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31/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12349

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 janvier 2001, 12349


Tribunal administratif N° 12349 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 octobre 2000 Audience publique du 31 janvier 2001

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Recours formé par Monsieur … HODZIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12349 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2000 par Maître Pierrot SCHILTZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Monsieur … HODZIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), sans état part...

Tribunal administratif N° 12349 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 octobre 2000 Audience publique du 31 janvier 2001

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Recours formé par Monsieur … HODZIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12349 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2000 par Maître Pierrot SCHILTZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HODZIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), sans état particulier, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 juin 2000, notifiée le 31 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 6 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries.

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Le 9 novembre 1998, Monsieur … HODZIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), sans état particulier, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, 1 approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur HODZIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur HODZIC fut en outre entendu le 10 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 16 juin 2000, notifiée le 31 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur HODZIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations qu’en date du 4 novembre 1998, vous avez pris le bus pour aller à Sarajevo. Ensuite vous avez transité par la Croatie et la Slovénie jusqu’à la frontière italienne. Vous avez chaque fois traversé les frontières à pied. En Italie, un autre passeur vous a pris en charge pour vous amener au Luxembourg où vous êtes arrivé le 9 novembre 1998. Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le même jour.

Vous avez exposé que le 20 septembre 1998, vous avez reçu une convocation pour faire votre service militaire. Vous deviez vous présenter le 22 septembre 1998, mais vous avez pris la décision de vous enfuir. Vous ne vouliez pas faire le service militaire, parce qu’à l’époque de votre convocation, la guerre au Kosovo avait déjà commencé. Vous ne voyiez pas la raison pour laquelle on vous obligerait de tuer des gens. Et puis vous aviez entendu que les musulmans seraient placés en première ligne et s’ils refusaient de tirer sur les Albanais, les Serbes, placés en deuxième ligne, tireraient dans le dos des musulmans.

Vous affirmez que la seule raison pour laquelle vous avez quitté votre pays, c’est que vous étiez appelé à faire votre service militaire. Vous invoquez la possibilité de retourner au pays en cas d’amnistie générale.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi la crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 30 août 2000, réceptionnée au ministère de la Justice le lendemain 31 août 2000, Monsieur HODZIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 16 juin 2000.

2 Par décision du 6 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 3 octobre 2000, Monsieur HODZIC a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 16 juin et 6 septembre 2000.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les décisions critiquées, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre les mêmes décisions.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées.

Il s’ensuit que le recours principal en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane et qu’il aurait quitté son pays en raison du fait qu’il aurait refusé de donner suite à une convocation pour faire le service militaire au sein des forces militaires yougoslaves. Dans ce contexte, il relève qu’en raison de sa religion musulmane, il aurait préféré déserter plutôt que de tirer sur ses « congénères ».

Il fait encore ajouter qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait d’être condamné voire persécuté par les Serbes en raison de son insoumission.

Il conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi et « pour autant que de besoin » pour excès et détournement de pouvoir.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur HODZIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été 3 telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur HODZIC lors de son audition en date du 10 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’insoumission, seul motif de persécution allégué, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur HODZIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont exécutés effectivement.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Nonobstant le fait que le demandeur n’était pas représenté à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, l’affaire est jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure étant essentiellement écrite devant les juridictions administratives.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 31 janvier 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12349
Date de la décision : 31/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-31;12349 ?

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