La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/02/2001 | LUXEMBOURG | N°12368

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2001, 12368


Numéro 12368 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 21 février 2001 Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12368 du rôle, déposée le 6 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de

Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Die...

Numéro 12368 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2000 Audience publique du 21 février 2001 Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12368 du rôle, déposée le 6 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à Berane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 juin 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 janvier 2001.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 5 mai 1999, Monsieur … AGOVIC, susqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur AGOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur AGOVIC fut entendu en date du 9 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur AGOVIC, par lettre du 16 juin 2000, notifiée en date du 31 juillet 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« (…) Il résulte de vos déclarations qu'environ dix jours avant votre arrivée au Luxembourg, vous avez quitté Rozaje en taxi, en compagnie de votre frère Elvis, pour vous rendre à Podgorica. Ensuite vous avez pris le bus pour Sarajevo en Bosnie. A bord de différents camions, vous avez ensuite transité par la Slovénie, l'Italie et la France pour arriver au Luxembourg le 5 mai 1999. Vous dites avoir traversé deux ou trois frontières à pied et que la nuit vous avez dormi dans la forêt. Vous ne pouvez pas donner d'autres détails sur le chemin emprunté. Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour même.

Vous avez exposé qu'en date du 2 mars 1999, vous avez reçu l'appel pour faire le service militaire, mais que vous ne vous êtes pas présenté. Vous vous êtes d'abord caché dans votre village. Quand vous avez vu que tout le monde était ramassé pour la réserve, vous avez pris peur et vous avez fui. Vous dites avoir quitté le pays parce que vous auriez dû faire votre service militaire pendant la guerre au Kosovo.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous n'êtes pas membre d'un parti politique et que vous n'avez pas d'opinions politiques. Vous affirmez que vous n'avez personnellement jamais été persécuté.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi la crainte de peines du chef d'insoumission ne constitue pas une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

(…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur AGOVIC en date du 30 août 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 6 septembre 2000.

A l’encontre de la décision ministérielle de rejet du 16 juin 2000, Monsieur AGOVIC a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 6 octobre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le 2 tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose avoir été appelé à la réserve de l’armée fédérale yougoslave le 2 mars 1999, soit à un moment où la guerre au Kosovo battait son plein, et avoir préféré quitter son pays d’origine au lieu de se voir enrôler de force par la police militaire parce qu’il aurait refusé de servir un régime autoritaire dont il désapprouverait la politique et d’être amené à brandir son arme contre des personnes appartenant à la même communauté religieuse que lui-même. Il estime qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait d’être poursuivi par la police militaire yougoslave comme déserteur et d’être condamné par un tribunal militaire à une peine pouvant consister notamment en un emprisonnement d’une durée jusqu’à dix ans et donc « manifestement disproportionnée » par rapport à la gravité réelle des faits lui reprochés. A part son insoumission, le demandeur se prévaut d’un risque de persécutions de la part des autorités fédérales et monténégrines en cas de retour dans son pays d’origine en raison de son appartenance à la minorité ethnique des bojniaks parlant la langue serbo-croate mais adhérant à la confession musulmane. Il conclut que sa situation subjective laisserait supposer un danger réel et sérieux de persécution pour sa personne en cas de retour dans son pays et que la décision ministérielle critiquée « viole la loi en ce que le ministre de la Justice n’a pas apprécié à sa juste valeur » sa situation spécifique.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 9 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre du recours gracieux et au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de 3 faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, au vu notamment des élections ayant eu lieu en Serbie, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine d’emprisonnement éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que, si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont effectivement exécutés.

Concernant l’argument du demandeur tiré de sa peur de discriminations de la part des autorités fédérales et monténégrines en raison de son appartenance ethnique, il échet de constater qu’elle constitue l’expression d’un sentiment général d’insécurité sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant donné que le demandeur a déclaré lors de son audition ne pas avoir personnellement subi des persécutions et avoir peur exclusivement de l’armée et du tribunal militaire, sans fournir de plus amples détails à ce sujet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

4 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 février 2001 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12368
Date de la décision : 21/02/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-02-21;12368 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award