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31/01/2001 | LUXEMBOURG | N°11998

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 janvier 2001, 11998


Tribunal administratif N°s 11998 et 12020 du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 12 et 25 mai 2000 Audience publique du 31 janvier 2001

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Recours formés par Monsieur … DUPONG, … contre une décision de la commission du stage judiciaire en matière d’admission au stage notarial

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JUGEMENT

I.

Vu la requête, inscrite sous le n° 11998 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2000 par Maître Dean SPIELMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ

€™Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DUPONG, juriste, demeurant à L-…, tendant à l’annul...

Tribunal administratif N°s 11998 et 12020 du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 12 et 25 mai 2000 Audience publique du 31 janvier 2001

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Recours formés par Monsieur … DUPONG, … contre une décision de la commission du stage judiciaire en matière d’admission au stage notarial

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JUGEMENT

I.

Vu la requête, inscrite sous le n° 11998 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2000 par Maître Dean SPIELMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DUPONG, juriste, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision de la commission du stage judiciaire du 4 mai 2000 par laquelle ladite commission a refusé de faire droit à sa demande d’admission au stage notarial à partir du 1er mai 2000 sous réserve de la réussite des épreuves supplémentaires de la première session du cours complémentaire en droit luxembourgeois;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 août 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 22 septembre 2000;

II.

Vu la requête, inscrite sous le n° 12020 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2000 par Maître Dean SPIELMANN, préqualifié, au nom de Monsieur … DUPONG, préqualifié, tendant également à l’annulation de la décision susvisée de la commission du stage judiciaire du 4 mai 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 août 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 22 septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Dean SPIELMANN et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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1 Le 12 avril 2000, Monsieur … DUPONG, juriste, demeurant à L-…, sollicita auprès de la commission du stage judiciaire prévue par l’article 9 du règlement grand-ducal modifié du 21 janvier 1978 portant organisation du stage judiciaire et réglementant l’accès au notariat, l’admission conditionnelle au stage notarial à partir du 1er mai 2000, sous réserve de la réussite des épreuves supplémentaires de la première session du cours complémentaire en droit luxembourgeois.

Par courrier du 4 mai 2000, la commission du stage l’informa du refus de l’admission au stage notarial, au motif que la condition posée par l’article 28 du règlement grand-ducal précité du 21 janvier 1978, en vertu duquel le stage notarial s’effectue pendant la première année du stage judiciaire, sous réserve de la réussite à la première session des cours complémentaires, ne se trouva pas remplie, une réussite à cette session faisant défaut dans le chef du requérant. La commission l’informa encore que le stage notarial pourrait avoir lieu, le cas échéant, après l’examen de fin de stage judiciaire.

Par requête du 12 mai 2000, Monsieur DUPONG a introduit un recours en annulation contre cette décision de refus.

Par requête du 25 mai 2000, Monsieur DUPONG a introduit un « deuxième recours en annulation sinon moyen supplémentaire présenté dans le cadre du recours en annulation du 12 mai 2000 ».

Dans la mesure où les deux recours sont dirigés contre la même décision administrative, le demandeur n’ayant introduit son deuxième recours en annulation de la décision litigieuse de la commission du stage judiciaire que pour faire valoir un moyen additionnel, déjà implicitement contenu dans le premier recours, il échet de joindre, dans l’intérêt d’une bonne administration de la Justice, les deux recours, respectivement introduits sous les numéros 11998 et 12020 du rôle, pour y statuer par un seul et même jugement.

Les deux recours, non autrement contestés sous ce rapport, sont recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.

Dans un premier ordre d’idées, le demandeur soutient que le règlement grand-ducal du 8 avril 1999 modifiant le règlement grand-ducal précité du 21 janvier 1978 serait illégal et inconstitutionnel en ce que le règlement sortirait du cadre légal de la loi du 18 juin 1969 portant réforme de l’enseignement supérieur dont l’article 9 violerait l’article 36 de la Constitution. Dans ce contexte, le demandeur fait soutenir que la décision de refus d'admission au stage notarial se baserait sur le susdit règlement grand-ducal du 21 janvier 1978, modifié entre autres par un règlement grand-ducal du 8 avril 1999. Or, ce règlement serait inconstitutionnel comme ne trouvant pas de base légale. En effet, la loi du 9 décembre 1976 relative à l'organisation du notariat n'aurait pas conféré au Grand-Duc le pouvoir de réglementer l'accès à la profession de notaire et l'article 9 de la loi précitée du 18 juin 1969, outre la question de l'applicabilité de cette loi après l'entrée en vigueur de la loi du 11 août 1996 portant réforme de l'enseignement supérieur, ne saurait constituer une base légale pour des dispositions réglementaires réglementant l'accès au notariat, dès lors que cette matière ne rentrerait pas dans le champ « d'exécution » d'une loi sur l'enseignement supérieur.

