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19/02/2001 | LUXEMBOURG | N°12320

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 février 2001, 12320


Tribunal administratif N° 12320 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 septembre 2000 Audience publique du 19 février 2001

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Recours formé par Monsieur … KALAC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12320 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2000 par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, assistée de

Maître Thessy KUBORN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif N° 12320 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 septembre 2000 Audience publique du 19 février 2001

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Recours formé par Monsieur … KALAC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12320 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2000 par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, assistée de Maître Thessy KUBORN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KALAC, sans état particulier, de nationalité yougoslave, originaire du Monténégro, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 13 juin 2000, notifiée le 25 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 6 septembre 2000, notifiée au mandataire du demandeur le 12 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Thessy KUBORN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 2 juin 1999, Monsieur … KALAC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur KALAC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Monsieur KALAC fut en outre entendu le 3 mai 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 13 juin 2000, notifiée le 25 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur KALAC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie le 4 avril 1999. Vous avez transité à travers la Bosnie, la Croatie, la Slovénie, l’Autriche et l’Allemagne pour arriver au Luxembourg le 1er juin 1999 vers 23.00 heures.

Vous exposez que vous n’avez pas subi des persécutions. Vous n’avez pas été appelé à faire le service militaire étant donné que vous étiez encore à l’école. Des gens vous auraient dit dans la rue qu’il n’y aurait pas de place pour vous au Monténégro.

Vous expliquez avoir peur des Serbes à cause de votre religion musulmane. Les Serbes ne voudraient pas que les musulmans restent au Monténégro.

Il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions.

Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne les problèmes que vous auriez eus avec la population serbe du Monténégro, ces faits ne sont pas d’une telle gravité - même à les supposer établis - qu’ils justifieraient une crainte de persécution justifiée au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie .(…) ”.

A la suite d’un recours gracieux introduit auprès du ministre de la Justice en date du 21 août 2000, celui-ci confirma sa décision négative antérieure par une nouvelle décision datée du 6 septembre 2000.

Par requête déposée en date du 13 septembre 2000, Monsieur KALAC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 13 juin et 6 septembre 2000.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation 2 des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane, qu’avant de quitter son pays d’origine au mois de mai 1999, il aurait été étudiant inscrit dans la deuxième année du lycée, qu’il n’aurait jamais été appelé à faire le service militaire, que tant ses professeurs que les autres étudiants du lycée auraient été au courant qu’il appartenait à la religion musulmane, qu’il aurait arrêté sa scolarité “ à cause de la guerre ” et “ de peur des étudiants serbes ”, qu’il se serait fait agresser à plusieurs reprises par “ la population serbe du Monténégro ”, qu’en raison de sa peur de faire l’objet d’agressions “ serbes ” et d’être appelé à combattre “ sous le drapeau yougoslave ”, il aurait quitté son pays d’origine, afin d’échapper au “ climat général d’agressivité en Yougoslavie ”, en estimant que “ les forces internationales ne réussissent pas à protéger efficacement les minorités en Yougoslavie ”.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur KALAC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur KALAC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KALAC lors de son audition du 3 mai 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

3 Il échet tout d’abord de relever que c’est à tort que le demandeur se réfère à de prétendues forces internationales qui seraient incapables de faire assurer une protection suffisante aux habitants et plus particulièrement aux minorités vivant “ en Yougoslavie ”, alors que les seules forces internationales installées en Yougoslavie sont celles qui se trouvent au Kosovo et qui ont exclusivement pour mission d’assurer notamment la paix et l’ordre public dans cette partie de la Yougoslavie. Comme toutefois le demandeur est originaire du Monténégro, et comme les dites forces internationales n’ont aucune compétence sur cette partie de la Yougoslavie, il ne saurait valablement se référer à un défaut de protection de la part desdites forces internationales au Monténégro pour conclure à un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine vis-à-vis des membres de la communauté musulmane dudit pays.

Ceci étant, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ.

Force est de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population serbe du Monténégro, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro.

Par ailleurs, la seule crainte d’être convoqué afin de rejoindre l’armée fédérale yougoslave en vue de l’accomplissement de son service militaire ne saurait, en elle même, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.

4 De toute façon, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur KALAC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son éventuelle insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont exécutés effectivement.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 19 février 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12320
Date de la décision : 19/02/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-02-19;12320 ?

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