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08/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12366

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mars 2001, 12366


Tribunal administratif N° 12366 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … SABANOVIC- … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12366 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Marc BOEVER, avocat à la Cour

, assisté de Maître Olivier LANG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats ...

Tribunal administratif N° 12366 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … SABANOVIC- … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12366 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Marc BOEVER, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier LANG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABANOVIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, …, … et … SABANOVIC, tous les sept de nationalité yougoslave, tous originaire du Monténégro, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000, notifiée le 4 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative, rendue sur recours gracieux, du 6 septembre 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 19 octobre 1998, Monsieur … SABANOVIC, préqualifié, et de son épouse, Madame … …, préqualifiée, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, …, SABANOVIC, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur et Madame SABANOVIC-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 4 novembre 1999, Monsieur SABANOVIC et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 2 juin 2000, notifiée le 4 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur et Madame SABANOVIC- … de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…)vous déclarez avoir quitté Bijelo Polje/Monténégro en date du 1er octobre 1998 vers Sarajevo, pour traverser à l’aide d’un passeur l’Italie en direction du Grand-Duché de Luxembourg, où vous avez déposé une demande d’asile en date du 19 octobre 1998.

Monsieur SABANOVIC, il ressort de vos déclarations que vous avez déserté de l’armée 6 mois après le commencement de votre service militaire en 1991 en Croatie. Comme raison de votre désertion vous indiquez le fait d’avoir dû participer à la guerre, ainsi que le fait de ne pas vouloir tuer. Vous ajoutez qu’après votre désertion, la police ne vous a pas recherché tout de suite et que ce n’est que pendant la guerre du Kosovo qu’elle s’est présentée trois fois chez vous afin de vous emmener à la guerre en tant que réserviste. A cet effet vous apportez une convocation. Afin d’éviter la réserve et la guerre, durant laquelle vous devriez tuer et risquer vous-même d’être tué, vous avez décidé de quitter le pays. Vous précisez avoir peur d’une peine d’emprisonnement prononcée par le Tribunal militaire ainsi que l’éclatement d’une guerre au Monténégro.

Vous relatez cependant ne pas avoir été maltraité ni avoir été membre d’un parti politique.

De votre côté, Madame …IC, vous confirmez les déclarations de votre mari, en ce qui concerne les raisons de votre fuite, due à des appels à la réserve de votre conjoint. Vous affirmez de plus avoir peur de la mauvaise politique menée dans votre pays, peur d’ailleurs liée à votre confession musulmane. D’après vous, les Musulmans sont toujours considérés comme des êtres inférieurs.

En ce qui concerne d’éventuelles persécutions, vous relevez ne pas en avoir subies personnellement.

Par conséquent, vous avez tous les deux basé votre demande d’asile d’abord sur le fait que Monsieur SABANOVIC a été appelé à la réserve et ensuite sur la peur de la situation générale régnant dans votre pays. A cet effet, vous, Monsieur SABANOVIC, vous invoquez une peur à l’égard de l’éclatement d’une guerre au Monténégro, tandis que vous Madame …, vous précisez que vous avez peur de la politique menée dans votre pays. Vous déclarez tous les deux ne pas avoir subi des mauvais traitements.

Concernant votre premier motif, à savoir la crainte d’une éventuelle sanction pénale en raison de l’insoumission, il faut relever que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d‘asile une crainte justifiée.

En outre, le fait pour vous deux, Monsieur et Madame SABANOVIC, d’avoir invoqué une peur générale à l’encontre de la situation régnant dans votre pays, sans pour autant avoir invoqué des mauvais traitements personnels, n’est pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais 2 aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève.

Dans ces circonstances, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 3 août 2000, Monsieur et Madame SABANOVIC-… firent introduire, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 2 juin 2000.

Par décision du 6 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 6 octobre 2000, Monsieur et Madame SABANOVIC -

… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 2 juin et 6 septembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation formulé, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font d’abord valoir la situation générale qui existerait actuellement au Monténégro : les musulmans y seraient les seuls perdants face aux monténégrins pro-serbes et aux « anti-Milosevic orthodoxes ». De plus, les rumeurs de risque d’attaque de la Serbie contre le Monténégro iraient bon train.

