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07/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12409

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2001, 12409


Tribunal administratif N° 12409 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … EROVIC et par son épouse, Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12409 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2000 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … EROVIC, né le … à Bijelo Polje (Mo...

Tribunal administratif N° 12409 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … EROVIC et par son épouse, Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12409 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2000 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … EROVIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro) et de son épouse, Madame …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro), les deux demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 août 2000, notifiée le 21 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître François GENGLER et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 31 mai 1999, Monsieur … EROVIC, préqualifié, et son épouse, Madame …, préqualifiée, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Le même jour, les époux EROVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux EROVIC-… furent entendus séparément en date du 1er juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 7 août 2000, notifiée le 21 septembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux EROVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Monsieur, vous exposez avoir fait le service militaire de mars 1996 jusqu’en mars 1997. Vous auriez été appelé à faire la réserve en mai 1999. Vous n’auriez pas eu de convocation écrite, mais la police militaire serait venue vous chercher à la maison à trois reprises.

Le motif de votre refus de faire la réserve aurait été votre volonté de ne tuer personne au Kosovo. Les musulmans seraient toujours envoyés en premier ligne.

Vous auriez peur parce qu’il y aurait beaucoup de Serbes dans votre village. Selon vos opinions, il y aurait un risque d’être sanctionné par l’armée à cause de votre refus de faire la réserve.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous expliquez ne plus vouloir retourner en Yougoslavie, sauf pour rendre visite à votre famille. Vous auriez eu des problèmes avec les Serbes de votre village. Les fenêtres de votre maison auraient parfois été détruites par les Serbes.

Vous indiquez ne plus vouloir retourner étant donné qu’il y aurait des rumeurs que des Serbes seraient dans votre maison.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999 avec le retrait des troupes fédérales yougoslaves de ce territoire, de sorte que la crainte d’y être envoyé n’est plus justifiée.

Madame, votre déclaration de vouloir retourner parfois en Yougoslavie pour rendre visite à votre famille démontre que les problèmes que vous auriez eus avec la population serbe – même à les supposer établis – ne sont pas d’une telle gravité qu’ils pourraient constituer une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de votre religion musulmane. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 Par conséquent, vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 19 octobre 2000, les époux EROVIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 7 août 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs soutiennent que la décision du ministre de la Justice serait insuffisamment motivée en fait et en droit, sinon que les motifs ne seraient pas suffisamment clairs et précis.

Le moyen d’annulation invoqué par les demandeurs consistant à soutenir que la décision ministérielle entreprise serait entachée d’illégalité pour défaut de motivation suffisante n’est pas fondé, étant donné qu’il se dégage du libellé susénoncé de la décision ministérielle que le ministre a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs.

Les demandeurs reprochent ensuite au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par eux soumis ne seraient pas de nature à fonder dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution. Ils exposent que le départ de leur pays d’origine serait motivé par le fait que la police militaire serait venue à trois reprises chez eux à la maison pour amener Monsieur EROVIC à la réserve. Ils estiment qu’en cas de retour forcé dans leur pays d’origine, ils risqueraient des représailles de la part de l’armée serbe.

Sur base des faits ainsi soumis, les demandeurs estiment avoir établi des actes de persécution à caractère politique au sens de la Convention de Genève et qu’ils risqueraient de se voir exposer à des exactions similaires en cas de retour dans leur pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut 3 ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs. Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux EROVIC-… lors de leurs auditions respectives du 1er juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des consorts EROVIC-

… une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, au vu notamment des élections ayant eu lieu en Serbie, Monsieur EROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine -

d’emprisonnement - éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur EROVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission et de la loi d’amnistie votée par le parlement du 4 Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont encore effectivement exécutés.

En ce qui concerne les prétendus problèmes que les époux EROVIC-… auraient eu avec leurs voisins serbes, à savoir que les fenêtres de leur maison auraient parfois été détruites, il échet de constater que ces faits, non autrement spécifiés, même à les supposer établis, ne sont pas suffisamment graves pour qu’on puisse en conclure que la vie au Monténégro leur serait à l’heure actuelle devenue insupportable.

Il découle ainsi des développements qui précèdent que les arguments et déclarations faites par les demandeurs constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils fassent cependant état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

C’est donc à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 mars 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12409
Date de la décision : 07/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-07;12409 ?

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