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21/02/2001 | LUXEMBOURG | N°12419

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2001, 12419


Numéro 12419 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 octobre 2000 Audience publique du 21 février 2001 Recours formé par Monsieur … MEHOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12419 du rôle, déposée le 20 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … MEHOVIC, né le … à...

Numéro 12419 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 octobre 2000 Audience publique du 21 février 2001 Recours formé par Monsieur … MEHOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12419 du rôle, déposée le 20 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … MEHOVIC, né le … à Prije Polje (Serbie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 25 août 2000 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en ses plaidoiries à l’audience publique du 29 janvier 2001.

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Le 7 juillet 1999, Monsieur … MEHOVIC, susqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur MEHOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur MEHOVIC fut entendu également en date du 7 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur MEHOVIC, par lettre du 25 août 2000, notifiée en date du 26 septembre 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez transité à travers la Bosnie, la Croatie, la Slovénie, l'Italie et la France pour arriver au Luxembourg.

Vous exposez ne pas avoir fait votre service militaire. Vous auriez été appelé trois mois avant votre arrivée au Luxembourg. La police militaire serait venue vous chercher deux jours après la réception de la convocation.

Vous auriez refusé de vous présenter parce que vous n'auriez pas voulu tuer des gens au Kosovo. Vous auriez vu la police spéciale tuer deux étudiants albanais lors d'une manifestation d'étudiants.

Vous expliquez que vous risqueriez d'être condamné à une peine d'emprisonnement par le tribunal militaire.

Vous indiquez avoir peur de vos voisins serbes, notamment d'une personne s'appelant Cedo LANGURA, qui vous aurait dit que vous seriez les premiers tués au cas où il y aurait des problèmes au Sandzak.

Force est cependant de constater que la crainte d'une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n'est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l'insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, le conflit armé au Kosovo s'est terminé en mai 1999 de sorte que la crainte d'y être envoyé pour tuer des gens n'est plus justifiée.

Les problèmes que vous auriez eus avec vos voisins serbes - même à les supposer établis - ne sont pas d'une telle gravité qu'ils justifieraient l'octroi du statut de réfugié.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

(…) ».

2 A l’encontre de cette décision du 25 août 2000, Monsieur MEHOVIC a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 20 octobre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être de religion musulmane et il soutient avoir fui son pays pour éviter d’être enrôlé dans l’armée suite à une convocation lui adressée à cet effet, de risquer sa vie au front et de devoir tuer des ressortissants de son peuple, ayant plus particulièrement assisté au meurtre de deux étudiants albanais par la police spéciale lors d’une manifestation estudiantine. Il affirme que sa désertion l’exposerait au risque d’une condamnation par le tribunal militaire. Il fait encore état de sa peur de ses voisins serbes l’ayant menacé de mort s’il retournait dans sa maison et ayant plus particulièrement affirmé que sa famille serait « les premiers tués » en cas de problèmes au Sandjak.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 7 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée 3 de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, au vu notamment des élections ayant eu lieu en Serbie, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine d’emprisonnement éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Le moyen du demandeur tiré de sa peur des voisins serbes et des menaces proférées par ceux-ci à son égard revient en substance à invoquer une crainte de persécution de la part d’un groupe de la population.

Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de ses voisins serbes, mais reste en défaut d’établir concrètement l’existence de persécutions systématiques à son encontre et le défaut caractérisé de protection adéquate de la part des autorités en place.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS 4 Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 février 2001 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12419
Date de la décision : 21/02/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-02-21;12419 ?

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