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08/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12362

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mars 2001, 12362


Tribunal administratif N° 12362 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Madame … CRNIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12362 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Anne MOREL, avocat à la Cour, assistée de Maître Lionel BERTHELET, tous les deux inscrits au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … CRNIC, née le … à Rozaje (Monténégro),...

Tribunal administratif N° 12362 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Madame … CRNIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12362 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 par Maître Anne MOREL, avocat à la Cour, assistée de Maître Lionel BERTHELET, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … CRNIC, née le … à Rozaje (Monténégro), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision sur recours gracieux prise par le ministre de la Justice le 6 septembre 2000, confirmant dans son intégralité sa décision du 2 juin 2000, notifiée le 4 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Lionel BERTHELET, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 21 mars 2000, Madame … CRNIC, préqualifiée, a introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Madame … CRNIC fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Le 26 avril 2000, Madame … CRNIC fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 2 juin 2000, notifiée le 4 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Madame … CRNIC de ce que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile au Monténégro fin février/ début mars 2000 en direction de Sarajevo, où vous avez séjourné pendant 10 jours chez des amis. De Sarajevo, vous êtes venue au Luxembourg à l’aide d’un passeur en traversant la Croatie, la Slovénie, l’Autriche et l’Allemagne.

Vous déclarez avoir fui votre pays en raison de l’armée s’étant installée au Monténégro, ainsi qu’en raison de la mauvaise situation y régnant, en précisant qu’il y a beaucoup de mauvais traitements et de viols dans votre pays.

Ne sachant pas quelles seront les conséquences d’un éventuel retour dans votre pays, vous invoquez cependant une peur générale à l’égard des militaires, ainsi qu’une peur du fait que vous êtes née d’un mariage mixte, de père musulman et de mère orthodoxe.

Vous déclarez ne pas avoir d’opinions politiques, ni avoir été persécutée personnellement.

Quant au motifs invoqués à l’appui de votre demande d’asile, force est de constater que vous n’êtes pas exposée à un risque de persécution en raison de votre appartenance ethnique, de votre religion ou de vos opinions politiques. En n’invoquant qu’une peur générale à l’encontre des militaires et de la mauvaise situation en générale régnant dans votre pays, sans pour autant faire preuve d’une persécution personnelle, vous n’êtes pas sujet à pouvoir bénéficier du statut de réfugié. En effet, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par lettre datée du 2 août 2000, réceptionnée au ministère de la Justice le 4 août 2000, Madame … CRNIC a introduit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 2 juin 2000.

Par décision du 6 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 6 octobre 2000, Madame … CRNIC a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre de la Justice du 6 septembre 2000, confirmative sur recours gracieux de celle du 2 juin 2000, notifiée le 4 juillet 2000.

2 Une décision prise sur recours gracieux, purement confirmative d'une décision initiale tire son existence de cette dernière, et, dès lors, les deux doivent être considérées comme formant un seul tout. Il s’ensuit qu’un recours introduit en temps utile contre la seule décision confirmative est valable (cf. Trib. adm. 21 avril 1997, n° 9459 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure contentieuse, n° 46 et autres références y citées).

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile et 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Madame … CRNIC.

Le recours ayant été introduit, dans les formes et délai de la loi, il est également recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse, originaire du Monténégro, fait exposer que la situation générale de son pays d'origine "reste encore aujourd'hui très conflictuelle au point de requérir la présence permanente des troupes des Nations Unies" et que "la condition de la minorité musulmane dont elle fait partie serait souvent délicate".

Elle soutient encore que deux de ses frères seraient actuellement recherchés par la police militaire serbe, qu'un deux aurait dû fuir son pays alors que l'autre se cacherait au Monténégro et que les persécutions dont font l'objet ses frères peuvent justifier dans son chef une crainte légitime de subir le même sort.

Elle conclut dès lors avoir établi des craintes justifiées de persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou en raison de ses opinions politiques, conformément aux exigences de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement conclut au débouté du recours exercé par la demanderesse au motif que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame … CRNIC.

En l'espèce, la demanderesse invoque deux arguments principaux à l'appui de son recours tenant d'une part à la situation générale de son pays d'origine et d'autre part à l'insoumission de ses frères.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame … CRNIC lors de son audition du 26 avril 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Ainsi les déclarations faites par la demanderesse, notamment "ses craintes à l'égard des militaires en raison du fait qu'elle soit née d'un mariage mixte, son père étant musulman et sa mère orthodoxe et de la mauvaise situation en général", constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que la demanderesse n’ait établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de son audition, elle est restée très vague dans ses déclarations, qu’elle a précisé ne jamais avoir été persécutée physiquement, qu’elle n’a pas été accusée d’un crime ou d’un délit, ni incarcérée avec ou sans jugement et qu’elle n’établit aucunement une raison personnelle suffisamment précise de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée d’être persécutée dans son pays d’origine du fait de sa religion musulmane ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève.

Concernant le motif lié à l'insoumission et la recherche de ses deux frères par la police militaire serbe, invoqué pour la première fois par la demanderesse dans le cadre du recours gracieux, il convient de relever que l'insoumission ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine.

Madame … CRNIC n'a dès lors ni fait état de persécutions contre des proches parents ni d'une persécution vécue ou d'une crainte qui seraient telles que sa personne serait exposée à des dangers particuliers dans son pays d'origine.

Le recours en réformation de la demanderesse est dès lors à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs:

le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme;

4 au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge Mme. Everling, juge suppléant Mme. Kerschen, juge suppléant et prononcé à l’audience publique du 8 mars 2001, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12362
Date de la décision : 08/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-08;12362 ?

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