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07/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12400

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2001, 12400


Tribunal administratif N° 12400 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 octobre 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … BATKIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12400 et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2000 par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Tine A. LARSEN, avocat, tous les d

eux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BATKIC, né le … à R...

Tribunal administratif N° 12400 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 octobre 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … BATKIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12400 et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2000 par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Tine A. LARSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BATKIC, né le … à Rastenovice (Serbie), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L- …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 juillet 2000, notifiée le 19 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc MEHLEN, en remplacement de Maître Patrick WEINACHT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 3 mai 1999, Monsieur … BATKIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur BATKIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Le 7 juillet 2000, Monsieur BATKIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 juillet 2000, notifiée le 19 septembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur BATKIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations qu’en date du 1er avril 1999 vous avez déserté de l’armée yougoslave en compagnie de votre cousin HASANOVIC Serif. Vous êtes allés à pied jusqu’à Novi Pazar d’où le beau-frère de votre cousin vous a conduits à Senica.

Le 2 avril 1999, un passeur vous a emmenés à Sarajevo, la frontière bosniaque vous l’avez passée à pied. Vous avez quitté Sarajevo après un séjour de quinze jours. Vous ne pouvez pas donner de plus amples détails quant au chemin emprunté. Vous avez changé plusieurs fois de véhicule en route, une fois vous avez dû faire une partie du chemin à pied. Vous êtes arrivés au Luxembourg le dimanche 2 mai 1999 en fin d’après-midi. Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le lendemain, 3 mai 1999.

Vous exposez que vous avez dû vous présenter à la commune le 14 janvier 1999, mais que vous n’avez pas été convoqué pour la réserve. Le 20 mars 1999, alors qu’il y avait la mobilisation générale, vous avez été emmené par la police militaire et vous avez été envoyé à Raska en Serbie. Vous dites avoir déserté de l’armée dix jours après le commencement des bombardements par l’OTAN. Vous affirmez avoir déserté parce que vous ne vouliez pas aller à la guerre au Kosovo.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous êtes membre du SDA, mais que vous n’avez pas eu de problèmes à cause de l’adhésion à ce parti.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi la crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 17 octobre 2000, Monsieur BATKIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 12 juillet 2000.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation 2 des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire de Serbie, qu’il a travaillé comme paysan dans la ferme exploitée par ses parents, qu’en avril 1999, il a quitté son pays d’origine pour venir au Luxembourg, qu’en février 1999, lors de la mobilisation générale, il aurait été « emmené par la police militaire et envoyé à la caserne de Raska en Serbie », qu’il y aurait été soumis à un traitement psychique dégradant et qu’on lui aurait fait « notamment ingurgiter [sic] qu’il devait tuer ses propres compatriotes » et qu’au début des bombardements de l’OTAN, il aurait appris que son unité serait envoyée au Kosovo, ce qui l’aurait décidé à déserter ensemble avec trois autres camarades. Il ajoute qu’il aurait craint de devoir participer à des opérations contraires à ses convictions et de tomber entre les mains de l’UCK et de subir des représailles et persécutions. A l’heure actuelle, selon le demandeur, il risquerait d’être condamné, en raison de sa désertion, à une peine de plusieurs années, c’est-à-

dire une peine disproportionnée par rapport à la gravité objective de son infraction et, en prison, il risquerait de subir des traitements dégradants et discriminatoires en raison de sa désertion et de sa religion musulmane.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur BATKIC et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BATKIC lors de son audition en date du 7 juillet 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

3 En effet, d’une part, la désertion, seul motif de persécution allégué au cours de la procédure contentieuse, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef de Monsieur BATKIC une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. D’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni qu’il risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été effectivement infligés ou risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Enfin, il n’est pas non plus établi que le demandeur risque de subir un traitement discriminatoire en raison de son appartenance religieuse ou de sa désertion lors de l’exécution d’une condamnation éventuelle à une peine d’emprisonnement.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 mars 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12400
Date de la décision : 07/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-07;12400 ?

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