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08/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12371

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mars 2001, 12371


Tribunal administratif N° 12371 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001 Recours formé par Monsieur … KORAC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12371 du rôle, déposée le 6 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître James JUNKER, avocat à la Cour, assisté de Maître Stéphanie GUERISSE, avocat, tous deux inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KORA

C, de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation...

Tribunal administratif N° 12371 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001 Recours formé par Monsieur … KORAC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12371 du rôle, déposée le 6 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître James JUNKER, avocat à la Cour, assisté de Maître Stéphanie GUERISSE, avocat, tous deux inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KORAC, de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 juin 2000, notifiée le 18 juillet 2000, déclarant sa demande d’octroi du statut de réfugié politique infondée, ainsi que de la décision confirmative sur recours gracieux du 6 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Stéphanie GUERISSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 février 2001.

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Le 2 juin 1999, Monsieur … KORAC, né le … à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 2 juin 1999, soit le même jour, Monsieur … KORAC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Monsieur … KORAC fut entendu en date du 5 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Par décision du 9 juin 2000, notifiée le 18 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur … KORAC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que vous aviez quitté votre pays le 30 mai 1999. Vous étiez arrivé au Luxembourg le 2 juin 1999.

Vous indiquez comme raison du départ la peur d’être appelé au service militaire. Vous n’aviez pas encore reçu d’appel, mais vous vouliez éviter d’être envoyé au Kosovo, pour ne pas être obligé de tuer quelqu’un ou d’être tué.

Vous affirmez que vous ne pourriez pas retourner là-bas, parce que les recrutements auraient repris. Vous auriez peur de ce qui pourrait vous arriver du fait de votre soustraction au service militaire. En outre, votre peur serait liée à votre religion.

Le conflit armé ayant pris fin au Kosovo, l’armée fédérale yougoslave a quitté le territoire du Kosovo, où une force armée internationale s’est installée. Il s’en suit que la raison ayant motivé votre décision de quitter votre pays n’existe plus.

En outre, il n’est pas établi que l’accomplissement du service militaire dans l’armée yougoslave imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Par ailleurs, même à supposer que vous soyez considéré comme insoumis, alors que vous aviez quitté le pays avant d’être appelé à l’armée, la crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas à elle seule une crainte justifiée de persécution en raison de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou en raison d’opinions politiques.

Vous déclarez que votre peur serait liée aussi à votre religion. Or la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève.

En l’espèce, vous ne versez aucune pièce, ni ne fournissez des renseignements dont pourrait se dégager pour vous un risque d’être persécuté pour l’une des raisons énumérées par l’article 1er, A, 2. de la Convention.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 16 août 2000, Monsieur … KORAC fit introduire, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 9 juin 2000.

Par décision du 6 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 6 octobre 2000, Monsieur … KORAC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation des décisions ministérielles précitées des 9 juin et 6 septembre 2000, et subsidiairement à leur annulation.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, Monsieur … KORAC reproche au ministre d’avoir violé la loi, de n’avoir pas motivé ses décisions et d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits, ainsi que d’avoir violé des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité.

Dans ce contexte, Monsieur … KORAC cite la recommandation n° 1042 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative aux déserteurs et réfractaires de l’Ex-Yougoslavie, suivant laquelle les déserteurs et réfractaires pourraient être considérés comme réfugiés si leur engagement militaire les aurait conduit à participer à des crimes contre la paix, à des crimes de guerre, à des crimes contre l’humanité ou à des crimes graves de droit commun. Ainsi, selon le demandeur la situation générale des monténégrins de confession musulmane, plaiderait en faveur de l’octroi de statut de réfugié à … KORAC.

Quant à sa situation personnelle, Monsieur … KORAC se réfère à des arrêts de la Cour administrative, pour en conclure que le Luxembourg ne retiendrait que la notion de « crainte avec raison » sous l’aspect de la situation personnelle. Il serait manifeste que le Ministre n’aurait pas tenu compte de la situation tendue en Ex-Yougoslavie. Selon Monsieur … KORAC, il y aurait lieu d’examiner d’abord la situation générale du pays d’origine et de la rapprocher de la situation particulière du demandeur d’asile. En l’espèce, il aurait été fait abstraction de la situation générale au Monténégro et de celle des musulmans monténégrins.

L’appréciation de la « crainte avec raison » s’en serait trouvée faussée.

Monsieur … KORAC rajoute qu’en tant qu’originaire du Monténégro, de nationalité yougoslave et de religion musulmane, il n’aurait pas voulu combattre ses frères de confession 3 contre un régime qu’il réprouverait. Il aurait préféré prendre la fuite sans même attendre un appel de la réserve ou d’être enrôlé de force, comme cela aurait été le cas pour de nombreux jeunes de son village.

Le délégué du gouvernement relève tout d’abord que le demandeur fait état de sa qualité d’insoumis, pour ajouter que de toute façon l’insoumission ne saurait, à elle seule, constituer un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique rappelle ensuite que « la crainte avec raison » du demandeur impliquerait à la fois un élément subjectif et un élément objectif qui devraient tous les deux être pris en considération. Il rajoute que la situation générale au Monténégro, ne serait actuellement pas d’une gravité telle que la reconnaissance du statut de réfugié politique se justifierait par elle seule.

Il soutient finalement qu’il ne faudrait pas passer outre la nouvelle situation politique de la République Fédérale Yougoslave, à savoir son nouveau président démocratiquement élu et la formation d’un nouveau gouvernement. De plus, ladite République ferait de nouveau partie de certaines organisations internationales, comme l’ONU.

En résumé, le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … KORAC et que le recours laisserait d’être fondé.

A l’audience, Maître Stéphanie GUERISSE n’a pas souhaité rajouter d’éléments en termes de plaidoiries.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. – Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … KORAC lors de son audition du 5 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à 4 suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le ministre a légitimement pu motiver sa décision par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et le demandeur reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission. Il faut rappeler que Monsieur … KORAC a quitté son pays avant d’avoir reçu un quelconque appel pour l’armée.

Au-delà du fait que le demandeur n’établit pas la désertion pour des raisons de conscience valables susceptibles de justifier, en application de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié politique, le tribunal constate encore que le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, qu’il risquerait respectivement d’être poursuivi et que d’éventuelles condamnations soient encore exécutées effectivement.

Le demandeur, en substance, n’a fait état que d’un sentiment général de peur de devoir faire son service militaire et de devoir aller à la guerre, sans cependant avoir fait valoir d’un état de persécution vécu ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de son audition, il a précisé qu’il n’a pas été persécuté personnellement, qu’il n’a pas été accusé d’un crime ou d’un délit, ni incarcéré avec ou sans jugement et qu’il n’établit aucunement des raisons personnelles suffisamment précises de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine, notamment du fait de sa religion musulmane.

En ce qui concerne ses opinions politiques, Monsieur … KORAC a déclaré ne pas savoir ses opinions politiques et ne pas être membre d’un parti politique. Par là, il n’a toujours pas établi, à suffisance de droit, que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine en raison de ses opinions politiques.

Enfin, il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur … KORAC risque de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion musulmane ou que de tels traitements lui ont été infligés dans le passé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

5 reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill , premier juge, Mme Everling, juge suppléant, Mme Kerschen, juge suppléant, et prononcé à l’audience publique du 8 mars 2001, en présence de M. Legille, greffier s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12371
Date de la décision : 08/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-08;12371 ?

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