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08/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12365

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mars 2001, 12365


Tribunal administratif N° 12365 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … CEMAN, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12365 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, assisté de Maître Franca ALLEGRA, avocat, tous les deu

x inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CEMAN, né le … à Béra...

Tribunal administratif N° 12365 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … CEMAN, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12365 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, assisté de Maître Franca ALLEGRA, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CEMAN, né le … à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 5 juin 2000, notifiée le 14 juillet 2000 par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d'une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 6 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé le 2 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif au nom du demandeur, Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Aurélia FELTZ, en remplacement de Maître Michel MOLITOR, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 29 avril 1999, Monsieur … CEMAN, préqualifié, a introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

1 Monsieur … CEMAN fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 11 octobre 1999, Monsieur … CEMAN fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 5 juin 2000, notifiée le 14 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur … CEMAN de ce que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile à Bérane/ Monténégro le 31 mars 1999 en direction de Sarajevo, où vous avez séjourné pendant trois semaines en tant que réfugié. A l’aide de plusieurs passeurs et ensemble avec trois autres réfugiés vous avez ensuite transité la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France, pour arriver au Luxembourg en date du 28 avril 1999.

Vous exposez avoir quitté votre pays pour échapper à l’armée fédérale yougoslave, tout en précisant que vous ne voulez ni faire partie de l’armée de M. Milosévic, ni être obligé de tuer. Vous affirmez ne pas avoir accompli le service militaire au moment de votre fuite pour le Luxembourg, ni avoir reçu un appel. Cependant vous ajoutez avoir reçu une convocation pour le service militaire en mai 1999, époque où vous étiez déjà au Luxembourg.

Comme raisons vous empêchant de rentrer dans votre pays d’origine, vous invoquez d’abord une crainte à l’égard de l’éclatement d’une nouvelle guerre au Sandzak et ensuite la mauvaise situation générale y régnant ; ainsi il serait difficile de trouver un emploi dans votre pays et les Musulmans seraient toujours considérés comme des êtres à part.

Il ressort également du rapport d’audition que vous ne vous intéressez pas à la politique, bien que vous ayez tendance à vous exprimer en faveur du parti de Djukanovic. De plus, vous déclarez ne pas avoir subi de persécutions personnelles.

Concernant votre premier motif invoqué à l’appui de votre demande d’asile, à savoir la crainte de devoir faire partie de l’armée fédérale yougoslave et de devoir tuer, il y a lieu de retenir que, même à supposer la convocation de l’armée précitée comme réellement donnée, l’article 1er de la Convention de Genève énumère limitativement les motifs pour lesquels le statut de réfugié peut être accordé, à savoir une persécution du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou en raisons d’opinions politiques, considérant que d’après ces dispositions expressément limitatives une convocation de l’armée ne saurait être considérée comme persécution et que dès lors l’insoumission ne saurait valoir comme motif pour une reconnaissance automatique du statut sollicité au sens de la Convention de Genève.

Quant aux autres motifs invoqués, à savoir la crainte de l’éclatement d’une guerre, la mauvaise situation en général et la difficulté de trouver un emploi en particulier, il y a lieu de noter que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève. Or, concernant votre situation particulière, vous ne faites valoir aucune raison personnelle rendant votre vie intolérable dans votre pays.

2 Par conséquent, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par lettre datée du 14 août 2000, réceptionnée le même jour au ministère de la Justice, Monsieur … CEMAN a introduit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 5 juin 2000.

Par décision du 6 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 6 octobre 2000, Monsieur … CEMAN a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 5 juin et 6 septembre 2000.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, au motif que les dispositions légales applicables en la matière prévoiraient un recours au fond.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro, de religion musulmane et qu'il ne peut plus pratiquer librement sa religion sans crainte de représailles. Il fait encore valoir "qu'il craint pour sa personne en raison du fait qu'il figure sur la liste des réservistes, qu'il a fui son pays menacé et que le fait de l'avoir quitté dans de telles circonstances alors qu'il savait qu'il pourrait être appelé par l'armée serait à qualifier de désertion." Il fait encore état de ce que la Yougoslavie connaîtrait une situation politique et générale plus qu'instable alors que l'ancien président refuserait d'accepter sa défaite au scrutin 3 du 24 septembre 2000 et qu'en particulier au Monténégro, le risque d'affrontements entre la police sympathisant avec les opposants et l'armée yougoslave serait très grand.

Le demandeur estime dès lors avoir établi des "craintes légitimes de persécution" en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou en raison de ses opinions politiques, conformément aux exigences de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement conclut au débouté du recours exercé par le demandeur au motif que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … CEMAN.

En l'espèce, le demandeur invoque deux arguments à l'appui de son recours, à savoir d'un côté son insoumission et d'autre part, la crainte de la guerre et la peur d'être persécuté en raison de sa confession musulmane.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … CEMAN lors de son audition du 11 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Les déclarations faites par le demandeur, notamment ses craintes en raison de sa religion musulmane, constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de son audition, il est resté très vague dans ses déclarations, qu’il a précisé ne pas avoir été persécuté, qu’il n’a pas été accusé d’un crime ou d’un délit, ni incarcéré avec ou sans jugement et qu’il n’établit aucunement une raison personnelle suffisamment précise de nature à justifier 4 dans son chef une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa religion musulmane ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève.

En ce qui concerne plus particulièrement la crainte de Monsieur … CEMAN de subir des représailles en raison du fait qu'il a refusé d'intégrer la réserve militaire, malgré une convocation au mois de mai 1999, force est de constater que l'insoumission ne constitue pas à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, alors qu'elle ne saurait à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d'asile une crainte justifiée de persécution (v. en ce sens, TA, 7 juillet 1999, n°10861, Ajdarpasic, confirmé par arrêt du 11 novembre 1999, n° 11454C).

Il convient encore de constater que le conflit armé entre l'ex-Yougoslavie et le Kosovo est terminé de sorte qu'il n'est pas établi que l'accomplissement du service militaire au sein de l'armée fédérale yougoslave auquel il devra le cas échéant se soumettre à son retour, imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valable justifieraient de refuser.

Finalement, en ce qui concerne la peur de la guerre invoquée par Monsieur … CEMAN, il y a lieu de noter qu'il ne suffit pas que le tribunal administratif se réfère à la situation générale du pays d'origine mais qu'il doit en toute hypothèse examiner la situation concrète et individuelle du demandeur d'asile et vérifier si sa situation subjective a été telle qu'elle laissait supposer un danger pour sa personne ( TA 23 décembre 1999, n°11262 Marukashvili).

Ainsi le sentiment général d'insécurité dont se prévaut le demandeur, n'est pas suffisant pour constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, ni d'ailleurs des craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable (v. en ce sens, TA 14 juillet 1999, n° 10972, Maloku, confirmé par arrêt du 30 novembre 1999, n° 11469C).

Il découle de ce qui précède que les arguments et déclarations faits par le demandeur constituent l'expression d'un sentiment général de peur, sans qu'il ne fasse état d'une persécution vécue ou d'une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d'origine.

Le recours en réformation du demandeur est dès lors à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs:

le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

5 M. Campill, premier juge Mme. Everling, juge suppléant Mme. Kerschen, juge suppléant et prononcé à l’audience publique du 8 mars 2001, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12365
Date de la décision : 08/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-08;12365 ?

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