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07/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12182

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2001, 12182


Tribunal administratif N° 12182 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … SOARES MELO et par son épouse, Madame … MELO contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 1er août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SOARES MELO, né le …, et de s...

Tribunal administratif N° 12182 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2000 Audience publique du 7 mars 2001

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Recours formé par Monsieur … SOARES MELO et par son épouse, Madame … MELO contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 1er août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SOARES MELO, né le …, et de son épouse, Madame … MELO, née le …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en nom et pour compte de leur fille mineure … MELO, née le …, tous les trois de nationalité brésilienne, demeurant actuellement à Lisbonne (Portugal), …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 2 mai 2000 refusant de faire droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour au Grand-

Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 août 2000 ;

Vu le mémoire en réplique, intitulé mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2000 au nom des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique, intitulé mémoire en réplique, déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Lydie LORANG ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Par lettre du 5 mai 1998 adressée au ministre de la Justice, le mandataire de l’époque de Monsieur … SOARES MELO, préqualifié, et de son épouse, Madame … MELO, préqualifiée, agissant tant pour eux mêmes, qu’en nom et pour compte de leur fille mineure … MELO, dénommés ci-après « les consorts SOARES MELO », sollicita la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de ses mandants, en déclarant que Monsieur SOARES MELO est un pasteur évangélique, détaché à Luxembourg par l’association religieuse « Igreja Universal do Reino de Deus », avec siège à Lisbonne, afin de permettre à l’association sans but lucratif de droit luxembourgeois « … », dénommée ci-après « l’association luxembourgeoise », ayant son siège à … et son local de culte à …, de réaliser son objet social, à savoir l’exercice de cultes religieux, que ladite association de droit luxembourgeois mettrait à la disposition de ses mandants, au cours de leur séjour au Luxembourg, un logement et qu’elle prendrait à sa charge tous les frais du ménage ainsi que les frais de départ, de voyage et autres.

Le ministre de la Justice informa le prédit mandataire, par courrier du 20 mai 1998, qu’il n’était pas en mesure de délivrer une autorisation de séjour aux consorts SOARES MELO, en l’absence d’un permis de travail délivré par le ministre du Travail et de l’Emploi à Monsieur SOARES MELO.

A la suite d’une demande datée du 12 juin 1998 adressée par le mandataire de l’époque de Monsieur SOARES MELO à l’administration de l’Emploi en vue de la délivrance d’un permis de travail à son mandant en vue de l’exercice par celui-ci de la profession de pasteur évangélique à exercer auprès de l’association luxembourgeoise, le ministre du Travail et de l’Emploi refusa la délivrance d’un tel permis de travail par un arrêté du 5 août 1998.

Une nouvelle demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour en faveur des consorts SOARES MELO fut introduite auprès du ministre de la Justice par un courrier de l’actuel mandataire des intéressés du 23 août 1999, en rappelant que l’association luxembourgeoise auprès de laquelle Monsieur SOARES MELO aurait dû exercer la fonction de pasteur évangélique mettait à la disposition du pasteur un logement et prenait à sa charge tous les frais du ménage ainsi que les frais de départ, de voyage et en général assurait la survie de son ministre par le biais des fonds à sa disposition. Le prédit litismandataire exposa encore dans son courrier précité que contrairement à l’opinion exprimée par le ministre de la Justice dans son courrier du 20 mai 1998, le pasteur ne se trouverait dans aucun lien de subordination par rapport à l’association luxembourgeoise et qu’un permis de travail ne saurait donc être exigé.

Par courrier du 16 février 2000, le ministre de la Justice pria l’actuel mandataire des consorts SOARES MELO de lui faire parvenir la preuve des moyens d’existence personnels de ses mandants afin de satisfaire à l’exigence prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère, en insistant sur le fait que l’aide matérielle ou les secours financiers procurés par de tierces personnes ne sauraient être pris en considération à cette fin.

A la suite d’un courrier adressé par le litismandataire des consorts SOARES MELO au ministre de la Justice, en date du 13 avril 2000, par lequel il l’informa que Monsieur SOARES MELO avait fait « vœu de pauvreté » et ne disposait partant « d’aucun moyen de subsistance personnel, de sorte que le loyer mensuel du logement des époux SOARES MELO ainsi que leurs frais de nourriture seraient pris en charge par l’association sans but lucratif de droit luxembourgeois « … », le ministre de la Justice informa ledit mandataire, par courrier du 2 mai 2000, signifié le 5 mai 2000, de ce qu’il n’était pas en mesure de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour, au motif que les demandeurs ne disposaient pas de moyens d’existence personnels et suffisants leur permettant d’assurer leur séjour au Grand-

Duché de Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient leur faire parvenir.

