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07/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12393

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2001, 12393


Tribunal administratif N° 12393 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 octobre 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par les époux … PODRIMQAK et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12393 et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … PODRIMQAK, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie),...

Tribunal administratif N° 12393 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 octobre 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par les époux … PODRIMQAK et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12393 et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … PODRIMQAK, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), et …, née le … à Zjum/Prizren (Kosovo/Yougoslavie), agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs R., B. et D., respectivement nés les… , … et … à Pec, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 juillet 2000, notifiée le 7 août 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 11 septembre 2000, notifiée au mandataire des demandeurs le 13 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 2000 au nom des demandeurs;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 11 août 1998, Madame …, préqualifiée, agissant pour elle-même ainsi qu’en nom et pour compte de ses enfants mineurs R., B. et D., préqualifiés, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de 1 réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 20 avril 1999, l’époux de Madame …, Monsieur … PODRIMQAK, préqualifié, introduisit à son tour une telle demande en reconnaissance du statut de réfugié politique. Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux PODRIMQAK-… furent en outre entendus séparément le 10 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Par décision du 12 juillet 2000, notifiée le 7 août 2000, le ministre de la Justice informa les consorts PODRIMQAK-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous étiez membre du PPK, mais votre adhésion ne vous a jamais causé de problèmes.

Vous alléguez que vous aviez une entreprise de construction. Un collaborateur, marié à une parente de Milosevic, vous aurait été imposé et aurait conduit votre entreprise à la faillite. Le tribunal aurait prononcé la confiscation de tous les biens sociaux. Vous estimez que ceci était en réalité un arrangement entre la police financière et votre collaborateur, puisque vos dettes n’ont pas été éteintes par ces biens.

Les dettes sont la raison pour laquelle vous avez quitté le Kosovo. Vous avez peur d’être mis en prison si vous deviez rentrer. En outre, vous pensez que les Albanais vous considèrent comme collaborateur des Serbes. Vous, Madame, déclarez avoir quitté le Kosovo à cause de la guerre. Vous indiquez que vous ne pouvez pas encore rentrer en raison de votre situation financière. Vous indiquez avoir peur d’aller au Kosovo à cause de vos dettes. En plus, votre maison est détruite.

Les problèmes que vous invoquez sont de nature essentiellement économique. Or de tels motifs ne sauraient fonder une demande d’asile politique au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place au Kosovo et remplace les autorités serbes. Un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existe plus à l’heure actuelle pour vous.

Enfin, vous affirmez que vous seriez pour les Albanais un collaborateur des Serbes, sans donner plus de précisions.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en 2 raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie ».

Par lettre datée du 5 septembre 2000, entrée au ministère de la Justice le 7 septembre 2000, les consorts PODRIMQAK-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 juillet 2000.

Par décision du 11 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 12 octobre 2000, les consorts PODRIMQAK-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 juillet et 11 septembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Kosovo et de religion musulmane, que Monsieur PODRIMQAK aurait été professeur de mathématiques dans une école d’enseignement secondaire jusqu’en 1988, époque à laquelle les autorités serbes auraient fermé les écoles albanaises, que, par la suite, en juillet 1992, pour subvenir aux besoins de sa famille, Monsieur PODRIMQAK se serait associé avec un dénommé Nenad GASIC, dont l’épouse serait un « parent direct » de l’ex-président de Yougoslavie, Slobodan MILOSEVIC, que du fait de son association et collaboration avec un « serbe local », il serait persécuté par l’UCK, que cette organisation l’aurait d’ailleurs inscrit sur « ses listes d’élimination » et que sa vie serait gravement en danger en cas de retour au Kosovo et, plus particulièrement, dans la ville de Pec.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec les relations de Monsieur PODRIMQAK avec un « serbe local », faits qui seraient susceptibles de lui être reprochés en cas de retour au Kosovo. Ils soutiennent, plus particulièrement, qu’ils risqueraient d’être persécutés en tant que collaborateurs par les personnes proches de l’U.C.K. Sur ce, ils estiment qu’ils feraient valoir des craintes justifiées de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Ils ajoutent que la présence des forces onusiennes au Kosovo ne serait pas de nature à les sécuriser.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts PODRIMQAK-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux PODRIMQAK-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur PODRIMQAK et son épouse, Madame …, lors de leurs auditions respectives en date du 10 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, de prime abord, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement relève que les déclarations initiales des consorts PODRIMQAK-… et la version des faits telle qu’ils l’exposent par la suite dans leurs recours gracieux et contentieux sont sensiblement distinctes et il ne s’agit pas de simples précisions complémentaires comme les demandeurs le soutiennent dans leur réplique, étant donné que, dans ses déclarations initiales, Monsieur PODRIMQAK s’est décrit comme une victime des autorités serbes, qui lui auraient imposé un associé, lequel aurait, avec la connivence des autorités serbes, causé la ruine de son entreprise, l’épouse quant à elle ne mentionnant que des raisons financières, dues notamment à la faillite de son époux, alors que dans leurs recours gracieux et contentieux les demandeurs exposent que Monsieur PODRIMQAK, pour des raisons financières se serait volontairement mis en relation avec son associé serbe et que cet état des choses lui aurait été reproché par la suite. Même si ce changement dans les déclarations des demandeurs ne soit pas décisive pour justifier un refus de leur demande d’asile, pareilles contradictions ne sont pas de nature à conforter la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Ceci étant, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité 4 des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise, proche de l’U.C.K., du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, mais ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Il convient enfin de relever que même à admettre qu’un retour dans la ville de Pec ne soit plus concevable pour les demandeurs eu égard aux liens que Monsieur PODRIMQAK aurait eus dans le passé avec des Serbes - ce qui n’a pas été démontré à suffisance de droit en l’espèce -, les demandeurs restent également en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo voire même une autre région ou province de la Yougoslavie et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond déclare le recours non justifié et en déboute;

5 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 mars 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12393
Date de la décision : 07/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-07;12393 ?

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