2 En outre, le demandeur estime que l'article 9 de la loi précitée du 18 juin 1969 serait inconstitutionnel en ce qu'il autoriserait le pouvoir exécutif à prendre des règlements dérogeant à des dispositions législatives existantes. - Pour le cas où le tribunal ne devait pas retenir ladite inconstitutionnalité, il lui demande de poser la question préjudicielle suivante à la Cour Constitutionnelle: « L’article 9 de la loi du 18 juin 1969 qui permet au pouvoir réglementaire de déroger aux lois existantes en organisant notamment l’accès au notariat, est-il conforme à l’article 36 de la Constitution qui interdit au pouvoir réglementaire de suspendre les lois elles-mêmes, et de les dispenser de leur exécution ? ».

Bien que le demandeur ne l’ait seulement invoqué et expressément développé que dans le cadre de son deuxième recours, il convient de rattacher à ce premier moyen d’annulation le moyen et l’argumentation fondés sur le caractère illégal et inconstitutionnel de l’article 9 de la loi précitée du 18 juin 1969 et du règlement grand-ducal précité du 21 janvier 1978, modifié entre autres par un règlement grand-ducal du 8 avril 1999, au motif qu’ils se heurteraient à l’article 23 de la Constitution. - Pour le cas où le tribunal ne devait pas d’ores et déjà estimer que l’inconstitutionnalité de l’article 9 de la susdite loi de 1969 entache d’illégalité la décision attaquée, il demande au tribunal de poser les deux questions préjudicielles suivantes à la Cour Constitutionnelle: « L’article 9 de la loi du 18 juin 1969 qui permet au pouvoir réglementaire de déroger aux lois existantes en organisant notamment l’accès au notariat, est-il conforme à l’article 23 de la Constitution qui dispose que [La loi] règle (…) tout ce qui est relatif à l’enseignement ? L’article 9 de la loi du 18 juin 1969 qui permet au pouvoir réglementaire de déroger aux lois existantes en organisant une formation complémentaire permettant l’accès au notariat, est-il conforme à l’article 23 de la Constitution qui dispose que [La loi] règle (…) tout ce qui est relatif à l’enseignement ? ».

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement rétorque que la base habilitante pour réglementer l'accès à la profession de notaire se trouve, non dans la loi précitée du 9 décembre 1976, mais dans la loi précitée du 18 juin 1969.

En outre, la loi précitée du 18 juin 1969 n’a pas été abrogée dans son intégralité par la loi du 11 août 1996 portant réforme de l'enseignement supérieur, étant donné que celle-ci se borne à prévoir, dans son article 34, que seules les dispositions légales et réglementaires contraires à cette loi sont abrogées. Or, comme, d’une part, l'article 9 de la loi du 18 juin 1969, qui autorise expressément le pouvoir exécutif à réglementer la formation spécialisée en vue d'accéder à certaines professions, l'alinéa 4 prévoyant par ailleurs explicitement l'organisation, par le pouvoir réglementaire, de l'accès au notariat, n’est pas contraire à la loi de 1996 et, d’autre part, les seules dispositions mêmes d'un acte législatif, à l'exclusion de son intitulé, ont force obligatoire (Cour d'appel 25 janvier 1958, Pas. 17, 248), force est de constater que la disposition précitée de l'article 9 de la loi du 18 juin 1969 constitue une base légale adéquate pour l'exercice du pouvoir réglementaire concernant l'accès à la profession de notaire, l'intitulé de ladite loi étant indifférent au regard de la valeur et de la portée de cette base.

Il s’ensuit que le moyen d’annulation proposé par le demandeur laisse d’être fondé sous ce rapport.

Concernant les questions relatives à la constitutionnalité de l’article 9 de la loi du 18 juin 1969 et du règlement grand-ducal précité du 21 janvier 1978, modifié entre autres par un 3 règlement grand-ducal du 8 avril 1999, par rapport aux articles 23 sinon 36 de la Constitution, il convient de relever de prime abord que c’est à tort que le délégué du gouvernement soutient que les cours complémentaires faisant partie du stage professionnel en vue de l’accès à la profession de notaire « quoiqu’organisés du point de vue administratif dans le cadre du Centre universitaire, (…) ne participent pas du caractère d’un enseignement universitaire; ils ont uniquement pour but de parfaire les connaissances juridiques des détenteurs de diplômes étrangers en les initiant aux particularités du droit luxembourgeois (…) [de sorte que] l’article 23 de la Constitution n’est pas applicable en l’espèce ». En effet, comme le témoignent notamment la nature de ladite formation spécialisée, le libellé de sa base légale précitée, à savoir l’article 9 de la loi de 1969 organisant l’enseignement supérieur et l’homologation des titres et grades étrangers d’enseignement supérieur, qui dispose que « des règlements grand-ducaux à prendre (…) organiseront les stages professionnels ou de formation spécialisée (…). Ces règlements fixeront la durée, les modalités et les épreuves de stage ou de formation spécialisée même en dérogeant aux lois existantes, et ils pourront imposer la fréquentation d’un enseignement complémentaire et subordonner la continuation du stage à la réussite d’une épreuve sanctionnant cet enseignement (…) », ainsi que l’organisation structurelle de cette formation au Centre universitaire de Luxembourg, la formation spécialisée en vue d'accéder à la profession de notaire participe à la matière de l’enseignement.

