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19/02/2001 | LUXEMBOURG | N°12396

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 février 2001, 12396


Tribunal administratif N° 12396 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 octobre 2000 Audience publique du 19 février 2001

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Recours formé par Monsieur … MUHOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12396 et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2000 par Maître Paule KETTENMEYER, avocat à la Cour, assistée de Ma

tre Pierre GOEDERT, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Tribunal administratif N° 12396 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 octobre 2000 Audience publique du 19 février 2001

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Recours formé par Monsieur … MUHOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12396 et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2000 par Maître Paule KETTENMEYER, avocat à la Cour, assistée de Maître Pierre GOEDERT, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MUHOVIC, né le … à Berane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 août 2000, notifiée le 15 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2000;

Vu le mémoire en réplique, intitulé mémoire, déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Pierre GOEDERT ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 avril 1999, Monsieur … MUHOVIC introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur MUHOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur MUHOVIC fut en outre entendu le 28 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 28 août 2000, notifiée le 15 septembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur MUHOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 22 avril 1999.

Vous exposez avoir reçu une convocation pour faire le service militaire. Vous auriez refusé d’accepter cet appel.

Vous expliquez ne pas avoir voulu servir dans une armée du dictateur Milosevic.

Vous auriez peur de mourir dans la guerre.

Vous indiquez que vous risqueriez d’être condamné à une amende ou bien à une peine d’emprisonnement.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999 avec le retrait des troupes fédérales yougoslaves de sorte que la crainte d’y être envoyé au combat n’est plus justifiée.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ”.

Par requête déposée en date du 12 octobre 2000, Monsieur MUHOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 28 août 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

2 Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et de religion musulmane et qu’il aurait quitté son pays en raison du fait qu’il aurait refusé de donner suite à une convocation pour faire le service militaire au sein des forces militaires yougoslaves. Dans ce contexte, il estime que du fait de son insoumission, il risquerait d’encourir des sanctions pénales pouvant aller jusqu’à une peine d’emprisonnement de 20 ans, qui serait manifestement disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction et que le remplacement du président Milosevic par le président Kostunica ne serait pas de nature à procurer des garanties suffisantes aux insoumis et déserteurs en ce qui concerne une éventuelle amnistie des infractions en question ou une non-exécution des peines d’emprisonnement à prononcer le cas échéant, alors que le parlement resterait “ dominé par les fidèles de l’ancien régime de Monsieur Milosevic ” et que les lois sur la désertion seraient toujours en vigueur. Enfin, il soutient que le fait par les lois et les autorités yougoslaves de ne pas garantir la liberté de pensée, de conscience et de religion, en exécution de l’article 18 de la déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 18 du pacte international sur les droits civils et politiques ainsi que de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en incriminant l’insoumission, établirait l’existence d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur MUHOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait encore exposer qu’il aurait refusé de rejoindre l’armée fédérale yougoslave, alors qu’il ne souhaitait pas “ tuer d’autres êtres humains ” dans le cadre d’un conflit armé, qu’en tant que soldat, de religion musulmane, il n’aurait eu “ ni droits ni libertés ” dans l’armée et qu’au cours de son service militaire, il aurait risqué d’être exécuté “ par [ses] pairs non musulmans ”. Il fait encore valoir qu’il ne se trouverait pas en sécurité dans son pays d’origine, aussi longtemps que “ les membres du gouvernement actuels restent encore à leur poste ”.

Il expose enfin que sa crainte de persécution au sens de la Convention de Genève découlerait “ du manquement de l’Etat d’origine du demandeur de remplir ses obligations de protection de ses citoyens ”, ces obligations résultant plus particulièrement des engagements qu’aurait pris la Yougoslavie au titre de la déclaration universelle des droits de l’homme et du pacte international relatif aux droits civils et politiques, étant entendu que la seule “ mise en cause de ses droits civils et politiques [constituerait] une persécution ”.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur MUHOVIC, lors de son audition en date du 28 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’insoumission, seul motif de persécution allégué, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur MUHOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont exécutés effectivement.

En ce qui concerne l’argumentation développée par le demandeur quant à une éventuelle violation par les autorités de son pays d’origine des engagements pris au titre de la déclaration universelle des droits de l’homme, du pacte international relatif aux droits 4 civils et politique et de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, force est de constater qu’il n’indique ni quels seraient les droits prévus par lesdits instruments juridiques internationaux qui auraient été concrètement violés par les autorités monténégrines ou yougoslaves, ni encore les droits dont lesdites autorités resteraient concrètement en défaut de garantir le respect, ni encore dans quelle mesure cette situation, au cas où elle serait établie, serait de nature à constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits du demandeur restent vagues et qu’il n’a pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait de sa confession musulmane, de sorte qu’il convient de conclure qu’il n’a pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Le recours en réformation laisse partant d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 19 février 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12396
Date de la décision : 19/02/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-02-19;12396 ?

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