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08/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12363

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mars 2001, 12363


Tribunal administratif N° 12363 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … BAHOVIC, son épouse Madame … BAHOVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12363 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Fabio TREVISAN, avocat à la Cour, assisté de

Maître Candice WISER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au n...

Tribunal administratif N° 12363 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … BAHOVIC, son épouse Madame … BAHOVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12363 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Fabio TREVISAN, avocat à la Cour, assisté de Maître Candice WISER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BAHOVIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro), sans état particulier, et de son épouse, Madame … BAHOVIC-…, née le … à Berane (Monténégro), sans état particulier, agissant pour eux-mêmes ainsi que pour le compte de leurs enfants mineurs, … et … BAHOVIC, tous les quatre de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation de deux décisions du ministre de la Justice des 22 juin et 8 septembre 2000, par lesquelles il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Candice WISER, en remplacement de Maître Fabio TREVISAN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 20 mai 1999, Monsieur … BAHOVIC, préqualifié, et son épouse Madame … BAHOVIC-…, préqualifiée, agissant pour eux-mêmes ainsi que pour le compte de leurs enfants mineurs, … et … BAHOVIC, ont introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, 1 approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Les époux BAHOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 23 juillet 1999, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 22 juin 2000, notifiée le 4 août 2000, le ministre de la Justice informa les époux BAHOVIC-… de ce que leur demande d’asile avait été rejetée.

Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations qu'en date du 12 mai 1999 vous avez quitté Berane/Monténégro en taxi en direction de Sarajevo, où vous avez trouvé un passeur qui a proposé de vous conduire au Luxembourg. Quant au chemin emprunté, vous prétendez ne pas pouvoir donner de précisions.

Monsieur BAHOVIC, vous déclarez avoir quitté votre pays en raison de la guerre.

Vous précisez avoir été emmené de force à la réserve le 5 avril 1999, mais avoir déserté une semaine après du fait que vous n’avez pas voulu aller au Kosovo. Vous ajoutez que vous ne voulez ni tuer, ni être tué. Vous relevez qu’en cas de retour dans votre pays vous craignez une peine de prison en raison de votre désertion. De plus vous exposez avoir peur que la guerre éclate au Monténégro en précisant que cette peur serait liée à votre confession musulmane.

Vous relatez cependant ne pas avoir été maltraité, ni avoir été membre d’un parti politique.

De votre côté, Madame BAHOVIC, vous confirmez les déclarations de votre mari en ce qui concerne votre fuite. Vous affirmez de plus avoir été persécutée par vos voisins serbes qui auraient menacé d’enlever vos enfants et qui vous auraient conseillé de quitter le pays.

Concernant les motifs invoqués à l’appui de vos demandes d’asile, il y a lieu de relever en premier lieu que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée de persécution.

Quant à votre peur de la guerre en général, il faut noter qu’une telle peur n’est pas de nature à justifier une persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance de statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève.

Par conséquent, vous ne faites pas état de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que votre vie vous serait, à raison, intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

2 Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par lettre datée du 4 septembre 2000, les époux BAHOVIC-… ont introduit, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 juin 2000, notifiée le 4 août 2000.

Par décision du 8 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 6 octobre 2000, les époux BAHOVIC-…, agissant pour eux-mêmes ainsi que pour le compte de leurs enfants mineurs, … et … ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions du ministre de la Justice précitées des 22 juin et 8 septembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile et 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées de sorte que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par les époux BAHOVIC-….

Le recours introduit, dans les formes et délai de la loi, est également recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, originaires du Monténégro, font exposer que depuis la déclaration de l'état de guerre en date du 24 avril 1999 par le parlement yougoslave, la région des Balkans, et plus particulièrement le Kosovo, le Monténégro et la Serbie, serait une région hautement instable et à ce point conflictuelle qu'aujourd'hui encore des troupes des Nations Unies y serait mobilisées pour contenir les risques que n'éclate un conflit.

Ils font encore valoir que Monsieur … BAHOVIC aurait en date du 5 avril 1999 été enrôlé de force à la réserve et qu'il aurait déserté une semaine plus tard alors qu'il craignait pour sa sécurité eu égard à sa conviction religieuse -il est de confession musulmane- et ses opinions politiques.

