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07/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12344

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2001, 12344


Tribunal administratif N° 12344 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 octobre 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par Madame … BASALI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 2000 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Dieki

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Tribunal administratif N° 12344 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 octobre 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par Madame … BASALI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 2000 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame … BASALI, née le…, de nationalité philippine, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 mai 2000 refusant de faire droit à sa demande en octroi d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre datant du 5 juillet 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 novembre 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2000 pour compte de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport ainsi que Maître Jean-Louis UNSEN, en remplacement de Maître Jean-Paul WILTZIUS, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 15 janvier et 19 février 2001.

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Par courrier datant du 3 décembre 1998, Monsieur…, demeurant à L-…, de nationalité belge, s’adressa au ministre de la Justice, ci-après appelé “ le ministre ”, pour s’enquérir sur la procédure à suivre pour prolonger le séjour au Luxembourg de sa belle-mère, Madame … BASALI, de nationalité philippine, étant donné que son visa venait à échéance le 6 janvier 1999. Le ministre rencontra cette demande par un courrier du 1er février 1999 en informant Monsieur BRADFER sur les pièces à verser au dossier en vue d’obtenir une autorisation de séjour en faveur de sa belle-mère. Après que le dossier de Madame BASALI fut ainsi complété, le ministre, par décision datant du 22 mai 2000 adressée à Monsieur …, refusa d'accorder l'autorisation de séjour à Madame BASALI aux motifs suivants: “ Afin de bénéficier du regroupement familial, l’intéressée doit prouver qu’elle n’a pas d’autres enfants et personnes à sa charge et qu’elle n’a pas d’autres parents dans son pays d’origine qui pourraient la prendre en charge. Or, votre mère ne peut pas fournir cette preuve. En effet, il ressort d’un certificat du 10 janvier 2000, établi par le bureau du maire, République des Philippines, District de Baguio, qu’elle a encore des enfants majeurs dans son pays d’origine qui peuvent subvenir à leurs besoins grâce à leur emploi.

En outre, l’autorisation de séjour ne saurait être délivrée, alors que l’intéressée ne dispose pas de moyens d’existence personnels conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui dispose que la délivrance d’une autorisation de séjour est en effet subordonnée à la possession de moyens d’existence suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle et des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir ”.

Le recours gracieux formulé par Madame BASALI par l’intermédiaire de son mandataire en date du 22 juillet 2000 contre la décision ministérielle de refus prérelatée s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 5 juillet 2000, elle a fait introduire, par requête déposée en date du 2 octobre 2000, un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles des 22 mai et 5 juillet 2000.

Aucune disposition légale n’accordant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer que sa fille est de nationalité belge, qu’elle habite, ensemble avec son époux, lui aussi de nationalité belge, au Luxembourg et qu’elle-même souhaite bénéficier du regroupement familial en ce sens qu’elle entend vivre auprès de sa fille au Luxembourg. Elle fait valoir plus particulièrement que dans la mesure où elle vient de perdre son époux aux Philippines et qu’elle n’aurait plus d’autres parents dans son pays d’origine qui pourraient la prendre en charge, en ce sens qu’ils seraient capables, physiquement ou financièrement parlant, de subvenir à ses besoins, elle dépendrait de l’aide de sa fille habitant au Luxembourg.

Le délégué du Gouvernement rencontre ce premier moyen en faisant valoir que seuls les ascendants à charge d’un ressortissant d’un Etat membre de l’Union Européenne pourraient bénéficier du droit à la délivrance d’une carte de séjour par application du droit au regroupement familial. Il estime qu’en l’espèce la condition de la dépendance matérielle de la demanderesse ne serait pas remplie, étant donné que le dossier administratif révélerait que contrairement aux affirmations de Madame BASALI, elle ne venait pas de perdre son époux aux Philippines, mais que celui-ci serait décédé déjà en date du 3 décembre 1991, de sorte qu’elle aurait continué à vivre aux Philippines à la suite du décès de son mari jusqu’en août 1998 et que par ailleurs elle aurait d’autres enfants majeurs habitant aux Philippines dont notamment deux filles qui seraient déjà venues rejoindre leur sœur au Luxembourg moyennant des visas de tourisme et qui seraient en mesure de subvenir à leurs besoins grâce aux revenus de leurs emplois aux Philippines.

2 Dans son mémoire en réplique la demanderesse admet avoir vécu aux Philippines jusqu’en août 1998, mais relève que la situation économique générale du pays, ainsi que la situation financière de sa famille ne lui permettraient plus de rester dans son pays natal.

