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08/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12353

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mars 2001, 12353


Tribunal administratif N° 12353 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … DURAKOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12353 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2000 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Sara ANTINORI, avocat, tous les de

ux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DURAKOVIC, né le … à...

Tribunal administratif N° 12353 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … DURAKOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12353 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2000 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Sara ANTINORI, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DURAKOVIC, né le … à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 juin 2000, notifiée le 25 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 6 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000;

Vu le mémoire en réplique de … DURAKOVIC déposé au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sara ANTINORI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 20 mai 1999, Monsieur … DURAKOVIC, préqualifié, a introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

1 Monsieur DURAKOVIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 23 août 1999, Monsieur DURAKOVIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 7 juin 2000, notifiée le 25 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur DURAKOVIC de ce que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Vous indiquez avoir quitté le Monténégro le 7 mai 1999 pour arriver au Luxembourg en date du 17 mai 1999, en passant par Sarajevo. Vous expliquez avoir choisi le Luxembourg comme pays d’accueil parce qu’il y a beaucoup de réfugiés qui y sont venus.

Vous déclarez avoir quitté votre pays à cause de la guerre et parce que vous avez été appelé à faire le service militaire. N’ayant pas envie d’aller à l’armée et d’y être tué, vous avez préféré prendre la fuite. Vous précisez qu’au front les Musulmans, placés toujours au premier rang, sont obligés de tirer sur l’ennemi sous peine d’être tués eux-mêmes par les Serbes. Vous relevez qu’en cas de retour dans votre pays vous craignez une condamnation en raison de l’insoumission. Vous avez peur de la prison.

Vous indiquez d’autre part être partisan du parti SDA, mais ne pas avoir eu une carte de membre. Vous prétendez avoir été arrêté à plusieurs reprises par la police militaire, vous ayant demandé si vous étiez membre d’un parti politique. Tout en affirmant avoir peur des mauvais traitements, vous déclarez cependant ne pas avoir été frappé par la police militaire.

Selon vos dires, votre peur serait liée à votre confession musulmane du fait que les Musulmans n’auraient pas de droits dans votre pays.

Concernant les motifs invoqués à l’appui de votre demande d’asile, il y a lieu de relever en premier lieu que la crainte d’une éventuelle condamnation en raison de l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisque l’insoumission ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée de persécution telle que prévue par la Convention de Genève.

Par ailleurs, le fait d’avoir invoqué une peur à l’égard de la guerre ainsi qu’à l’égard des mauvais traitements en général, peur qui serait liée à votre religion musulmane, sans pour autant avoir invoqué des mauvais traitements personnels, n’est pas de nature à justifier une persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève. De plus, il ne ressort pas que la situation actuelle serait telle que tout Musulman, du fait de sa seule confession, aurait raison de craindre une persécution.

Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par lettre datée du 24 août 2000, réceptionnée au ministère de la Justice le lendemain, Monsieur DURAKOVIC a introduit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 7 juin 2000.

Par décision du 6 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 5 octobre 2000, Monsieur DURAKOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 7 juin et 6 septembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile et 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Monsieur DURAKOVIC.

Le recours ayant été introduit, dans les formes et délai de la loi, il est également recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro, qu'il appartient à la minorité des slaves musulmans, qu’il "ne se serait pas présenté au service militaire en dépit de plusieurs appels dont le plus récent date du 8 septembre 2000 et qu’en cas de retour dans son pays d’origine il risquerait de se faire arrêter pour désobéissance aux militaires et de subir des mauvais traitements en raison de sa qualité de musulman ayant refusé de rejoindre l'armée." Il estime dès lors avoir établi des craintes justifiées de persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou en raison de ses opinions politiques, conformément aux exigences de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement conclut au débouté du recours exercé par le demandeur au motif que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur DURAKOVIC.

En l'espèce, le demandeur invoque deux arguments à l'appui de son recours, à savoir d'un côté son insoumission au service militaire et la peur de devoir comparaître pour ce fait devant un tribunal militaire s'il était contraint de retourner dans son pays et d'autre part, les persécutions exercées contre la minorité musulmane dans son pays d'origine.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait 3 de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur DURAKOVIC lors de son audition du 23 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Les déclarations faites par le demandeur, notamment ses craintes "de la prison et des maltraitements" en raison de sa religion musulmane, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de son audition, il est resté très vague dans ses déclarations, qu’il a précisé ne pas avoir été personnellement persécuté, qu’il n’a pas été accusé d’un crime ou d’un délit, ni incarcéré avec ou sans jugement et qu’il n’établit aucunement une raison personnelle suffisamment précise de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa religion musulmane ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève. Dans ce contexte, il convient de relever que le seul fait d'être partisan du Parti d'Action Démocratique (en abrégé SDA) sans pour autant avoir la qualité de membre et d'avoir à plusieurs reprises été interrogé à ce sujet par la police militaire sans avoir fait l'objet de maltraitements, à le supposer établi, ne constitue pas une circonstance d'une gravité suffisante justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne sa crainte de représailles en raison du fait qu'il ne s'est pas présenté pour effectuer son service militaire, force est de constater que l'insoumission ne constitue pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié et, compte tenu des récentes améliorations de la situation en Yougoslavie, et qu’il ne ressort des éléments du dossier ni que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été effectivement infligés ou risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Enfin, il n’est pas non plus établi que le demandeur risque de subir un traitement discriminatoire en raison de son 4 appartenance religieuse ou de sa désertion lors de l’exécution d’une condamnation éventuelle à une peine d’emprisonnement.

Il découle de ce qui précède que les arguments et déclarations du demandeur constituent l'expression d'un sentiment général de peur, sans qu'il ne fasse état d'une persécution vécue ou d'une crainte qui seraient telles que sa personne serait exposée à des dangers particuliers dans son pays d'origine.

Le recours en réformation du demandeur est dès lors à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge Mme. Everling, juge suppléant Mme. Kerschen, juge suppléant et prononcé à l’audience publique du 8 mars 2001, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12353
Date de la décision : 08/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-08;12353 ?

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