Tribunal administratif Numéro 12334 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 septembre 2000 Audience publique du 5 février 2001 Recours formé par Monsieur … KARAMETOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 12334 du rôle, déposée le 25 septembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KARAMETOVIC, né le … à Pec (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 juillet 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;
Vu la lettre du 29 septembre 2000 de Maître Marc MODERT déposée le 2octobre 2000 au greffe du tribunal administratif, par laquelle il informe le tribunal de ce que son mandant a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2000 par Maître Marc MODERT pour compte de Monsieur … KARAMETOVIC;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc MODERT et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 décembre 2000.
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Le 31 décembre 1998, Monsieur … KARAMETOVIC, né le … à Pec (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur KARAMETOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-
ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur KARAMETOVIC fut entendu en date du 27 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.
Le ministre de la Justice informa Monsieur KARAMETOVIC, par lettre du 21 juillet 2000, notifiée en date du 14 septembre 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations qu'en décembre 1998 vous avez quitté Pec/Kosovo en voiture en direction de Novi Pazar, d'où vous avez continué votre chemin à l'aide de passeurs en transitant par la Hongrie et l'Allemagne. Vous déclarez avoir choisi le Luxembourg comme pays d'accueil, parce que votre frère Ermin y habite depuis plusieurs années.
Vous déclarez avoir accompli votre service militaire en 1986/1987 en Bosnie et avoir été appelé à la réserve en 1992. Ne voulant pas tuer, vous avez alors décidé de prendre la fuite pour l'Allemagne, où vous êtes resté jusqu'au 2 avril 1998. Ayant reçu un ordre de quitter le territoire de la part des autorités allemandes, vous êtes alors allé en Turquie et puis retourné en Yougoslavie, où vous n'êtes resté qu'un mois avant de venir au Luxembourg. Vous déclarez être venu au Luxembourg en décembre 1998 en raison de la guerre et ne pas vouloir retourner actuellement dans votre pays parce que vous croyez que la situation n'y est pas encore sûre et parce que d'après vous les Albanais menacent les gens. Personnellement vous relevez avoir subi des mauvais traitements de la part de la police serbe lors de votre retour de l'Allemagne. Les policiers vous auraient considéré comme traître du pays et ils auraient menacé de vous emprisonner. Cependant, vous relevez ne pas avoir subi des mauvais traitements physiques. Vous exposez en outre ne pas avoir été appelé à la réserve avant de venir au Luxembourg.
Vous faites également état d'une peur générale à l'égard du régime actuel.
Vous affirmez enfin que votre maison au Kosovo a été détruite et qu'en cas de retour dans votre pays vous n'avez pas les moyens de survie nécessaires.
Quant à votre peur à l'égard de la guerre, force est de constater que la guerre est terminée et qu'une force armée internationale, agissant sous l'égide des Nations Unies, est 2 installée au Kosovo. De plus, une administration civile, placée sous les mêmes autorités, a été mise en place.
Par ailleurs, le fait d'avoir invoqué une peur générale à l'encontre des autorités, de la guerre, du régime politique et des Albanais n'est pas de nature à justifier une persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance de statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d'asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énumérés par la Convention de Genève. En outre des groupements d'Albanais ne sauraient être considérés comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève.
Concernant la destruction de votre maison, il y a lieu de relever que, tout en mesurant à leur juste valeur les difficultés matérielles que vous devrez affronter après la destruction de votre maison, vous n'êtes pas exposé à un risque de persécution, tel que prévu par la Convention de Genève.
Quant aux autres faits invoqués, il y a lieu de noter que même s'ils ont trait à des pratiques certainement condamnables, ces faits ne sont cependant pas d'une gravité telle -
même à les supposer établis- qu'ils justifient une crainte de persécutions au sens de la Convention de Genève.
Dans ces circonstances, vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».
