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08/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12351

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mars 2001, 12351


Tribunal administratif N° 12351 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12351 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2000 par Maître Jean-Luc FISCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Marion LALEVE, avocat, tous les deux i

nscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Dobro...

Tribunal administratif N° 12351 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 octobre 2000 Audience publique du 8 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12351 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2000 par Maître Jean-Luc FISCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Marion LALEVE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Dobrodole/Berane (Monténégro), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 7 juin 2000, notifiée le 17 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 6 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marion LALEVE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 avril 1999, Monsieur … SABOTIC, préqualifié, a introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

1 Monsieur SABOTIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 24 août 1999, Monsieur SABOTIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 7 juin 2000, notifiée le 17 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur SABOTIC de ce que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile au Monténégro en début avril 1999 en bus en direction de Sarajevo, où vous avez séjourné pendant 4 ou 5 jours. De Sarajevo, vous êtes alors venu au Luxembourg à l’aide d’un passeur.

Vous déclarez avoir quitté votre pays en raison de la guerre et parce qu’en date du 14 avril 1999 vous avez été appelé à faire le service militaire. Ayant peur de la guerre et des bombardements de l’OTAN, vous avez refusé l’appel en précisant que vous ne voulez ni tuer, ni être tué. Vous relevez qu’en cas de retour dans votre pays vous craignez une peine d’emprisonnement en raison de l’insoumission.

Vous affirmez d’autre part avoir subi des persécutions lors de contrôles d’identité effectués par la police. Les policiers vous auraient forcé de sortir de la voiture et vous auraient injurié et traité de « Turc » en raison de votre confession musulmane, sans pourtant vous avoir maltraité physiquement. Vous ajoutez de plus avoir été injurié par les citoyens serbes qui vous auraient conseillé de quitter le pays.

Concernant votre premier motif, à savoir la crainte d’une peine de prison en raison de l’insoumission, il y a lieu de relever que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée.

Quant à votre peur de la guerre et des bombardements de l’OTAN, force est de constater que la guerre est terminée et que dès lors les bombardements de l’OTAN ont cessé.

Concernant les autres faits invoqués, même à les supposer établis, ils ne sont pas d’une gravité telle qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ces circonstances, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

2 Par lettre datée du 10 août 2000, réceptionnée au ministère de la Justice le lendemain, Monsieur SABOTIC a introduit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 7 juin 2000.

Par décision du 6 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 5 octobre 2000, Monsieur SABOTIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 7 juin 2000 respectivement 6 septembre 2000.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, au motif que les dispositions légales applicables en la matière prévoiraient un recours au fond.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro, de religion musulmane et qu’en cas de retour dans son pays d’origine il risquerait d’être persécuté et de surcroît condamné à une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 20 ans en raison du fait qu’il ne se serait pas présenté au service militaire et aurait fui son pays.

Il fait valoir que le gouvernement fédéral aurait nié la constitutionnalité de la loi d'amnistie adoptée par le Parlement de la République du Monténégro en faveur des déserteurs qui ont fui lors des bombardements de l'OTAN au motif que les lois d'amnistie relèveraient de la compétence de l'assemblée fédérale de la République Fédérale de la Yougoslavie de sorte que cette loi ne serait pas d'application.

Il soutient encore que pendant les mois d'avril et mai 1999, l'OTAN dont le Luxembourg fait partie a appelé la population de la République Fédérale de Yougoslavie à déserter, à résister et à désobéir aux autorités fédérales de sorte qu'il serait dès lors incohérent d'encourager d'une part l'insoumission et de refuser d'autre part d'assister les personnes qui par une telle insoumission risquent de payer un lourd tribut.

Il reproche au ministre de la Justice d'avoir conclut que la peur de Monsieur SABOTIC quant à la guerre et aux bombardements ne serait plus justifiée au motif que la guerre serait terminée alors qu'un nouveau conflit armé s'annoncerait actuellement au Monténégro qui subirait des provocations répétées du régime de Belgrade.

3 Pour le surplus, il soulève qu'il aurait fait l'objet d'injures de la part de policiers et de citoyens serbes et que lors d'un retour à son pays d'origine il risquerait d'être persécuté du fait de sa nationalité et de sa religion.

Le demandeur estime dès lors avoir établi des craintes justifiées de persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou en raison de ses opinions politiques, conformément aux exigences de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement conclut au débouté du recours exercé par le demandeur au motif que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SABOTIC.

En l'espèce, le demandeur invoque deux arguments à l'appui de son recours, à savoir d'un côté son insoumission et la peur de devoir comparaître pour ce fait devant un tribunal militaire s'il était contraint de retourner dans son pays et d'autre part, la situation générale qui régnerait toujours dans son pays d'origine.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SABOTIC lors de son audition du 24 août 1999, telles que celles-ci ont été reproduites dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Les déclarations faites par le demandeur, notamment ses craintes à l’égard de la police en raison de sa religion musulmane, constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de son audition, il est resté très vague dans ses déclarations, qu’il a précisé ne pas avoir été persécuté physiquement, qu’il n’a pas été accusé d’un crime ou d’un délit, ni 4 incarcéré avec ou sans jugement et qu’il n’établit aucunement une raison personnelle suffisamment précise de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa religion musulmane ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève. - Dans ce contexte, il convient de relever que le fait d'avoir été forcé de descendre de son véhicule lors de contrôles d'identité effectués par des policiers, d'avoir été injurié et traité de "turc" ainsi que d'avoir été menacé verbalement de la part de citoyens serbes, à les supposer établis, ne constituent pas des faits d’une gravité suffisante justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant le motif de l'insoumission, il convient de relever que l'insoumission ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

Il convient encore de constater que le conflit armé entre l'ex-Yougoslavie et le Kosovo est terminé de sorte qu'il n'est pas établi que l'accomplissement du service militaire au sein de l'armée fédérale yougoslave auquel le demandeur devra le cas échéant se soumettre à son retour, imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valable justifieraient de refuser.

L'argument du demandeur consistant à dire qu'il risque une peine d'emprisonnement de plusieurs années eu égard à son insoumission ne saurait être retenu dans la mesure où Monsieur SABOTIC n'a ni prouvé ni même allégué qu'un jugement de condamnation serait intervenu à son encontre de sorte que sa crainte n'étant dès lors pas justifiée. A cet égard, il convient encore de relever qu’il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur SABOTIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont encore exécutés effectivement.

Il découle de ce qui précède que les arguments et déclarations faits par le demandeur constituent l'expression d'un sentiment général de peur, sans qu'il ne fasse état d'une persécution vécue ou d'une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d'origine.

Le recours en réformation du demandeur est dès lors à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs:

5 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge Mme. Everling, juge suppléant Mme. Kerschen, juge suppléant et prononcé à l’audience publique du 8 mars 2001, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12351
Date de la décision : 08/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-08;12351 ?

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