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21/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12965

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 mars 2001, 12965


Numéro 12965 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2001 Audience publique du 21 mars 2001 Recours formé par Madame … DEDEIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12965 du rôle, déposée le 23 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DEDEIC, née le ...

Numéro 12965 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2001 Audience publique du 21 mars 2001 Recours formé par Madame … DEDEIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12965 du rôle, déposée le 23 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DEDEIC, née le … à Novi Pazar, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 septembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 16 janvier 2001, les deux déclarant non fondée sa nouvelle demande en obtention du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 mars 2001.

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Le 24 juin 1998, Madame … DEDEIC, susqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Madame DEDEIC fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame DEDEIC fut entendue en date du 2 février 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Suite à l’avis défavorable émis par la commission consultative pour les réfugiés le 1er juillet 1999, le ministre de la Justice informa Madame DEDEIC, par lettre du 16 août 1999, notifiée en date du 20 août 1999, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée.

Un recours gracieux introduit le 17 septembre 1999 par le mandataire de Madame DEDEIC fut rencontré par une décision confirmative du même ministre du 24 septembre 1999.

Par requête déposée le 21 octobre 1999, Madame DEDEIC fit introduire à l’encontre de ces deux décisions ministérielles des 16 août et 24 septembre 1999 un recours contentieux qui fut déclaré non fondé par un jugement du tribunal administratif du 23 février 2000 (n° 11598 du rôle), confirmé par arrêt de la Cour administrative du 18 mai 2000 (n° 11894C du rôle).

Madame DEDEIC ayant ainsi épuisé toutes les voies de recours à sa disposition pour contester les décisions ministérielles de refus prévisées, le ministre l’invita, par courrier du 19 juin 2000, notifié le 4 juillet 2000, à quitter le territoire du Grand-Duché de Luxembourg dans le mois.

Par déclaration traduite par la fondation CARITAS Luxembourg en date du 7 juillet 2000 et parvenue au ministère de la Justice le 12 juillet 2000, Madame DEDEIC sollicita un réexamen de sa demande d’asile sur base des faits ainsi énoncés :

« Ma mère … a travaillé depuis 1974 au Tribunal de la commune de Tutin (Serbie).

Elle a arrêté de travailler le 24/04/2000, ses employeurs ayant trouvé un prétexte pour l'écarter. Mon frère Dedeic … né le … a déjà été appelé deux fois à l'armée Yougoslave. Son meilleur ami … a été tué alors qu'il servait l'armée Yougoslave en décembre 1999. Le meurtre a été commis par un collègue soldat de nationalité serbe. Cela d'ailleurs été constaté par le pouvoir.

Ce cas tragique a terrorisé tous les habitants et ma famille également. Ma mère m'a avoué une fois au téléphone que souvent elle a été harcelée à cause de moi qui suis demandeur d'asile et à cause de mon frère qui a refusé de servir l'armée. C'est pourquoi elle a été licenciée de son travail après 25 années de service. Ma famille c'est à dire ma mère, mon frère et ma sœur … âgée de 12 ans ont dû quitter la Serbie le 18.06.2000 pour se réfugier à Skopje en Macédonie à l'adresse suivante: Ul "pehcevska" 7/26 Madzari 91000 Skopje. Ils y séjourneront jusqu'à ce qu'ils aient la possibilité d'aller plus loin. Ils ne pourront retourner en Serbie que lorsque la situation s'améliorera sur le plan sécouritaire pour les serbes d'abord puis pour les minorités comme nous.

Je prie vous Monsieur le Ministre de la Justice de reconsidérer ma demande d'asile et de m'autoriser à rester au Grand Duché jusqu'à que les autorités en Serbie garantissent un retour en sécurité aux demandeurs d'asile ».

2 Par lettre du 11 septembre 2000, notifiée en date du 6 décembre 2000, le ministre déclara ne pas pouvoir donner une suite favorable à cette nouvelle demande en obtention du statut de réfugié politique aux motifs suivants :

« Vous exposez dans cette déclaration que votre mère aurait été licenciée en avril 2000 après 25 années de services, ses employeurs ayant trouvé un prétexte pour l'écarter.

Vous affirmez également qu'elle serait souvent harcelée parce que vous êtes demandeur d'asile et parce que votre frère a refusé de rejoindre l'armée, sans pourtant indiquer les personnes à l'origine de ces harcèlements. Le 18 juin 2000 votre mère aurait alors quitté le pays, ensemble avec votre frère et votre sœur, pour se réfugier à Skopje en l'Ancienne République Yougoslave de Macédoine.

Il ne résulte cependant pas de vos déclarations, qui ne sont d'ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que les membres de votre famille se trouvaient exposés à un risque de persécution au moment où ils ont quitté le pays pour un des motifs énumérés par l'article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

En effet, même si le licenciement de votre mère, à supposer que ce licenciement ait vraiment eu lieu, est certes regrettable, mais cela ne saurait être considéré comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, même si le récit des harcèlements auxquels votre mère serait exposée pour les motifs ci-avant exposés, ont trait à des pratiques certainement condamnables, ces faits ne sont cependant pas d'une gravité telle - même à les supposer établis - qu'ils justifient la fuite des membres de votre famille pour des raisons de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je suis au regret de ne pas pouvoir donner une suite favorable à votre nouvelle demande en obtention du statut de réfugié, ceci en conformité avec l'article 15, § 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, qui qualifie « … comme irrecevable la nouvelle demande d'une personne à laquelle le statut de réfugié a été définitivement refusé, à moins que cette personne ne fournisse de nouveaux éléments d'après lesquels il existe, en ce qui la concerne, de sérieuses indications d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève».