Les demandeurs font ensuite valoir qu’en quittant le Monténégro, ils auraient définitivement marqué leur opposition au régime actuellement en place. Ils exposent encore que Monsieur SABANOVIC aurait refusé de porter les armes, ce qui l’aurait mis en infraction avec les lois yougoslaves : il risquerait au mieux une peine d’emprisonnement, et au pire, il devrait subir la répression physique et morale, qui serait officiellement avalisée par les autorités yougoslaves en place. Les demandeurs précisent qu’ils auraient fait l’objet de persécutions directes des autorités yougoslaves, que Monsieur SABANOVIC aurait déserté de l’armée serbe en 1990, qu’ensuite, la police militaire, ainsi que certains réservistes, se seraient présentées à trois reprises à leur domicile afin d’emmener Monsieur SABANOVIC afin qu’il participe à la guerre qui venait d’éclater au Kosovo. Monsieur SABANOVIC se serait alors enfui et ceux qui seraient venus le chercher se seraient alors retournés contre les membres de la famille restés sur place, en les insultant en raison de leur religion et en les menaçant de mort.

3 Monsieur et Madame SABANOVIC-… donnent ensuite à considérer que depuis leur arrivée au Luxembourg, leur famille se serait agrandie de deux enfants, à savoir de …et…, nés le 23 avril 1999, que la petite …souffrirait d’une grave malformation cardiaque, et aurait déjà dû subir une intervention chirurgicale le 9 septembre 1999. Cet état de santé nécessiterait une surveillance constante, qui ne pourrait pas être assurée en cas de retour vers le Monténégro.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts SABANOVIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.

Le présent recours étant dirigé contre deux décisions ministérielles, le tribunal doit analyser la justification au fond des deux décisions de refus d’accorder le statut de réfugié politique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. – Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SABANOVIC et par Madame …, lors de leurs auditions respectives du 4 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus respectifs figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le ministre a légitimement pu motiver sa décision par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef de Monsieur SABANOVIC, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses 4 opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et le demandeur reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il y a lieu de relever que si la politique de M. Milosevic était contraire aux musulmans, le gouvernement actuellement en place a notamment institué un Ministère chargé des minorités. Par ailleurs, ce nouveau régime, démocratiquement élu, fait de nouveau partie de certaines organisations internationales, comme l’ONU.

Il convient d’en conclure que les demandeurs ne peuvent plus faire état d’un risque actuel de persécution au sens de la Convention de Genève en raison de leur crainte de subir de la part des autorités des actes de persécution du fait de leur appartenance ethnique et de leurs appartenance et rôle politique ou du fait de l’insoumission de Monsieur SABANOVIC résultant du fait qu’il n’a pas répondu aux convocations lui adressées, à l’époque où ils habitaient au Monténégro.

D’une manière générale, les demandeurs, en substance, n’ont fait état que d’un sentiment général d’insécurité au Monténégro et, en ce qui concerne Monsieur SABANOVIC, de sa peur de devoir aller à la guerre, sans cependant faire état d’un état de persécution vécu ou d’une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de leurs auditions, Madame … a répondu par « non » à la question si elle avait personnellement subi des persécutions. Monsieur SABANOVIC a répondu par « oui, j’ai été recherché par la police militaire, parce qu’elle voulait que j’aille à la guerre ». Il convient de préciser que la visite de la police militaire au domicile de Monsieur SABANOVIC, dans le cadre de son appel à la réserve l’armée, même à la supposer établie, n’est pas d’une gravité telle qu’elle puisse justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Les demandeurs n’ont pas été accusés d’un crime ou d’un délit, ni incarcérés avec ou sans jugement et ils n’établissent aucunement des raisons personnelles suffisamment précises de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine, notamment du fait de leur religion musulmane. Par ailleurs, ils ne démontrent point que le nouveau régime actuellement en place au Monténégro ne soit pas capable d’assurer un niveau de protection suffisant à la population dudit pays.

Quant à la situation de Madame …, il échet de constater qu’à part ses déclarations faites quant à l’état de santé de sa fille Enisa, elle n’a pas fait état d’un risque de persécution ou de persécutions qui lui seraient propres. Quant aux problèmes de santé de la fille mineure Enisa, aussi tragiques qu’ils puissent être, ils ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, étant donné que ni les problèmes de santé en question ni encore la qualité des soins que peuvent assurer les médecins dans son pays d’origine ne sont de nature à justifier une crainte de persécution dans son chef au sens de ladite Convention.

Enfin, il ne ressort pas des éléments du dossier que les consorts SABANOVIC-… risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur religion musulmane ou que de tels traitements leur ont été infligés dans le passé dans leur pays d’origine.

5 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation ;

le déclare également recevable en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge, Mme Everling, juge suppléant, Mme Kerschen, juge suppléant, et prononcé à l’audience publique du 8 mars 2001, M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12366
Date de la décision : 08/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-08;12366 ?

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