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19/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12441

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mars 2001, 12441


Tribunal administratif N° 12441 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2000 Audience publique du 19 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … RIBEIRO contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 12441 et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2000 par Maître Steve COLLART, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à

Luxembourg, au nom de Monsieur … RIBEIRO, né le … à …., de nationalité portugaise, ayant été incarcé...

Tribunal administratif N° 12441 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2000 Audience publique du 19 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … RIBEIRO contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 12441 et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2000 par Maître Steve COLLART, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RIBEIRO, né le … à …., de nationalité portugaise, ayant été incarcéré au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Justice du 19 juillet 2000 lui refusant l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et lui enjoignant de quitter le pays un mois après notification de l’arrêté ou en cas de détention, un mois après sa mise en liberté, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 2 octobre 2000 intervenue sur recours gracieux du 5 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2000 par Maître Steve COLLART au nom de Monsieur … RIBEIRO;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Steve COLLART, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … RIBEIRO, préqualifié, est venu avec ses parents au Grand-Duché de Luxembourg à l’âge de 5 ans, c’est-à-dire au courant de l’année 1972.

1 Il s’est marié avec une ressortissante luxembourgeoise au début des années 1990, de cette union étant issue une fille.

Il ressort d’un certificat intitulé « changement de domicile » délivré par l’administration communale de Luxembourg que Monsieur … RIBEIRO a été rayé d’office le 30 décembre 1994 du registre de la population.

Au courant des années 1994 – 1995, une procédure de divorce fut entamée, qui aboutit en 1997 au divorce de Monsieur … RIBEIRO avec Madame C.G.

Par ailleurs sa carte d’identité d’étranger délivrée en 1987, perdit sa validité en 1997, sans que son renouvellement ait été demandé.

Le 26 août 1996, procès-verbal a été dressé à son encontre du chef d’infraction à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie.

Le 28 avril 1997, il a été condamné par le tribunal correctionnel de et à Luxembourg à 6 mois de prison avec sursis du chef de détention d’héroïne, en vue de l’usage par autrui.

Le 5 mai 1997, il a été condamné par le tribunal de police de et à Luxembourg à 51 amendes pour stationnement non réglementaire, circulation d’un véhicule non couvert par un certificat de contrôle technique valable, défaut de vignette fiscale valable et défaut de carte d’immatriculation.

Il fut à nouveau condamné en date du 2 juin 1997 par le prédit tribunal de police à 12 amendes pour stationnement non réglementaire et à 5 amendes pour défaut de faire usage du disque réglementaire aux endroits prescrits.

Le 21 novembre 1997, le 26 mai 1997 et le 13 janvier 1998, procès-verbal a été dressé à son encontre du chef d’acquisition, de possession, de transport et de consommation de stupéfiants.

Le 10 décembre 1998, il a été condamné à un an de prison ferme et à une amende de 20.000.- francs par le tribunal correctionnel de et à Luxembourg du chef de consommation d’héroïne.

Les 14 mars 1999, 21 avril, 27 avril et 11 mai 1999 de nouveaux procès-verbaux ont été dressés pour infractions à la loi précitée du 19 février 1973.

Le 18 mai 1999, il a été incarcéré en vue de l’exécution de ses peines.

Le 1er juillet 1999, il fut à nouveau condamné par le tribunal correctionnel de et à Luxembourg pour la mise en circulation illicite de stupéfiants, pour usage illicite d’un stupéfiant, pour détention illicite de stupéfiants en vue d’un usage par autrui, pour transport illicite de stupéfiants en vue d’un usage par autrui, pour vol, pour vente illicite de stupéfiants et pour acquisition à titre onéreux illicite de stupéfiants en vue d’un usage par autrui à 12 mois de prison ferme ainsi qu’à une amende de 30.000.- francs.

2 Sur base de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main d'oeuvre étrangère, le ministre de la Justice prit le 19 juillet 2000 un arrêté, refusant l’entrée et le séjour à Monsieur MATIAS RIBEIRO, motivé par les 3 condamnations pénales subies pour infraction à la loi précitée du 19 février 1973, ainsi que pour vol à l’étalage intervenues respectivement les 28 avril 1997, 10 décembre 1998 et 1er juillet 1999 ainsi que par le constat qu’il constitue par son comportement un danger pour l’ordre et la sécurité publics. Un recours gracieux, introduit le 5 septembre 2000, a été rejeté le 2 octobre 2000.

