economique Européen la disponibilité de demandeurs d’emploi prioritaires appropriés sur place, le défaut d’introduction préalable de la déclaration d’engagement avant l’engagement du demandeur et son occupation irrégulière depuis le 20 mars 2000.

L’article 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article premier du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».

Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, qui dispose que « 1. tout ressortissant d’un Etat membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2. Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles » et dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi ».

Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972 confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue 3 notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (cf. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, p. 2).

Au vœu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972 et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen sont dispensés de la formalité du permis de travail.

En l’espèce, la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de demandeurs d’emploi prioritaires se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité capverdienne, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen.

Après avoir vérifié que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants prioritaires est, en principe, justifiée en l’espèce, le tribunal doit encore examiner si des ressortissants prioritaires aptes à occuper le poste vacant étaient concrètement disponibles sur le marché de l’emploi.

S’il faut, en principe, que le ministre établisse, in concreto, la disponibilité sur place de ressortissants prioritaires, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, il n’en reste pas moins que l’employeur doit mettre l’ADEM en mesure d’établir cette disponibilité concrète en introduisant auprès d’elle une déclaration de vacance de poste. La déclaration de poste vacant, qui peut ressortir le cas échéant d’autres pièces ou documents introduits auprès de l’ADEM, doit être faite avant l’entrée en service du travailleur. Faute par l’employeur de ce faire, l’ADEM est mise dans l’impossibilité de lui assigner utilement des candidats et de rapporter ainsi la preuve de la disponibilité concrète de main-d’oeuvre apte à occuper le poste vacant, de sorte qu’aucune autorisation de travail ne saurait être délivrée au travailleur étranger censé occuper le poste de travail vacant (trib. adm. 30 avril 1998, Wagner et Skrijelj, confirmé par Cour adm. 20 octobre 1998, n° 10754C, Pas. adm. 1/2000, v° Travail, II., Permis de travail, n° 19 et autres références y citées).

En l’espèce, il résulte de la déclaration d’engagement du 10 avril 2000, signée par un représentant de la société COSTANTINI et le demandeur lui-même, que celui-ci est entré en service le 20 mars 2000 et qu’il était partant déjà au service de cette société au moment de l’introduction de la déclaration d’engagement auprès de l’ADEM.

Il y a ainsi lieu de conclure que le poste en cause était déjà occupé au moment où la déclaration d’engagement du 10 avril 2000 est parvenue à l’ADEM, de sorte que celle-ci a été mise dans l’impossibilité d’établir utilement la disponibilité concrète de demandeurs d’emploi par l’assignation de candidats au poste à pourvoir.

Il s’ensuit que le motif tiré de l’occupation irrégulière avant la remise de la déclaration d’engagement se trouve légalement établi en l’espèce.

S’il est vrai que l’article 10 du règlement grand-ducal prévisé du 12 mai 1972 n’instaure pas un automatisme en obligeant le ministre à rejeter une demande de permis de travail dès qu’un motif de refus y visé se trouve vérifié, mais confère au ministre le pouvoir 4 afférent dont il peut faire usage sur base d’un pouvoir d’appréciation fondé sur l’ensemble des circonstances du dossier, il n’en reste pas moins que la situation familiale, telle qu’invoquée en l’espèce par le demandeur, rentre dans le domaine des circonstances dont la prise en compte relève de l’appréciation ministérielle de l’opportunité de sa décision, dont le contrôle échappe en principe, sauf l’hypothèse d’une erreur manifeste d’appréciation, au contrôle du juge d’annulation.

Etant donné dès lors que l’arrêté déféré est légalement justifié par le seul constat de l’occupation illégale avant la remise de la déclaration d’engagement et qu’une erreur manifeste d’appréciation ne se trouve pas établie en l’espèce, le recours laisse d’être fondé sans qu’il n’y ait lieu d’analyser plus loin les autres moyens soulevés par la partie demanderesse et les autres motifs soumis par le représentant étatique.

Encore que la société COSTANTINI S.A. ne se soit pas fait représenter à l’instance suite à la signification du recours sous analyse intervenue à son égard le 18 octobre 2000, le tribunal est appelé, conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, à statuer à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’un jugement contradictoire.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mars 2001 par:

M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. DELAPORTE 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12399
Date de la décision : 26/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-26;12399 ?

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