Tribunal administratif N° 12357 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 octobre 2000 Audience publique du 5 février 2001
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Recours formé par Madame … ADROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12357 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2000 par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, assisté de Maître Anne CALTEUX, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … ADROVIC, née le 8 février 1975 à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000, notifiée le 7 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 6 septembre 2000;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Steve HELMINGER, en remplacement de Maître Roger NOTHAR et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 janvier 2001.
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Le 22 décembre 1998, Madame … ADROVIC, née le 8 février 1975 à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, 1 fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.
En date respectivement des 22 décembre 1998 et 22 septembre 1999, Madame ADROVIC fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Madame ADROVIC fut entendue le 24 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 2 juin 2000, notifiée le 7 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Madame ADROVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie le 15 décembre 1998 pour arriver au Luxembourg le 22 décembre 1998 vers 4.00 heures.
Vous avez demandé l’asile sous la fausse identité d’ADROVIC Elmira. Le 4 janvier 1999 vous vous êtes cependant présentée avec votre carte d’identité portant l’identité d’ADROVIC ….
Vous expliquez avoir fait de fausses déclarations étant donné que vous aviez eu peur de la police.
Le 24 décembre 1999 vous avez quitté le Luxembourg pour rentrer en Yougoslavie.
Vous y êtes restée pendant 5 jours et ensuite vous vous êtes rendue au Danemark où vous avez demandé l’asile. Les autorités danoises vous ont renvoyée au Luxembourg en vertu des dispositions de la Convention de Dublin.
Vous exposez avoir été membre du SDA depuis 1997. Vous auriez travaillé pour le SDA comme aide secrétaire. Vous ignorez les buts exacts du SDA.
Vous indiquez avoir été maltraitée par la police en septembre 1998. La police vous aurait demandée ce que vous faisiez là. Selon les policiers, le SDA n’aurait pas le droit d’exister.
En ce qui concerne les problèmes que vous avez eus avec la police serbe, ces faits ne sont pas d’une telle gravité - même à les supposer établis - qu’ils justifieraient une crainte de persécution justifiée au sens de la Convention de Genève.
Le fait que vous êtes rentrée en Yougoslavie pour 5 jours montre clairement qu’un danger de persécution est inexistant.
Vous déclarez avoir entendu qu’on peut travailler au Luxembourg et qu’on gagne mieux qu’au Monténégro. L’arrière-fond économique de votre demande d’asile est donc évident.
Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève.
2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.
Par lettre datée du 4 août 2000, entrée au ministère de la Justice le 7 août 2000, Madame ADROVIC introduisit, par l’intermédiaire de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 2 juin 2000.
Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 6 septembre 2000, elle a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 2 juin et 6 septembre 2000 par requête déposée en date du 5 octobre 2000.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours de pleine juridiction en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Ledit recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse expose être originaire du Monténégro et de confession musulmane, ainsi que d’avoir travaillé dans son pays d’origine comme ouvrière dans une usine de textiles sous direction serbe. Elle fait valoir plus particulièrement avoir fait l’objet de propos racistes et de traitements discriminatoires et dénigrants de la part de ses supérieurs à longueur de journée à cause de sa race et de sa religion, de sorte que les conditions dans lesquelles elle aurait dû travailler seraient devenues extrêmement pénibles et qu’elle se serait vue contrainte d’accepter des travaux dégradants. Elle signale que suite aux problèmes rencontrés sur son lieu de travail, elle aurait décidé de s’engager politiquement dans les rangs du parti pour l’action démocratique (SDA) afin de lutter activement contre les discriminations quotidiennes auxquelles seraient exposés les musulmans vivant au Monténégro, que cet engagement lui aurait cependant valu des visites intempestives de la part de la police serbe qui l’aurait menacé à plusieurs reprises tant au travail qu’à son domicile en vue de la voir mettre un terme à ses activités politiques et de leur communiquer les noms d’autres militants. Cette situation d’insécurité et de persécution serait devenue tellement intenable qu’elle aurait pris la décision de quitter son pays le plus rapidement possible pour se mettre à l’abri de ces persécutions dont elle aurait été la victime en raison de sa religion musulmane. Elle signale en outre que sa crainte de persécution en cas de retour dans son pays d’origine serait accrue du fait qu’elle serait enceinte, l’accouchement ayant été prévu pour le mois d’octobre 2000, étant donné qu’un retour dans son pays serait alors de nature à hypothéquer l’avenir de son enfant.
La demanderesse estime que les décisions ministérielles déférées seraient en contradiction flagrante avec les exigences de la Convention de Genève en faisant valoir que sa crainte de persécution serait plausible et raisonnable pour être basée sur une évaluation objective de la situation dans son pays d’origine et que ses droits civils et politiques protégés à travers la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, ne seraient en aucun cas sauvegardés ou protégés au Monténégro. Or, la mise en cause des droits civils et politiques d’une personne devrait à son sens être considérée comme une persécution au sens de la Convention de Genève, et la demanderesse estime partant justifier d’une crainte raisonnable d’être persécutée par les autorités en place au sens de l’article 1er, section A., paragraphe 2 de la Convention de Genève.
3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame ADROVIC et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame ADROVIC lors de son audition en date du 24 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par la considération que Madame ADROVIC n’allègue aucune crainte raisonnable de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, étant donné que, concernant l’argumentation développée par la demanderesse en rapport avec ses activités politiques, force est de constater qu’elle a déclaré lors de son audition qu’elle ignorait les buts exacts du parti SDA, qu’elle ne s’intéressait pas tellement à la politique et ne travaillait au sein dudit parti qu’en tant qu’aide secrétaire. Or, la simple qualité de secrétaire d’un parti politique ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, la demanderesse n’ayant en effet pas établi avoir joué un rôle actif au sein du parti politique SDA.
Concernant ensuite les prétendues visites intempestives et menaces de la part de la police serbe, il échet de constater que ces problèmes ne sont pas suffisamment graves pour établir à eux seuls un acte de persécution à l’égard de la demanderesse au sens de la Convention de Genève.
4 En ce qui concerne l’argumentation développée par la demanderesse quant à une éventuelle violation par les autorités de son pays d’origine des engagements pris au titre de la Déclaration universelle des droits de l’homme, force est encore de constater qu’elle n’indique ni quels seraient les droits prévus par ledit instrument juridique international qui auraient été concrètement violés par les autorités monténégrines ou yougoslaves, ni encore les droits dont lesdites autorités resteraient concrètement en défaut de garantir le respect, ni encore dans quelle mesure cette situation, au cas où elle serait établie, serait de nature à constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.
Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits de la demanderesse restent vagues et qu’elle n’a pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’elle risquerait personnellement de subir du fait de sa confession musulmane, de sorte qu’il convient de conclure qu’elle n’a pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.
Le recours en réformation laisse partant d’être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 février 2001 par:
M. Schockweiler, vice-président, Mme. Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Schockweiler 5