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31/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12345

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 janvier 2001, 12345


Tribunal administratif N° 12345 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 octobre 2000 Audience publique du 31 janvier 2001

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Recours formé par les époux … KASTRATI et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12345 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … KASTRATI, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavi...

Tribunal administratif N° 12345 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 octobre 2000 Audience publique du 31 janvier 2001

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Recours formé par les époux … KASTRATI et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12345 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … KASTRATI, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), et …, née le … à Pec, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, respectivement nés les … et … à Pec, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000, notifiée le 18 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 6 septembre 2000, notifiée au mandataire des demandeurs le 11 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 28 juin 1999, les époux … KASTRATI, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), et …, née le … à Pec, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et …, respectivement nés les …, …, … et … à Pec, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, 1 fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux KASTRATI-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux KASTRATI-… furent en outre entendus séparément le 12 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 2 juin 2000, notifiée le 18 juillet 2000, le ministre de la Justice informa les consorts KASTRATI-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo parce que l’Etat vous aurait chassés. Les Serbes habitant dans votre village vous auraient protégés aussi longtemps qu’ils le pouvaient, mais le 20 mai 1999, ils vous auraient conseillé de quitter le village. Vous vous êtes alors rendus au Monténégro et de là au Luxembourg.

Vous n’aviez aucune activité politique, et la politique ne vous intéresse d’ailleurs guère.

La raison pour laquelle vous ne voulez plus rentrer au Kosovo est que vous n’y avez plus rien. Vous affirmez que votre maison est détruite et que vous n’avez pas les moyens pour la reconstruire. En outre, vous, Monsieur, alléguez que la situation au Kosovo n’est pas sûre et qu’il y a chaque jour des tués.

Par contre vous, Madame, indiquez que vous n’avez pas peur, parce que les Serbes ne sont plus là. Cependant vous n’avez plus rien pour retourner là-bas.

Force est de constater que l’armée yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs, des centaines de milliers de personnes qui avaient quitté le Kosovo sont rentrées déjà après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Dans ces circonstances, et tout en mesurant à leur juste valeur les difficultés matérielles que vous devez affronter après la destruction de votre domicile, vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., 2. de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie ».

Par lettre datée du 8 août 2000, entrée au ministère de la Justice le même jour, les consorts KASTRATI-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à 2 l’encontre de la décision ministérielle précitée du 2 juin 2000. - Il convient de préciser que -

par suite d’une simple erreur, tel que cela a été précisé par le mandataire des consorts KASTRATI lors de l’audience fixée pour les plaidoiries -, ledit recours n’a été introduit qu’en nom et pour compte des époux KASTRATI-… et de leurs deux enfants … et ….

Par décision du 6 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 2 octobre 2000, les époux KASTRATI-… et leurs deux enfants … et … ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 2 juin et 6 septembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Kosovo et de religion musulmane, qu’en 1991, Monsieur KASTRATI aurait été licencié par « les Serbes » sans qu’une indemnité ne lui ait été allouée, qu’en 1993, le magasin par lui ouvert deux ans plus tôt aurait été fermé par « les Serbes », que de 1993 à 1998, Monsieur KASTRATI, pour subvenir aux besoins de sa famille, aurait collaboré avec « les Serbes » en leur donnant des informations sur les activités des partis d’opposition, qu’il aurait ensuite été recruté par le chef de la police locale de Pec « afin d’organiser une police locale avec les Albanais hostile à l’U.C.K. au Kosovo », qu’il aurait travaillé au sein de la police serbe de décembre 1998 jusqu’au 20 mai 1999, et que, suite au départ des autorités serbes du Kosovo, les membres de la susdite police auraient été exécutés par les partisans de l’U.C.K. sans que les forces internationales aient pu prévenir ces exactions. Les demandeurs font encore exposer qu’ils n’auraient pas eu d’autre possibilité que de quitter leur pays d’origine et de se réfugier au Grand-Duché de Luxembourg.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec les activités de Monsieur KASTRATI au sein de la police locale de Pec, dépendant du pouvoir serbe, qui seraient susceptibles de leur être reprochés en cas de retour au Kosovo et, plus particulièrement, ils soutiennent qu’ils risqueraient d’être persécutés en tant que collaborateurs par les personnes proches de l’U.C.K.

Sur ce, ils estiment qu’ils feraient valoir des craintes justifiées de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Ils ajoutent que la situation actuelle au Kosovo, à savoir la présence des forces onusiennes ne serait pas de nature à les sécuriser.

3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts KASTRATI-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux KASTRATI-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KASTRATI et son épouse, Madame … lors de leurs auditions respectives en date du 12 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de relever que, initialement lors de leurs auditions par un agent du ministère de la Justice, les époux KASTRATI-… n’ont, parmi les motifs de persécutions invoqués, en aucune façon fait état du rôle que l’époux aurait joué au sein de la police locale à Pec, les allégations afférentes n’étant apparues que dans le cadre de leur recours gracieux. Or, pareille omission n’est pas de nature à conforter la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Ceci étant, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant 4 sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise, proche de l’U.C.K., du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, mais ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Il convient enfin de relever que les demandeurs restent en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de s’installer dans une autre partie de la Yougoslavie et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, étant donné surtout que, contrairement à ce que les demandeurs ont fait exposer dans leur requête introductive d’instance, dans laquelle ils ont fait soutenir qu’ils seraient venus directement du Kosovo au Luxembourg, il se dégage de leurs déclarations initiales (cf. rapport d’audition de la gendarmerie grand-ducale du 28 juin 1999), que, suite à leur départ du Kosovo, les consorts KASTRATI-… ont d’ores et déjà pu profiter d’une possibilité de fuite interne, alors que pendant les trois mois qui ont précédé leur venue au Luxembourg ils s’étaient réfugiés au Monténégro.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond déclare le recours non justifié et en déboute;

5 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 31 janvier 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12345
Date de la décision : 31/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-31;12345 ?

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