Finalement, ils déclarent que Monsieur … BAHOVIC aurait été "membre d'un parti d'opposition, à savoir le Parti d'Action Démocratique (ci-après SDA), non reconnu par la majorité orthodoxe, qu'en vue des élections, il collait des affiches électorales à travers la région, s'occupait à récolter des signatures pour le soutien de son parti et lors des élections constituait le bureau des élections chargé de recevoir les bulletins de vote". Ils ajoutent qu'il aurait subi de nombreuses pressions de la part de ses collègues de travail et de la police qui l'auraient menacé de mort. Par ailleurs, de proches voisins auraient à plusieurs reprises tiré des coups de feu sur leur maison en raison des affinités politiques de … BAHOVIC.

Les demandeurs estiment dès lors avoir établi des craintes justifiées de persécution en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social 3 ou en raison de leurs opinions politiques, conformément aux exigences de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement conclut au débouté du recours exercé par les demandeurs au motif que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts BAHOVIC-….

En l'espèce, les demandeurs invoquent deux arguments à l'appui de leur recours, à savoir d'un côté la désertion de Monsieur … BAHOVIC de la réserve et son appartenance au parti d'opposition SDA et d'autre part, la situation générale qui régnerait toujours dans leur pays d'origine de sorte qu'ils craignent d'être persécutés à leur retour au pays.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux BAHOVIC-… lors de leurs auditions respectives du 23 juillet 1999, telles que celles-ci ont été reproduites dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Ainsi les déclarations faites par les époux BAHOVIC-…, notamment leurs craintes en raison de leur religion musulmane, constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu'ils n’aient établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Dans ce contexte, il convient de relever que, lors de son audition par un agent du Ministère de la Justice, Monsieur … BAHOVIC est resté très vague dans ses déclarations et contrairement à ce qu'il affirme actuellement, il n'a, parmi les motifs de persécutions invoqués, en aucune façon fait état du rôle qu'il aurait joué au sein du parti d'opposition SDA. Tout au contraire, il a précisé qu'il n'a pas été membre d'un parti politique ou groupe social défendant 4 les intérêts de la personne, que la politique ne l'intéressait qu'un "tout petit peu", qu'il n'a jamais été actif, qu'il n'a pas été persécuté physiquement et qu’il n’a pas été accusé d’un crime ou d’un délit, ni incarcéré avec ou sans jugement. Or, pareille contradiction n'est pas de nature à conforter la crédibilité des déclarations de Monsieur … BAHOVIC.

Ceci étant, même à supposer que les faits actuellement invoqués par … BAHOVIC soient établis et s’il est vrai que les activités dans un parti d'opposition peuvent justifier des craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève, il n'en demeure pas moins que la simple qualité de membre d'un tel parti ne constitue pas à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié. En l'espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier auxquels le tribunal peut avoir égard que les activités de … BAHOVIC aient été d'une importance telle que la reconnaissance du statut de réfugié politique soit justifiée.

En ce qui concerne la crainte de … BAHOVIC de subir des représailles en raison de sa désertion, force est de constater que la désertion ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, alors qu'elle ne saurait à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d'asile une crainte justifiée de persécution (v. en ce sens, TA, 7 juillet 1999, n°10861, Ajdarpasic, confirmé par arrêt du 11 novembre 1999, n° 11454C).

Si … BAHOVIC déclare encore craindre une peine d'emprisonnement en raison de sa désertion, il ne ressort cependant pas à suffisance de droit des éléments de l’espèce que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évaluation de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont encore exécutés effectivement.

Quant à Madame … BAHOVIC-…, elle reste à son tour en défaut d'établir un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant donné que les seuls faits "qu'un voisin serbe les aurait menacés d'enlever leurs enfants, que les Serbes leur auraient dit de partir et qu'ils auraient chanté des chansons nationalistes", en l'absence d'éléments plus circonstanciés, à les supposer établis, ne constituent pas des actes d’une gravité suffisante justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Finalement, en ce qui concerne la peur de la guerre en général invoquée par les époux BAHOVIC-…, il y a lieu de noter qu'il ne suffit pas que le tribunal administratif se réfère à la situation générale du pays d'origine mais il doit en toute hypothèse examiner la situation concrète et individuelle des demandeurs d'asile et vérifier si leur situation subjective a été telle qu'elle laissait supposer un danger pour leur personne (TA 23 décembre 1999, n°11262 Marukashvili).

5 Or, les époux BAHOVIC-… n'ont fourni au tribunal aucun élément concret qui permettrait de retenir une crainte justifiée que leur personne ainsi que celles de leurs enfants mineurs seraient exposées à des dangers particuliers dans leur pays d'origine.

Le recours en réformation des demandeurs est donc à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs:

le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge Mme. Everling, juge suppléant Mme. Kerschen, juge suppléant et prononcé à l’audience publique du 8 mars 2001, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12363
Date de la décision : 08/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-08;12363 ?

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