A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 21 juillet 2000, Monsieur KARAMETOVIC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 25 septembre 2000.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur déclare faire partie de la minorité bosniaque musulmane du Kosovo, être né à Pec et y avoir habité avec ses parents avec lesquels il serait resté en contact périodique. Il se prévaut d’abord de « l’aggression sauvage perpétrée par des individus albanais pendant la guerre du Kosovo au printemps 1999 » contre son oncle Smajo KARAMETOVIC qui aurait été frappé et torturé pendant six jours et qui, après avoir quitté à son tour le Kosovo, serait décédé à l’hôpital municipal d’Esch/Alzette en raison d’une infection généralisée consécutive à un blocage des reins laquelle serait clairement la conséquence des « actes de barbarie » subis au Kosovo. Le demandeur ajoute avoir « pris le 3 chemin douloureux de l’exil pour sauver le plus précieux, sa vie » et avoir été accueilli au Grand-Duché au même titre que d’autres pays de l’Union européenne ont offert abri à des membres de sa communauté minoritaire persécutée, de sorte que le refus de l’asile politique à son encontre devrait conduire à dénier ce titre à tous les autres persécutés du Kosovo, une différenciation d’après le degré de crainte ou de persécution paraissant inhumaine et inconcevable. A l’instar des réfugiés ayant quitté la Hongrie lors de la « répression sanglante de 1956 » qui auraient été accueillis sans que « personne ne leur a demandé des comptes à titre individuel ni à rapporter la preuve, matériellement difficile voire impossible d’une situation subjective de crainte plus ou moins réelle ou réaliste », le demandeur estime que les réfugiés du Kosovo seraient les victimes d’une situation politique de persécution universellement reconnue ayant déterminé les pays de l’OTAN à engager une action militaire d’envergure. Pour soutenir que sa vie serait actuellement encore en danger au Kosovo, il renvoie à un entretien téléphonique qu’il aurait eu le 20 septembre 2000 avec ses parents restés au Kosovo, lesquels lui auraient rapporté qu’un homme aurait frappé à leur porte et aurait crié son nom tout en les menaçant « qu’on leur ferait entendre raison par la force » et qui l’auraient imploré à ne retourner en aucun cas, même s’il devait quitter le Luxembourg, au Kosovo où sa vie serait en danger. Le demandeur relève encore que le père de sa belle-sœur aurait été gravement blessé par balles le 29 mars 2000 à Istok et conclut que les exactions susrelatées commises à l’encontre de son oncle après l’arrivée des forces onusiennes, ensemble les affirmations prérelatées de ses parents établiraient à suffisance qu’on ne saurait admettre l’existence d’un régime étatique de droit au Kosovo où une autorité de surveillance et de tutelle aux pouvoirs découlant d’un état de guerre seraient toujours en place, de sorte que la possibilité d’un retour et d’un séjour en sécurité ne se trouverait pas établie, d’autant plus qu’il ne parlerait pas la langue albanaise et serait partant « détectable de suite comme sujet de persécution, d’exactions et de vengeance ».
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
C’est à tort que le demandeur soutient que le fait de lui refuser « le titre de réfugié et de victime des événements du Kosovo devrait conduire à nier et refuser – au prix de l’équité et de la logique - le titre de réfugié à tous les autres persécutés du Kosovo » et que « vouloir différencier ou distinguer là où il est inhumain de distinguer , c.à.d. vouloir mesurer le degré de crainte ou de persécution, vouloir créer des critères, paraît inconcevable », étant donné que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne (trib. adm. 27 février 1997, Alijaj, n° 9571, confirmé par Cour adm. 25 septembre 1997, n° 9870C, Pas. adm. 1/2000, v° Etrangers, n° 24).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour 4 obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).
Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 27 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Le demandeur se prévaut en effet essentiellement d’une crainte émanant de la majorité albanaise dans sa région d’origine. Force est néanmoins de constater que la persécution ainsi alléguée proviendrait non pas d’autorités étatiques ou locales, mais d’un groupe de la population en place. Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s ; Cour adm. 30 janvier 2001, Hajdarpasic, n° 12483C, non encore publié).
Dans ce cadre, il y a lieu de relever qu’une force armée et une administration civile internationales, agissant sous l’égide des Nations Unies, sont actuellement en place au Kosovo pour assurer la protection adéquate de la population. Le reconnaissance de l’existence d’une crainte justifiée de persécutions suppose dès lors la preuve concrète d’un défaut caractérisé d’une telle protection de la part desdites forces armées et administration civile internationales. Le demandeur reste cependant en défaut à la fois de rapporter la preuve d’actes de persécution personnellement subis, voire d’un risque réel pour lui de subir de tels actes, les simples affirmations non autrement étayées tirés d’un entretien téléphonique avec ses parents étant insuffisantes à cet égard, et d’établir le défaut caractérisé de protection de la part des forces internationales en place.
Concernant les exactions commises sur la personne de l’oncle du demandeur et le père de sa belle-sœur, force est de constater qu’au-delà du caractère dramatique que ces 5 événements revêtent par ailleurs, ils ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef du demandeur que si celui-ci établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. A défaut par le demandeur d’avoir étayé un lien entre lesdites exactions et blessures infligés à des membres de sa famille et d’éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à justifier le reconnaissance du statut de réfugié politique.
Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle il est toujours difficile pour un membre de la minorité bosniaque musulmane du Kosovo, originaire de la région de Pec, de s’y réinstaller, le demandeur ne précise pas des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer au Monténégro et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine.
Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 février 2001 par:
M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
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