Par requête déposée le 26 octobre 2000, Monsieur … RIBEIRO introduisit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 19 juillet 2000, ainsi que de la décision confirmative du 2 octobre 2000, lui refusant l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et lui enjoignant de quitter le pays un mois après la notification dudit arrêté et, en cas de détention, un mois après la mise en liberté.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours ne serait pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib.adm. 28 mai 1997, n°9667 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n°5, p.310 et autres références y citées).

En l’espèce, aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction contre une décision de refus d’entrée et de séjour, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le représentant étatique soulève dans son mémoire en duplique un moyen tendant à voir écarter le mémoire en réplique, au motif qu’il n’aurait pas été déposé dans les délais légaux. - Dans ce contexte, il est indifférent que ledit moyen a été soulevé dans un mémoire qui, le cas échéant, devra être écarté, étant donné que ce moyen a trait à l’ordre public et comme tel doit être soulevé d’office par le tribunal.

Le recours sous analyse a été introduit après l’entrée en vigueur, le 16 septembre 1999, de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée le « règlement de procédure », de sorte que ce dernier est applicable.

Dans son mémoire en duplique, le délégué de gouvernement soutient que le délai d’un mois prévu par l’article 5 (5) du règlement de procédure pour déposer le mémoire en réplique n’aurait pas été respecté, étant donné que le mémoire en réplique n’a été déposé qu’en date du 8 décembre 2000.

L’article 5 du règlement de procédure prévoit en ses paragraphes (5) et (6) que 3 « (5) Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse, la partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois.

(6) Les délais prévus aux paragraphes 1 et 5 sont prévus à peine de forclusion. Ils ne sont pas susceptibles d’augmentation en raison de la distance. Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre ».

Il convient encore de relever qu’aucune prorogation de délai n’a été demandée au président du tribunal conformément à l’article 5 paragraphe (7) ni, par la force des choses, accordée par ce dernier.

Il se dégage de l’article 5 du règlement de procédure que la question de la communication des mémoires dans les délais prévus par la loi touche à l’organisation juridictionnelle, étant donné que le législateur a prévu les délais émargés sous peine de forclusion.

Par ailleurs, au vœu de l’article 5 précité, la fourniture du mémoire en réplique dans le délai d’un mois de la communication du mémoire en réponse inclut - implicitement, mais nécessairement - l’obligation de le déposer au greffe du tribunal et de le communiquer à la partie voire aux parties défenderesses dans ledit délai d’un mois.

Dans la mesure où le mémoire en réponse du délégué du gouvernement a été déposé et communiqué au mandataire du demandeur en date du 31 octobre 2000, le dépôt et la communication du mémoire en réplique du demandeur ont dû intervenir pour le 30 novembre 2000 au plus tard. Or, force est de constater que le mémoire en réplique n’a été déposé et communiqué qu’en date du 8 décembre 2000, soit après l’expiration du prédit délai. Par conséquent, à défaut d’avoir été déposé et notifié dans le délai d’un mois légalement prévu à peine de forclusion, le tribunal est dans l’obligation d’écarter le mémoire en réplique des débats.

Le mémoire en réplique ayant été écarté, le même sort frappe le mémoire en duplique du délégué du gouvernement, lequel ne constitue qu’une réponse à la réplique fournie.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il y aurait violation de l’article 1er du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers, dans la mesure où il n’aurait pas été convoqué devant ladite commission afin de faire valoir ses droits et dans la mesure où l’avis préalable et obligatoire de la commission n’aurait pas été sollicité par le ministre.

Concernant le moyen tiré de la violation du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972, selon lequel un avis aurait dû être émis par la commission consultative en matière de police des étrangers, il échet de constater que l’article 1er dudit règlement grand-ducal dispose que « l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers sera, sauf urgence, obligatoirement pris avant toute décision portant 1. refus de renouvellement de la carte d’identité d’étranger, 2. retrait de la carte d’identité, 4 3. expulsion du titulaire d’une carte d’identité valable, 4. révocation de l’autorisation temporaire de séjour, 5. éloignement d’un réfugié reconnu au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ou d’un apatride au sens de la Convention de New York du 28 septembre 1954 se trouvant régulièrement au pays ».

Il se dégage des éléments du dossier que le demandeur, au moment de la prise de la décision litigieuse, n’était plus titulaire d’une carte d’identité d’étranger et qu’il ne bénéficiait ni du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ni du statut d’apatride au sens de la Convention de New-York.

