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07/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12599

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2001, 12599


Tribunal administratif du N° 12599 du rôle Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par Madame … HUREMOVIC, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12599 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … HUREMOVIC, née le … à Podgorica ...

Tribunal administratif du N° 12599 du rôle Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par Madame … HUREMOVIC, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12599 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … HUREMOVIC, née le … à Podgorica (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 19 juillet 2000, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 novembre 2000 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 janvier 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2001 au nom du demandeur ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 mars 2001.

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Madame … HUREMOVIC, préqualifiée, introduisit en date du 6 mai 1999 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Elle fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

En date du 8 juillet 1999, elle fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame HUREMOVIC par lettre du 19 juillet 2000, lui notifiée en date du 19 septembre 2000, que sa demande d’asile avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations qu’en date du 4 mai 1999 vous avez quitté Podgorica en compagnie d’autres membres de votre famille. Vous dites avoir fait une partie du chemin à pied, pour le reste vous avez voyagé à bord d’une camionnette Mercedes de couleur blanche. Vous ne pouvez pas donner d’autres renseignements quant au chemin emprunté. Vous êtes arrivé à Luxembourg le 6 mai 1999 et vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour même.

Vous avez exposé que vous avez quitté votre pays à cause des nationalistes. Dans ce contexte vous insistez sur les démêlés que vous avez eus avec vos voisins. Vous affirmez même avoir été attaquée une fois par votre voisine, mais d’une manière générale la querelle de voisinage semble s’être limitée à des menaces et insultes proférées par vos voisins à votre égard.

Vous affirmez par ailleurs ne pas être membre d’un parti politique ni avoir d’opinions politiques.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) » ;

Le recours gracieux introduit par Madame HUREMOVIC par l’intermédiaire de son mandataire en date du 19 octobre 2000 à l’encontre de la décision ministérielle précitée s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 8 novembre 2000, elle a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions précitées des 19 juillet et 8 novembre 2000 par requête déposé en date du 13 décembre 2000.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, prévoyant expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal est compétent pour connaître du recours introduit, lequel est également recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

2 A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que les décisions déférées relèveraient d’une erreur manifeste d’appréciation des faits en ce sens que ce serait à tort que le ministre est arrivé à la conclusion que les faits par elle invoqués ne justifient pas l’existence dans son chef d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Elle se réfère plus particulièrement aux menaces proférées à l’égard de sa personne et d’autres membres de sa famille par des voisins qui leur auraient dit qu’ils allaient les violer, les tuer, leur couper les doigts, ainsi qu’au fait que l’un de ses frères aurait été blessé par un serbe et que l’autre, plus jeune, aurait été frappé par des voisins, tout en relevant que des plaintes afférentes auraient été classées sans suite par le pouvoir en place. Elle signale encore avoir précisé lors de son audition par un agent du ministère de la Justice que sa crainte de persécution serait liée en partie à sa nationalité et à la montée inquiétante du nationalisme, de sorte qu’il serait clair que son départ de son pays d’origine aurait été motivé par le fait que l’ensemble de sa famille a fait l’objet de discriminations par les autorités serbes en raison de son appartenance à la minorité bochniaque. Elle relève encore que sa famille aurait été agressée et persécutée par la suite en raison de l’insoumission de son frère, ainsi que pour ne pas avoir obtempéré aux injonctions de personnes d’origine serbe, lesquelles n’auraient pas souhaité la présence de la famille HUREMOVIC, de confession musulmane, dans leur quartier très majoritairement peuplé de serbes. Elle estime dès lors que ce serait à tort que le ministre aurait considéré sa demande comme manifestement dénuée de tout fondement.

Le délégué du gouvernement rétorque que la décision déférée serait justifiée, étant donné que la demanderesse se serait contentée de relater des incidents avec des voisins sans citer d’autres événements, qu’elle n’aurait fait partie d’aucun parti politique, qu’elle n’aurait pas d’opinions politiques et que les persécutions prétendument subies se limiteraient à des insultes et menaces de la part de voisins. Il relève encore qu’au lieu de solliciter l’asile politique, elle se serait contentée de demander d’« avoir une vie normale. Une vie meilleure que celle que j’avais au Monténégro » et soutient que cette formulation démontrerait à elle seule que la demanderesse serait venue au Luxembourg pour des raisons essentiellement économiques et qu’elle ressentirait tout au plus un sentiment général d’insécurité au Monténégro. Quant à l’affirmation de la demanderesse que sa peur serait liée à sa religion, le représentant étatique la qualifie de « laconique », de manière à ne pas justifier une analyse au fond de la demande d’asile par elle introduite.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement (…) ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore et notamment que la crainte invoquée ne soit pas manifestement dénuée de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis 3 permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si la crainte invoquée par la demanderesse peut être qualifiée de manifestement dénuée de fondement tel que retenu par le ministre à travers les décisions déférées.

En l’espèce, il est certes constant à partir des déclarations de la demanderesse telles que renseignées au procès-verbal d’audition du 8 juillet 1999 qu’elle ne poursuivait personnellement aucune activité politique dans son pays d’origine et qu’interrogée sur ce qu’elle voulait de la part des autorités luxembourgeoises, elle a déclaré y vouloir « une vie normale. Une vie meilleure que celle (qu’elle avait) au Monténégro », sans pour autant spécifier solliciter l’asile politique. Cette affirmation ne saurait cependant justifier à elle seule la conclusion que le motif à la base du départ de la demanderesse de son pays d’origine était d’ordre économique, étant donné qu’un demandeur d’asile aspire par essence à une vie meilleure que celle qu’il avait dans son pays d’origine, en ce sens qu’il cherche à échapper à un risque de persécution. Interrogée plus particulièrement sur les raisons qui l’ont fait quitter son pays d’origine, la demanderesse a par ailleurs déclaré que c’était « à cause des nationalistes » et que ses voisins ne l’auraient pas laissée tranquille et que l’un d’eux l’aurait menacée notamment de viol et de mort. Elle a encore précisé avoir peur « des Tchetniques » et que cette peur serait liée à sa religion, étant donné que les serbes diraient que le Monténégro ne serait pas le pays des musulmans et ils leur diraient d’aller autre part.

Il appert de l’examen des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile que celle-ci fait état d’une crainte de persécution du fait de sa confession musulmane de son appartenance à la minorité bochniaque et qu’elle allègue des faits et raisons personnelles suffisamment précis pour tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève et susceptibles de fonder une crainte justifiée de persécution au sens de ladite Convention au cas où la crainte ainsi alléguée serait établie.

Il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à tort que le ministre de la Justice a déclaré la demande introduite par Madame HUREMOVIC comme étant manifestement infondée. Il y a partant lieu d’annuler les décisions ministérielles déférées et de renvoyer le dossier au ministre de la Justice afin qu’il puisse procéder à une instruction de la demande de Madame HUREMOVIC quant au fond.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule les décisions ministérielles déférées et renvoie le dossier au ministre de la Justice pour prosécution de cause ;

4 condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 mars 2001 par :

Mme. Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Lamesch, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12599
Date de la décision : 07/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-07;12599 ?

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