La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/02/2001 | LUXEMBOURG | N°12386

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 février 2001, 12386


Tribunal administratif N° 12386 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2000 Audience publique du 19 février 2001

==============================

Recours formé par Monsieur … MUHOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12386 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2000 par Maître Virginie HENRY, avocat à la Cour, assistée de Maîtr

e Andreas KOMNINOS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a...

Tribunal administratif N° 12386 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2000 Audience publique du 19 février 2001

==============================

Recours formé par Monsieur … MUHOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12386 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2000 par Maître Virginie HENRY, avocat à la Cour, assistée de Maître Andreas KOMNINOS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MUHOVIC, né le … à Berane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 juillet 2000, notifiée le 11 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Andreas KOMNINOS et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

Il ressort d’un procès-verbal dressé en date du 20 août 1999 par le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, qu’en date du 5 juin 1998, Monsieur … MUHOVIC avait introduit en date du 5 juin 1998, auprès du service compétent du ministère de la Justice en matière de demandes d’asile, une demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour ou de tout autre titre l’autorisant à résider au Luxembourg. Cette demande fut réitérée par Monsieur MUHOVIC, par une lettre datée du 7 juillet 1998, adressée au service des étrangers du ministère de la Justice, par laquelle il précisa notamment qu’il souhaitait obtenir la délivrance d’une autorisation de séjour au Luxembourg.

Ladite demande en délivrance d’une autorisation de séjour fut refusée par le ministre de la Justice par une décision du 18 septembre 1998.

Le 3 mai 1999, Monsieur MUHOVIC introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur MUHOVIC fut entendu le 20 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, étant entendu que les renseignements sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg avaient déjà été recueillis par le service de police judiciaire précité en date du 5 juin 1998, tel que cela ressort du procès-verbal précité du 20 août 1999.

Par décision du 12 juillet 2000, notifiée le 11 septembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur MUHOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations qu’en date du 4 juin 1998 vous vous êtes présenté au Bureau d’Accueil pour Demandeurs d’Asile pour solliciter une autorisation de séjour provisoire. L’octroi des autorisations de séjour n’étant pas dans les compétences du Bureau d’Accueil pour Demandeurs d’Asile, on vous a conseillé de vous adresser au service compétent au Ministère de la Justice. Le 7 juillet 1998, vous avez adressé votre demande en obtention d’une autorisation de séjour à Monsieur le Ministre qui, dans sa lettre du 18 septembre 1998, vous a fait savoir qu’il ne pouvait donner une suite favorable à votre demande. Le 3 mai 1999 vous avez alors déposé une demande en obtention du statut de réfugié. Lors de l’audition par un agent de la police judiciaire le 20 août 1999, vous n’étiez plus en mesure de donner des détails quant au trajet emprunté pour venir du Monténégro au Luxembourg, ni quant à la date exacte de votre départ. Vous pouviez seulement dire que vous avez quitté Trepiza en bus pour vous rendre à Belgrade et que de là des gens vous aurait (sic) conduit jusqu’au Luxembourg.

Vous exposez qu’en mars 1998 la police militaire se serait présentée à votre domicile et elle vous aurait emmené au poste de la police monténégrine à Petnica. Les policiers vous aurait ( sic) interrogé sur vos antécédents militaires, puis on vous aurait relâché. Peu après, vous auriez reçu une convocation pour la réserve, mais vous aviez quitté le pays. Vous ne vouliez plus aller à la réserve parce que vous ne vouliez plus revivre la même chose que celle que vous avez vécu, sans autrement préciser, quand vous étiez en tant que réserviste à la guerre en Croatie.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas eu d’activités politiques. Vous n’avez jamais été maltraité. Vous n’envisagez pas de retourner au pays, prétendant qu’il est difficile pour les musulmans d’y trouver du travail.

En ce qui concerne le fait de vous être soustrait à la réserve, je souligne que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la 2 reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas non plus uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions conformément à l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Tout en mesurant à leur juste valeur les difficultés matérielles que vous devez affronter à votre retour du fait qu’il est difficile de trouver du travail, je me dois de constater qu’un tel motif ne saurait fonder une demande d’asile au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ”.

Par requête déposée en date du 11 octobre 2000, Monsieur MUHOVIC a fait introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 12 juillet 2000, notifiée le 11 septembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane, que même si la région “ ex-Yougoslavie du Monténégro n’est plus actuellement en situation de guerre, elle se trouve toujours sous contrôle serbe ”, qu’à la suite de la guerre au Kosovo, les tensions ethniques et religieuses se seraient aggravées au Monténégro, que le fait d’appartenir à la “ population musulmane vivant dans la région du Monténégro ” entraînerait “ de nombreuses persécutions provenant de la politique d’épuration ethnique de la part du gouvernement serbe ”, que cette hostilité serait également répandue au sein de l’armée fédérale yougoslave, dans la mesure où des “ règlements de compte ” auraient régulièrement lieu à l’encontre des membres de la communauté musulmane, qu’au cours de son service militaire, pendant lequel il aurait été affecté pour un certain temps en tant que réserviste en Croatie, au cours du conflit armé yougoslave dans cette partie de la Yougoslavie, il aurait fait l’objet de brimades et de multiples traitements inhumains et dégradants desquels il aurait gardé des “ traumatismes psychologiques importants ”, qu’au cours du mois de mars 1998, il aurait été arrêté par la police militaire et emmené de force au poste de police afin de subir un interrogatoire sur ses antécédents militaires, qu’à la suite de cet incident, il aurait reçu une nouvelle convocation afin de rejoindre la réserve de l’armée fédérale yougoslave, qui l’aurait motivé 3 à quitter son pays d’origine de peur de subir à nouveau des traitements discriminatoires au sein de ladite armée.

Il fait encore ajouter qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait d’être condamné voire persécuté par les Serbes en raison de son insoumission et que dans ce contexte, il risquerait une peine d’emprisonnement de 3 à 5 ans.

Il fait par ailleurs préciser qu’il aurait quitté son pays d’origine non seulement en raison d’un sentiment général d’insécurité mais en raison d’une crainte réelle pour sa vie d’autant plus que de nombreux jeunes musulmans seraient décédés au cours de l’accomplissement de leur service militaire, du fait des persécutions et des mauvais traitements qu’ils y auraient subis.

En outre, sa crainte de persécution trouverait plus particulièrement son origine dans des motifs d’ordre religieux, en sa qualité de membre d’une communauté musulmane vivant au Monténégro.

Enfin, il estime que les libertés telles que garanties par l’article 9 de la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne seraient pas respectées par l’armée yougoslave serbe.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur MUHOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur MUHOVIC lors de son audition en date du 20 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu 4 figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’insoumission, seul motif de persécution allégué, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur MUHOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont exécutés effectivement.

En ce qui concerne l’argumentation développée par le demandeur quant à une éventuelle violation par les autorités de son pays d’origine des engagements pris au titre de l’article 9 de la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales, force est encore de constater qu’il n’indique ni quels seraient les droits prévus par ledit instrument juridique international qui auraient été concrètement violés par les autorités monténégrines ou yougoslaves, ni encore les droits dont lesdites autorités resteraient concrètement en défaut de garantir le respect, ni encore dans quelle mesure cette situation, au cas où elle serait établie, serait de nature à constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits du demandeur restent vagues et qu’il n’a pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait de sa confession musulmane, de sorte qu’il convient de conclure qu’il n’a pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui serait telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Le recours en réformation laisse partant d’être fondé.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 19 février 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12386
Date de la décision : 19/02/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-02-19;12386 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award