Le cas du demandeur ne figure donc pas parmi ceux énumérés limitativement à l’article 1er précité et une consultation de la commission consultative n’était donc pas obligatoire. Ce moyen, tiré de l’irrégularité de la procédure, est donc à abjuger.

Le demandeur fait ensuite contester la gravité des faits lui reprochés en donnant à considérer qu’il n’aurait été condamné que pour détention, usage et pour avoir acquis, à titre occasionnel, comme courtier ou comme intermédiaire, en vue de l’acquisition par une tierce personne, de quantités minimales de stupéfiants et qu’il aurait été acquitté du chef de vente et importation de drogues.

Il estime ensuite que ces faits se rapporteraient à une « période très difficile, alors qu’il se trouvait à cette époque en instance de divorce ».

Il considère encore qu’une condamnation pénale ne justifierait pas de plein droit une mesure de police à l’égard d’un étranger mais qu’il incomberait au tribunal de vérifier, cas par cas, si la nature et la gravité des faits reprochés à l’étranger sur lesquels l’administration se serait fondée, dénoteraient un comportement personnel de l’intéressé se révélant constituer une atteinte grave à l’ordre public. Il conclut que les faits lui reprochés, à savoir l’usage de stupéfiants, ne constituerait pas une atteinte grave et actuelle à l’ordre public.

Il considère par ailleurs que sa présence sur le territoire luxembourgeois ne constituerait pas une « menace actuelle, réelle et grave avec un intérêt fondamental de la société », étant donné que depuis sa condamnation, son comportement serait « irréprochable » et qu’il ne « touche d’ailleurs plus à la drogue ».

Il expose finalement avoir quitté le Portugal, à l’âge de 5 ans, qu’il n’aurait plus d’attache avec son pays natal, que toute sa famille serait établie au Luxembourg et qu’il serait le père d’un enfant né au Luxembourg « actuellement âgé de 5 ans avec lequel il entretient des excellents et réguliers contacts ». Il estime que dans ces conditions, les décisions ministérielles seraient contraires à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où elles porteraient une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale.

Le délégué du gouvernement souligne que le ministre de la Justice ne se serait pas basé sur une condamnation unique mais sur trois condamnations graves à des peines de prison ainsi que sur le comportement du demandeur qui, depuis 1996, serait connu comme toxicomane sans travail et domicile fixe. Ce ne seraient pas uniquement les inscriptions au casier judiciaire 5 relatives au demandeur mais l’ensemble des éléments du dossier administratif qui auraient motivé la mesure d’éloignement.

En effet, le demandeur ne serait non seulement consommateur mais aussi trafiquant de drogues. Comme par ailleurs, il serait sans domicile connu et sans travail, son comportement pourrait être qualifié comme trouble à l’ordre social et comme constituant une menace actuelle pour l’ordre public.

Concernant l’affirmation du demandeur que depuis ses condamnations, il aurait un comportement irréprochable, le délégué du gouvernement rétorque qu’il faudrait tenir compte du fait qu’il est détenu depuis avril 2000 et qu’en 1999, il était également détenu pendant plusieurs mois.

Il estime qu’il n’y aurait pas violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif que le demandeur serait divorcé depuis 1997, qu’il n’aurait plus habité auprès de sa famille depuis au moins 5 ans et que l’affirmation qu’il entretiendrait d’excellents contacts avec un enfant âgé de 5 ans - en soulignant que dans le recours gracieux du demandeur il serait question d’une fille de 10 ans - resterait à l’état de pure allégation et ne serait documenté par aucune pièce du dossier.

Concernant le reproche tiré du caractère disproportionné de la mesure prise, il échet de constater que l’arrêté ministériel du 19 juillet 2000 refusant au demandeur l’entrée et le séjour au Luxembourg et lui enjoignant de quitter le pays un mois après la notification de cet arrêté, est motivé comme suit : « l’intéressé a été condamné par le Tribunal Correctionnel de Luxembourg – le 28 avril 1997 : pour infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie à une peine de prison de 6 mois ; - le 10 décembre 1998 : pour infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie à une peine de prison de 1 an ainsi qu’à une amende de 20.000.- Luf ; - le 1er juillet 1999 : pour infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie et pour vol à l’étalage à une peine de prison de 12 mois ainsi qu’à une amende de 30.000.- Luf ; - constitue par son comportement personnel un danger pour l’ordre et la sécurité publics ».