Concernant ses autres enfants vivant aux Philippines, elle fait exposer qu’ils seraient certes tous en mesure de subvenir à leurs propres besoins grâce aux revenus de leurs emplois, mais qu’ils ne seraient toutefois pas en mesure de subvenir de surcroît à ses besoins à elle.

Il est constant que les époux …-BASALI, en tant que ressortissants belges, sont des citoyens de l’Union Européenne résidant légalement sur le territoire luxembourgeois et peuvent dès lors se prévaloir de cette qualité dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit communautaire. Il s’ensuit qu’ils bénéficient, en application du règlement CEE 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, du droit de se faire rejoindre par 1) leurs conjoints et leurs descendants de moins de 21 ans ou à charge et 2) les ascendants du ressortissant visé et ceux de son conjoint s’ils sont à charge, ce droit étant par ailleurs également et directement consacré au niveau national à travers le règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, en vertu duquel notamment les ascendants à charge d’un ressortissant d’un Etat membre de l’Union Européenne occupant au Luxembourg un emploi salarié ou y exerçant une activité non salariée, ainsi que ceux de son conjoint, ont le droit de se voir délivrer une carte de séjour qui aura la même durée de validité que celle du ressortissant dont ils dépendent.

S’il n’est en l’espèce pas contesté que Madame BASALI est un ascendant d’une ressortissante d’un Etat membre de l’Union Européenne séjournant légalement au Luxembourg, les parties au litige divergent quant à l’interprétation de la notion d’ascendant à charge telle que consacrée à l’article 1er, 10 du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 précité.

Le droit au regroupement familial tel que consacré au niveau communautaire et repris dans le cadre de la législation nationale à travers le règlement grand-ducal du 28 mars 1972 précité, constitue un droit dérivé dans le chef de son bénéficiaire se rattachant à la base directement au droit de séjour du ressortissant dont il dépend.

Il s’ensuit que c’est dans le seul cadre de la relation descendant-ascendant, à la base du présent litige, que peut se mouvoir en l’espèce l’appréciation de la condition litigieuse d’être à charge, étant donné que le droit au regroupement familial, s’il est certes appelé à bénéficier prima facie à l’ascendant à charge, constitue par essence également un droit dans le chef du citoyen de l’Union Européenne séjournant régulièrement au pays, qui revendique par ce biais la présence auprès de lui d’un membre de sa famille, soit en l’espèce de sa mère.

Face à la volonté du couple …-BASALI d’accueillir auprès d’eux la demanderesse et de la prendre en charge, documentée à travers la déclaration de prise en charge établie par Monsieur … en date du 17 février 2000 et versée au dossier, il n’appartient dès lors pas au ministre d’évaluer si d’autres descendants de la demanderesse avaient la possibilité matérielle et financière pour accueillir le cas échéant leur mère auprès d’eux, la décision d’accueillir un ascendant à charge relevant, outre de considérations d’ordre matériel, pour le moins également d’un choix personnel des personnes concernées devant être respecté en tant que tel, sans 3 qu’une quelconque hiérarchie ne puisse être établie entre plusieurs descendants, fussent-ils par ailleurs capables d’accueillir un même ascendant.

Il se dégage des considérations qui précèdent que pour apprécier si un ascendant est à charge au sens de l’article 1er, 10) du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 précité, l’autorité compétente ne peut vérifier que, d’une part, si l’ascendant concerné est le cas échéant en mesure d’assurer sa subsistance par ses propres moyens, et, d’un autre côté et dans la négative, si le descendant qui se propose de l’accueillir est effectivement en mesure de le prendre en charge.

En l’espèce, il se dégage de la décision ministérielle déférée même du 22 mai 2000, et les parties sont par ailleurs en accord pour dire, à travers leurs mémoires respectifs, que la demanderesse ne dispose pas de moyens personnels suffisants lui permettant d’assurer son séjour au Grand-Duché de Luxembourg indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes, en l’occurrence les époux …-BASALI, pourraient s’engager à lui faire parvenir, de même qu’il n’est pas contesté en cause que pareils moyens personnels sont venus à lui manquer dans son pays d’origine, de sorte qu’elle est à considérer comme ayant établi à suffisance de droit et de fait d’être à charge de sa fille et de son gendre au Luxembourg.

Aucun autre motif de nature à justifier les décisions ministérielles déférées n’ayant été utilement présenté en cause, celles-ci encourent partant l’annulation sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens présentés à l’appui du recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule les décisions ministérielles déférées et renvoie l’affaire au ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 mars 2001 par :

M. Schockweiler, vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler 4 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12344
Date de la décision : 07/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-07;12344 ?

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