La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12370

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mars 2001, 12370


Tribunal administratif N° 12370 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

==============================

Recours formé par Madame … MURIC-… et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

---------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12370 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MURIC-…, née le … à Rozaje/Monté...

Tribunal administratif N° 12370 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

==============================

Recours formé par Madame … MURIC-… et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

---------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12370 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MURIC-…, née le … à Rozaje/Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice des 2 juin 2000 et 12 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Sandro LARUCCIA, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

--

Le 22 janvier 1999, Madame … MURIC-…, préqualifiée, agissant en son nom personnel et en celui de ses deux enfants mineurs … MURIC, né le … à Rozaje/Monténégro et Donisa MURIC, née le … à Bérane, demeurant actuellement ensemble avec elle à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Madame … MURIC-… fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 23 septembre 1999, Madame … MURIC-… fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 2 juin 2000, notifiée le 22 août 2000, le ministre de la Justice informa Madame … MURIC-… de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations qu’ensemble avec vos deux enfants vous avez quitté votre domicile à Rozaje/Monténégro le 18 janvier 1999 en direction de Novi Pazar/Serbie, d’où vous êtes venue au Luxembourg à l’aide d’un passeur.

Vous exposez avoir pris la fuite en raison de la guerre et des bombardements. Vous ajoutez que vous ne voulez pas retourner dans votre pays du fait de la mauvaise situation politique qui y règne en général et des mauvais traitements des musulmans par les Serbes en particulier. Par ailleurs, vous n’envisagez pas un retour au Monténégro parce que votre mari n’y a pas d’emploi.

Vous affirmez ne pas être membre d’un parti politique, ni avoir d’opinions politiques.

Vous n’avez pas non plus subi des persécutions dans votre pays.

Quant aux motifs invoqués à l’appui de votre demande d’asile, force est de constater que vous n’êtes pas exposée à un risque de persécution en raison de votre appartenance ethnique, de votre religion ou de vos opinions politiques. En n’invoquant qu’une peur générale à l’encontre de la guerre, des bombardements et des Serbes, sans pour autant faire état d’une persécution personnelle, vous n’êtes pas sujet à pouvoir bénéficier du statut de réfugié. (…) ”.

Le 7 septembre 2000, Madame … MURIC-… fit introduire un recours gracieux contre ladite décision ministérielle.

Par décision ministérielle du 12 septembre 2000, ladite décision a été confirmée.

Par requête déposée en date du 6 octobre 2000, Madame … MURIC-… a fait introduire un recours devant le tribunal administratif tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 2 juin 2000, et de la décision confirmative du 12 septembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, Madame … MURIC-… fait valoir que ce serait à tort que le ministre aurait déclaré sa demande en obtention du statut de réfugié non fondée.

2 Elle expose qu’elle aurait vécu dans un petit village nommé Rozaje, qu’elle serait originaire du Monténégro et de confession musulmane. Son époux, … MURIC, aurait fui le Monténégro, car à la fin de son service militaire en 1991, effectué en Croatie, l’armée aurait voulu prolonger à tout prix son service militaire, au besoin sous la menace. Face au refus de … MURIC, l’armée serait à d’itératives reprises pénétrée de force dans la maison de Madame … MURIC-…, cherchant son époux, pour procéder manu militari à son incorporation.

Comme le choix de … MURIC se serait résumé entre céder aux menaces proférées ou être incarcéré, il se serait vu contraint de fuir son pays, avec sa famille. Suite à leur départ, les membres de leurs familles auraient fait l’objet d’un espionnage quotidien. Certains proches auraient subi des agressions physiques très graves. Madame … MURIC-… ajoute encore qu’au vu de ces circonstances, la vie à Rozaje serait impossible, car elle craindrait constamment pour sa famille. A cause de ce climat de suspicion, Madame … MURIC-… aurait tout lieu de craindre des représailles violentes, dans l’hypothèse d’un retour à Rozaje.

Après avoir relevé que la demanderesse se référerait à la qualité d’insoumis de son mari, le délégué du gouvernement constate que ce dernier a renoncé à sa demande d’asile en date du 24 février 2000, pour retourner dans son pays d’origine. Le délégué du gouvernement relève encore que la demanderesse se réfère à la situation générale qui existerait dans son pays, c’est-à-dire qu’elle n’exprimerait qu’un sentiment général d’insécurité, qui ne saurait établir une persécution systématique au sens de la convention de Genève. Il estime par conséquent que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame Friketa MURIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.

A l’audience, Maître Sandro LARUCCIA n’a pas souhaité rajouter d’éléments par rapport à ceux repris dans sa requête.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. – Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de Madame … MURIC-…, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse.

3 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame … MURIC-… lors de son audition par un agent du ministère de la Justice, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le tribunal constate que la demanderesse base ses craintes de persécution sur le fait que “ les musulmans sont maltraités par les serbes et à cause de sa religion ”. Elle affirme n’avoir pas subi personnellement des persécutions dues à sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou ses convictions politiques, soit des éléments qui peuvent constituer une crainte actuelle justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le tribunal doit constater qu’il n’existe aucun élément ou pièce au dossier qui est de nature à établir que la demanderesse a été poursuivie et condamnée pour des motifs prévus par l’article 1er, section A, 2 de la Convention de Genève. Par ailleurs, les visites auxquelles elle aurait été exposée de la part de l’armée, dans le cadre du refus de son mari de prolonger son service militaire, même à les supposer établies, ne sont pas d’une nature suffisamment grave pour justifier un risque de persécution de ce chef et de lui rendre à raison la vie intolérable dans son pays d’origine.

Il échet encore de constater que la demanderesse a déclaré ne jamais avoir eu des activités ou même des opinions politiques.

La demanderesse fait encore état de sa peur pour ses enfants, de sa peur de la situation politique dans son pays et du fait que son mari n’aurait pas de travail en Yougoslavie.

Toutefois, ces faits ont trait à la situation générale existant dans son pays d’origine qui, à elle seule, n’est pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique, ni même l’absence de travail de son mari.

Enfin, il ne ressort pas des éléments du dossier que Madame … MURIC-… risque de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion musulmane ou que de tels traitements lui ont été infligés dans le passé.

En ce qui concerne plus spécialement l’espionnage quotidien des membres de sa famille, et des agressions physiques très graves contre certains proches, à les supposer établis, et partant le prétendu risque actuel de subir des persécutions de la part d’un groupe de la population à son encontre, et partant, d’un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine face à ces actes de persécution, il convient de relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la 4 population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, la demanderesse fait état de menaces, mais surtout contre son mari, qui est retourné entre temps en Yougoslavie, sans démontrer que les autorités de son pays d’origine, à savoir le Monténégro ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à la population de cette région.

Il ressort de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge, Mme Everling, juge suppléant, Mme Kerschen, juge suppléant, et prononcé à l’audience publique du 8 mars 2001, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12370
Date de la décision : 08/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-08;12370 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award