Dans cette optique, il convient en premier lieu d’examiner les moyens d’inconstitutionnalité par rapport à l’article 23 de la Constitution, en vertu duquel la loi règle tout ce qui est relatif à l’enseignement. Ce faisant, la Constitution a réservé à la loi la matière déterminée de l’enseignement.

Or, par matière réservée à la loi, on entend une matière spécialement désignée par la Constitution comme ne pouvant faire l’objet que d’une loi formelle. - L’effet d’une réserve de la loi consiste en ce que nul, sauf le pouvoir souverain, ne peut valablement disposer d’une telle matière érigée en réserve. La réserve de la loi prohibe une habilitation notamment en faveur de l’organe investi du pouvoir exécutif (cf. P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, n° 89, page 141). - La loi ne peut pas conférer au pouvoir exécutif, en vertu d’une disposition expresse, le soin de réglementer une matière dont la détermination lui incombe personnellement (A. LOESCH, Le pouvoir réglementaire du Grand-Duc, Pas. 14, doctr., p. 57).

Ceci étant, il ne faut pas déduire de ce qui précède que, pour satisfaire à une réserve constitutionnelle, la loi doive tout régler jusque dans le moindre détail. En effet, « il suffit, mais il faut aussi que le principe et les modalités substantielles de la matière réservée soient retenus par la loi » (Conseil d’Etat, avis du 15 janvier 1946, Compte-Rendu de la Chambre, 1945-1946, annexes pages 95 et suivantes). - Ainsi, la réserve de la loi prohibe les habilitations générales, mais elle ne met pas obstacle à une habilitation plus spécifique. En d’autres mots, il suffit que la loi trace les grands principes; elle peut, même en présence d’une réserve, abandonner la mise en oeuvre du détail au pouvoir réglementaire. - Pratiquement, cette doctrine sert donc en somme de principe d’interprétation stricte à l’égard des habilitations légales accordées en matière réservée (cf. P. PESCATORE, ibid) .

En l’espèce, il convient de relever que, d’un côté, le règlement grand-ducal précité du 21 janvier 1978, modifié entre autres par un règlement grand-ducal du 8 avril 1999, en ce qu’il réglemente l’accès au notariat moyennant l’organisation d’une formation spécialisée, organise un stage au Luxembourg sous la direction d’une commission du stage désignée par le ministre 4 de la Justice, détermine quand le stage doit être effectué ainsi que sa durée, conditionne l’accès au stage, prévoit sa sanction par un examen de stage, institue un jury d’examen et fixe ses attributions. D’un autre côté, concernant la base légale de ladite réglementation, si l’article 9 de la loi précitée du 18 juin 1969 autorise expressément le pouvoir exécutif à réglementer ladite formation spécialisé, il n’en reste pas moins que ni l’article 9 ni une quelconque autre disposition légale ne trace le cadre et les principes devant gouverner ladite formation, mais se borne à déléguer cette compétence au pouvoir exécutif afin qu’il fixe « la durée, les modalités et les épreuves de stage ou de formation spécialisée même en dérogeant aux lois existantes » et avec la faculté d’imposer la fréquentation d’un enseignement complémentaire et de subordonner la continuation du stage à la réussite d’une épreuve sanctionnant cet enseignement, c’est-à-dire un blanc-seing légal prohibé en présence d’une réserve constitutionnelle spécifique.

Il s’ensuit que l’intervention du pouvoir exécutif - par voie réglementaire -, à savoir l’exécution d’une habilitation générale dans une matière que la loi a pour mission exclusive de régir, sans qu’une habilitation législative spécifique ait été procurée au pouvoir exécutif, est contraire à la Constitution.

En vertu de l'article 95 de la Constitution, les tribunaux n'appliquent les mesures réglementaires que pour autant qu'elles sont conformes à la loi, la Constitution étant à assimiler à la loi sous cet aspect.

Il se dégage de ce qui précède que le règlement grand-ducal précité du 21 janvier 1978, modifié entre autres par un règlement grand-ducal du 8 avril 1999, en ce qu’il réglemente une formation spécialisée en vue de l’accès au notariat est contraire à la Constitution, de sorte que le tribunal doit en refuser l'application.

Or, la décision litigieuse est basée sur les dispositions de ce règlement grand-ducal.

Il s'ensuit qu'elle est dépourvue de base légale et doit encourir l'annulation.

La décision litigieuse encourt l’annulation en vertu des développements qui précèdent, sans qu’il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour Constitutionnelle et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur le bien fondé de la dernière branche du moyen d’annulation sous analyse ni encore sur celui des autres moyens d’annulation proposés par le demandeur, pareil examen étant surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

joint les affaires introduites sous les numéros 11998 et 12020 du rôle, reçoit les deux recours en la forme, au fond, les déclare justifiés, 5 partant annule la décision de la commission du stage judiciaire du 4 mai 2000, condamne l'Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 31 janvier 2001 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11998
Date de la décision : 31/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-31;11998 ?

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