L’arrêté déféré vise comme base légale la loi précitée du 28 mars 1972. Le demandeur étant un ressortissant portugais, cette loi est, en principe, susceptible de s’appliquer.

Cependant, dans la mesure où le demandeur est un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne (U.E.) et dans la mesure où le juge administratif doit d’office rechercher la base légale d’une décision administrative, il y a lieu de retenir qu’en exécution de l’article 37 de la loi précitée du 28 mars 1972 « le gouvernement est autorisé à prendre par voie de règlement grand-ducal les mesures nécessaires à l’exécution des obligations assumées en vertu de conventions internationales dans le domaine régi par la présente loi. Ces règlements pourront déroger aux dispositions de la présente loi dans la mesure requise par l’exécution de l’obligation internationale ». Sur base de la loi habilitante précitée du 28 mars 1972 a été pris le règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, qui, dans sa section 1, comprend des dispositions applicables aux ressortissants des Etats membres de l’U.E. et des Etats ayant adhéré à l’Accord sur l’Espace économique européen (E.E.E.) 6 En effet, les dispositions communautaires actuellement en vigueur en la matière ont été transposées dans le droit national par le biais du règlement grand-ducal précité afin de tenir compte du principe de la liberté de circulation des travailleurs communautaires ainsi que du principe relatif au droit de séjour des ressortissants des Etats membres y visés.

Les Etats membres ne peuvent déroger à ces principes que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. L’article 9 du règlement grand-ducal précité dispose à ce sujet : « (…) La carte de séjour ne peut être refusée ou retirée (…) et une mesure d’éloignement du pays ne peut être prise (…) que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique (…). La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. (…) Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet ».

En ce qui concerne le premier reproche formulé par le demandeur à l’encontre des décisions ministérielles déférées, tiré du fait, d’une part, que les condamnations pénales subies par lui ne suffiraient pas pour justifier la décision de refus d’entrée et de séjour au Luxembourg et, d’autre part, que le ministre n’aurait pas rapporté la preuve de l’existence d’un élément nouveau tiré de son comportement postérieurement à « sa condamnation », il échet de relever que l’article 3, paragraphe 1er de la directive du Conseil n°221/64 du 25 février 1964 pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique dispose que « les mesures d’ordre public et de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet » et que le paragraphe 2 dudit article dispose que « la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures ».

Une condamnation pénale, sans constituer une cause péremptoire pour refuser l’entrée et le séjour à un étranger ainsi que pour refuser de délivrer une carte d’identité d’étranger, peut cependant, de par la teneur et la gravité des faits sanctionnés, dénoter un comportement révélant une atteinte grave et actuelle à l’ordre public et justifier le refus de délivrer une carte d’identité d’étranger ainsi que le refus d’entrée et de séjour sur le territoire luxembourgeois.

Dans les décisions déférées, le ministre s’est référé à trois condamnations pénales subies par le demandeur, ainsi qu’au comportement personnel de celui-ci. Les faits à la base des condamnations ont été souverainement constatés par les juridictions pénales dans le cadre des procès ayant donné lieu à une peine privative de liberté s’élevant au total à 2 ans et 6 mois et ils sont de nature à dénoter de par leur gravité un comportement du demandeur compromettant la tranquillité, l’ordre et la sécurité publics.

La circonstance que depuis les faits à la base des dites condamnations pénales, qui remontent aux années 1997, 1998 et 1999, le demandeur aurait eu un comportement irréprochable, n’est pas de nature à écarter toute potentialité dans son chef de compromettre à nouveau la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, en raison de son incarcération, il se trouvait sous une surveillance rapprochée et il n’avait partant plus l’occasion de récidiver.

7 C’est partant à juste titre que le ministre a pu estimer que le comportement du demandeur ayant conduit aux condamnations pénales a fait apparaître un comportement personnel portant atteinte à l’ordre public.

Il s’ensuit qu’en principe, le ministre a pu se baser sur l’article 9 du règlement grand-

ducal précité du 28 mars 1972, pour refuser l’entrée et le séjour en se basant sur le fait que par son comportement personnel, le demandeur constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Si le refus ministériel se trouve dès lors justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par le demandeur tiré de la violation de l’article 8 alinéa 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée la « Convention européenne des droits de l’homme », dans la mesure où il estime globalement qu’il y aurait violation de son droit au maintien de sa vie familiale, lequel tiendrait la disposition précitée du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 en échec.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Il y a d’abord lieu de rechercher si le demandeur peut se prévaloir d’une « vie privée et familiale » au sens de l’article 8 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La notion de famille sur laquelle repose l’article 8 inclut, même en l’absence de cohabitation, le lien entre une personne et son enfant, que ce dernier soit légitime ou naturel.