Je dois en effet constater qu'il n'y a pas d'éléments nouveaux depuis l'arrêt de la Cour administrative en date du 23 février 2000 [sic] et qui pourraient, en ce qui vous concerne, laisser conclure à une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je ne peux donc que confirmer les termes de ma lettre du 19 juin 2000 ».

Un recours gracieux formé par courrier du mandataire de Madame DEDEIC du 7 janvier 2001 fut rejeté par une décision ministérielle confirmative du 16 janvier 2001.

Par requête déposée le 23 février 2001, Madame DEDEIC a fait introduire un recours en annulation à l’encontre des décisions ministérielles précitées des 11 septembre 2000 et 16 janvier 2001.

Etant donné que l’article 15 (2) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, dispose expressément qu’une décision ministérielle déclarant irrecevable une 3 nouvelle demande d’asile est susceptible d’un recours en annulation, la requête tendant à l’annulation des décisions ministérielles attaquées des 11 septembre 2000 et 16 janvier 2001 déposée au nom de la demanderesse est recevable pour avoir par ailleurs été introduite dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, la demanderesse reproche au ministre une erreur manifeste d’appréciation de sa situation spécifique et estime qu’une appréciation plus juste des éléments en cause aurait dû l’amener à retenir dans son chef l’existence de persécutions à raison de ses convictions politiques, sinon de sa confession musulmane.

Elle expose à cet égard que l’ensemble de sa famille ferait l’objet de discriminations de la part des autorités serbes en raison de son appartenance à la minorité « bochniaque » et de sa religion musulmane. Elle fait préciser que sa famille aurait été persécutée en raison de l’insoumission de son frère et parce qu’elle aurait refusé de donner suite à des pressions de la part de personnes d’origine serbe qui ne souhaiteraient pas la présence de sa famille, de confession musulmane, dans leur quartier majoritairement peuplé de Serbes de confession orthodoxe. Elle fait ajouter que sa mère aurait été « mise à la porte » du tribunal de la commune de Tutin en raison de son appartenance ethnique après plus de 15 ans de service sans aucune procédure de licenciement et sans indemnité.

La demanderesse conclut que le sort réservé par les Serbes aux minorités musulmanes dans le Sandjak et la situation particulière de sa famille, ensemble les éléments déjà invoqués à l’appui de sa première demande d’asile, l’auraient légitimement amené à quitter son pays d’origine et la replaceraient dans le cadre de la Convention de Genève pour avoir rapporté des sérieuses indications d’une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève. Elle ajoute finalement qu’un retour dans son pays d’origine serait impossible, d’autant plus que sa ville natale resterait peuplée exclusivement de Serbes, ethnie dont émaneraient les auteurs des actes de persécution dont elle se prévaut.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 15 (1) de la loi susvisée du 3 avril 1996, « le Ministre de la Justice considérera comme irrecevable la nouvelle demande d'une personne à laquelle le statut de réfugié a été définitivement refusé, à moins que cette personne ne fournisse de nouveaux éléments d'après lesquels il existe, en ce qui la concerne, de sérieuses indications d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Ces nouveaux éléments doivent avoir trait à des faits ou des situations qui se sont produits après une décision négative prise au titre des articles 10 et 11 qui précèdent ».

Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande d’asile est ainsi conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être postérieurs à la décision ministérielle de rejet de la demande initiale et, d’autre part, comporter des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécutions.

En l’espèce, les faits invoqués par la demanderesse, à savoir le licenciement de sa mère et les autres harcèlements subis par les membres de sa famille en raison de leur appartenance religieuse et ethnique, de l’insoumission de son frère et de son propre départ pour demander l’asile à l’étranger, sont survenus vers la fin de l’année 1999 et au cours de l’année 2000, de sorte à être postérieurs aux décisions ministérielles initiales, ainsi que l’exige l’article 15 (1) précité.

4 Il n’en reste pas moins que lesdits faits ne sont pas de nature à constituer de sérieuses indications susceptibles d’établir une crainte actuelle et fondée de persécution dans le chef de la demanderesse du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les faits - même à les supposer établis - ainsi mis en avant par la demanderesse ne lui sont pas personnels mais ont été vécus par d’autres membres de sa famille. Or, de tels éléments ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef de la demanderesse que si celle-ci établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières (trib. adm. 5 février 2001, Karametovic, n° 12334, non encore publié). A défaut par la demanderesse d’avoir concrètement étayé un lien entre ledit traitement de membres de sa famille et d’éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution.

S’y ajoute que ces mêmes faits ne se trouvent corroborés par aucune pièce soumise au ministre ou au tribunal, de manière à ce qu’en l’absence de tout autre élément nouveau concret en cause, c’est à bon droit que le ministre a déclaré irrecevable la nouvelle demande lui soumise par la demanderesse en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 mars 2001 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, M. CAMPILL, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12965
Date de la décision : 21/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-21;12965 ?

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