2 Par requête déposée le 1er août 2000, Monsieur SOARES MELO et son épouse, Madame MELO, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur fille mineure … MELO ont fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 2 mai 2000.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Les demandeurs reprochent tout d’abord à la décision attaquée de ne pas correspondre « aux conditions jurisprudentielles de la précision des motifs », en n’indiquant que des formules générales et abstraites, telles que prévues par la loi, en ne précisant pas les raisons de fait concrètes permettant de justifier la décision en question. Ils soutiennent qu’une telle imprécision de motifs équivaudrait à une absence de motivation devant entraîner l’annulation de ladite décision.

Le délégué du gouvernement estime qu’abstraction faite de la circonstance qu’une motivation imprécise ne serait pas un motif d’annulation d’une décision ministérielle, le ministre de la Justice aurait indiqué dans sa décision du 2 mai 2000 non seulement la base légale de celle-ci mais également le motif du refus de délivrance d’une autorisation de séjour, à savoir le défaut de moyens d’existence personnels suffisants dans le chef des demandeurs.

En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, « toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux. La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle : - refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ; (…) ».

La sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif (Cour adm. 8 juillet 1997, n° 9918C du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, n° 28, p. 259 et autres références y citées).

S’il est vrai qu’en l’espèce à part le fait que le ministre s’est référé, dans la décision sous analyse, à la base légale correcte sur laquelle la décision est fondée, celle-ci ne contient qu’une motivation très générale, en ne prenant pas position par rapport à la situation particulière des demandeurs, il n’en reste pas moins que dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a utilement complété cette motivation en fournissant les éléments de fait concrets sur lesquels le ministre de la Justice s’est fondé pour refuser aux demandeurs la délivrance d’une autorisation de séjour.

La décision attaquée est partant suffisamment motivée et le moyen afférent est à écarter.

Les demandeurs reprochent encore au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits, constituant une violation de la loi, dans la mesure où Monsieur SOARES MELO, en sa qualité de prêtre, ayant fait « vœu de pauvreté » ne pourrait 3 pas percevoir un salaire de la part de l’association luxembourgeoise auprès de laquelle il devrait exercer la fonction de pasteur évangélique et où il ne pourrait justifier de ses moyens personnels suffisants que par la preuve d’une prise en charge de ses frais d’entretien, de logement et de voyage émise par la prédite association luxembourgeoise, ladite prise en charge devant, d’après lui, être considérée comme constituant la preuve des moyens personnels suffisants tels que visés par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère. Il estime partant ne pas être à la charge de la communauté, à savoir des contribuables du Grand-Duché de Luxembourg.

Ils soutiennent encore que l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, en visant les moyens personnels suffisants, n’excluerait pas l’aide fournie par une « église » à l’un de ses pasteurs, d’autant plus que la prédite loi ne contiendrait aucune définition sur ce qu’il faut entendre par « revenu personnel ».

Le délégué du gouvernement expose que lors des travaux parlementaires ayant précédé la loi du 18 août 1995 portant modification de la loi précitée du 28 mars 1972, le législateur aurait clairement exprimé son intention d’exclure tous les moyens provenant de tiers en ajoutant le qualificatif « personnels » aux moyens suffisants et en modifiant en conséquence l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972. Cette modification législative aurait par ailleurs consacré une jurisprudence constante du Comité du Contentieux du Conseil d’Etat, reprise par les juridictions administratives instituées par la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif.

Il estime qu’au vu du texte de l’article 2 actuellement en vigueur, les moyens fournis par une association sans but lucratif à un pasteur, par la prise en charge de ses frais de séjour et de subsistance, ne sauraient être assimilés à l’existence, dans le chef dudit pasteur, de moyens d’existence personnels, étant entendu que le fait qu’il s’agirait en l’espèce d’un homme d’église ayant fait vœu de pauvreté n’y changerait rien.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que : « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il se dégage dudit article 2 que l’autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Etrangers, II. Autorisations de séjour – Expulsion, n° 81, p. 117 et autres références y citées).