Ces liens ne peuvent être considérés comme étant brisés que dans des circonstances exceptionnelles (voir arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme Gül c. Suisse du 19 février 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996, I, § 32, et Boughanemi c. France du 24 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996, I, p. 35, C. c. Belgique du 7 août 1996, revue du droit des étrangers, 1997, n°92, p.36). En l’espèce, celles-ci ne se trouvent pas brisées par le fait que le demandeur s’est vu incarcérer, mais il résulte au contraire d’une attestation testimoniale datée au 25 novembre 2000, émanant de Madame …, épouse divorcée de Monsieur … RIBEIRO, versée par la partie demanderesse en date du 8 décembre 2000, que les contacts entre le demandeur et sa fille se sont poursuivis, moyennant envoi de cartes, lettres et entretiens téléphoniques. Il résulte par ailleurs de cette pièce que le demandeur « a toujours été très bon avec sa fille », qu’il l’a adoré et qu’il « disait toujours de ne pas faire les mêmes fautes que lui » et finalement que « le contact de Monsieur … RIBEIRO avec sa fille ne nuira pas à la fille et pourrait aider à un bon épanouissement ».

Cette pièce documente donc que le demandeur entretenait des liens étroits avec sa fille, de sorte que l’existence d’une vie familiale se trouve établie en l’espèce.

8 En outre, le demandeur a tissé au Luxembourg de réels liens sociaux, étant donné qu’il y habite depuis l’âge de 5 ans avec sa famille, qu’il y a reçu une formation scolaire et professionnelle et qu’il y a travaillé.

Partant, la décision de refus d’entrée et de séjour qui implique, qu’après son incarcération, le demandeur est obligé de quitter le pays, s’analyse en une ingérence dans le droit du demandeur au respect de sa privée et familiale.

Comme indiqué ci-dessus, même si en l’espèce la loi luxembourgeoise permet en principe aux autorités compétentes de s’ingérer dans la vie privée et familiale, néanmoins faut-il encore que cette ingérence se révèle nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire qu’elle soit justifiée par un besoin social impérieux et proportionnée au but légitime poursuivi.

Il convient partant d’examiner si les décisions litigieuses de refus d’entrée et de séjour respectent un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d’une part, le droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale, et, d’autre part, la protection de l’ordre public et la prévention des infractions pénales.

Il est constant que le demandeur a des attaches réelles au Luxembourg, qu’il y a vécu dès l’âge de 5 ans avec ses parents, qu’il y a poursuivi sa scolarité, qu’il y a reçu une formation professionnelle et travaillé. Par ailleurs, il s’y est marié avec une ressortissante luxembourgeoise, de cette union étant issue une fille. Bien que divorcé au courant de l’année 1997, il a conservé des contacts réguliers avec sa fille. Il n’est par ailleurs pas contesté que toute la famille du demandeur réside au Luxembourg et qu’il n’a plus d’attache dans son pays d’origine.

L’ingérence dans la vie privée et familiale du demandeur constitue en l’espèce une mesure disproportionnée, eu égard à sa situation particulière, par rapport au but poursuivi par les autorités compétentes, tendant à assurer la défense de l‘ordre public, étant donné que s’il est vrai les infractions commises par le demandeur concernent des faits d’une gravité certaine, elles ne justifient toutefois pas l’atteinte autrement plus grave qui serait portée en l’espèce à la vie privée et familiale du demandeur du fait des décisions litigieuses. Les autorités luxembourgeoises ont partant failli à leur obligation de ménager un juste équilibre entre les intérêts en jeu. Les décisions de refus d’entrée et de séjour au Luxembourg sont donc disproportionnées par rapport aux buts légitimes poursuivis et partant il y a violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il se dégage de ces développements que le recours est fondé et que l’arrêté déféré du 19 juillet 2000, ainsi que la décision confirmative du 2 octobre 2000, encourent l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

9 reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare justifié et annule l’arrêté déféré du 19 juillet 2000, ainsi que la décision confirmative du 2 octobre 2000 ;

renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 19 mars 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12441
Date de la décision : 19/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-19;12441 ?

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