Il est de principe que la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise (Cour adm. 1er décembre 1998, n° 10721 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, n° 12, p. 306).

En l’espèce, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut, au vu de la prise en charge émanant du conseil d’administration de l’association luxembourgeoise en faveur de Monsieur SOARES MELO en vue du paiement du loyer mensuel de son logement et de « tous les frais du ménage et en général tous frais assurant [la] survie [de sa famille] », par laquelle celle-ci se déclare prête à prendre en charge tous les frais liés au voyage et au séjour au Luxembourg de la famille de Monsieur SOARES MELO, qu’une telle prise en 4 charge, en l’absence de toute autre preuve de l’existence de moyens personnels propres de la part des demandeurs, ne constitue pas la preuve de moyens personnels tels qu’exigés par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, d’autant plus que le paiement des loyers relatifs au logement occupé par la famille SOARES MELO, ainsi que la mise à leur disposition d’une somme de 50.000.- francs par mois ne sont pas considérés comme une rémunération en nature et en argent de prestations effectuées par Monsieur SOARES MELO au profit de l’association luxembourgeoise, puisque les demandeurs précisent d’une manière claire et non équivoque qu’au vu de leurs croyances religieuses, ils seraient dans l’impossibilité d’accepter un quelconque salaire en contrepartie des services offerts à ladite association. Il s’ensuit que le tribunal n’a pas à rechercher le caractère légal d’éventuelles rémunérations ainsi perçues en vérifiant notamment si Monsieur SOARES MELO bénéficie d’un permis de travail à délivrer aux ressortissants d’Etats tiers, non membres de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen.

Il est encore indifférent dans ce contexte de savoir que pour des raisons qui lui sont personnelles et qui proviendraient en fait de ses croyances religieuses, Monsieur SOARES MELO se trouve dans l’incapacité de percevoir un quelconque salaire légal.

Il est encore constant qu’au moment où la décision attaquée a été prise, les demandeurs n’ont pas rapporté la preuve d’autres moyens personnels propres leur permettant de supporter les frais de voyage et de séjour, une telle preuve n’ayant d’ailleurs pas non plus été rapportée en cours d’instance.

Il suit des considérations qui précèdent que le ministre de la Justice a, en principe, valablement pu rejeter la demande en octroi d’une autorisation de séjour sollicitée en faveur des demandeurs.

Les demandeurs invoquent encore une violation par le ministre de la Justice de l’article 19 de la Constitution, au motif que la décision prise en date du 2 mai 2000 porterait atteinte à leur liberté des cultes, en ce qu’il priverait les résidents du Grand-Duché de Luxembourg, du fait du refus de délivrer à Monsieur SOARES MELO, ainsi qu’aux membres de sa famille, une autorisation de séjour au Luxembourg, de l’organisation d’un culte religieux au pays, d’autant plus qu’il n’existerait pas de pasteur ressortissant d’un Etat membre de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen disponible pour l’organisation desdits services religieux au Luxembourg.

Enfin, les demandeurs estiment que la décision incriminée violerait l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la Convention européenne des droits de l’homme », en ce qu’elle porterait atteinte à la liberté de penser, de conscience et de religion des résidents du Grand-Duché de Luxembourg, en privant ceux-ci du libre exercice de leur culte au pays, dans la mesure où ladite décision a refusé la délivrance d’autorisations de séjour à Monsieur SOARES MELO, ainsi qu’à sa famille.

C’est à bon droit que le représentant étatique conteste l’intérêt des consorts SOARES MELO à invoquer ces deux moyens, alors que les droits ainsi garantis tant par l’article 19 de la Constitution que par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme bénéficient directement aux membres de communautés religieuses plus particulièrement en ce qui concerne leur liberté de culte, leur exercice ainsi que la liberté de manifester leurs opinions religieuses, et qu’aucun droit ne saurait être tiré desdites dispositions de droit 5 international et de droit constitutionnel en vertu desquelles Monsieur SOARES MELO ainsi que les membres de sa famille pourraient légalement s’établir au pays en vue d’y exercer les fonctions de pasteur évangélique. Ces deux moyens sont partant à écarter.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre de la Justice a valablement pu rejeter la demande en délivrance d’autorisations de séjour en faveur des consorts SOARES MELO et le recours est partant à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme.Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 7 mars 2001 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12182
Date de la décision : 07/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-07;12182 ?

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