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31/01/2001 | LUXEMBOURG | N°11906

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 janvier 2001, 11906


Tribunal administratif N° 11906 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mars 2000 Audience publique du 31 janvier 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … GOERES-…, … contre un bulletin de l’impôt sur le revenu et un bulletin portant fixation de la base d’assiette de l’impôt commercial communal émis par le bureau d’imposition Luxembourg 5 de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMEN

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11906 du rôle, déposée en date du 31 mars 2000 au greffe du...

Tribunal administratif N° 11906 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mars 2000 Audience publique du 31 janvier 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … GOERES-…, … contre un bulletin de l’impôt sur le revenu et un bulletin portant fixation de la base d’assiette de l’impôt commercial communal émis par le bureau d’imposition Luxembourg 5 de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 11906 du rôle, déposée en date du 31 mars 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland ASSA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GOERES, commerçant, et de son épouse, Madame … …, sans état particulier, les deux demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation des bulletins concernant, d’une part, l’impôt sur le revenu pour l’année fiscale 1990 et, d’autre part, la base d’assiette de l’impôt commercial communal pour ladite année 1990, tous les deux émis en date du 6 mai 1999 par le bureau d’imposition Luxembourg 5 de l’administration des Contributions directes;

Vu le mémoire en réponse déposé en date du 30 juin 2000 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom des demandeurs en date du 21 juillet 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins entrepris;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Roland ASSA, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 26 octobre 1995, le bureau d’imposition Luxembourg VIII de l’administration des Contributions directes adressa à Monsieur … GOERES un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année fiscale 1990. Ce bulletin fut émis à la suite d’un contrôle sur place effectué par deux vérificateurs de l’administration des Contributions directes, lequel contrôle a amené le bureau d’imposition à procéder à la taxation du bénéfice commercial réalisé par Monsieur 1 GOERES au cours de l’année 1990 par redressement de l’évaluation de l’immeuble dans lequel Monsieur GOERES exploite une bijouterie et par le refus d’admettre la déductibilité parmi les créances irrécouvrables d’un montant de ….- francs pour marchandises volées.

Contre ledit bulletin de l’impôt sur le revenu, Monsieur GOERES introduisit le 24 novembre 1995 une réclamation devant le directeur de l’administration des Contributions directes.

En l’absence d’une décision directoriale à la suite de ladite réclamation, Monsieur GOERES introduisit le 2 février 1998 un recours en réformation sinon en annulation contre le bulletin précité du 26 octobre 1995.

Le 6 octobre 1998, Monsieur GOERES fit encore déposer une requête complémentaire par rapport à la requête initiale du 2 février 1998, tout en demandant que les deux requêtes soient jointes.

Par jugement du 8 avril 1999, n° 10942 du rôle, le tribunal administratif reçut le recours en réformation en la forme, le dit également partiellement fondé, annula le bulletin de l’impôt sur le revenu précité émis le 26 octobre 1995 à l’encontre de Monsieur GOERES pour non respect par le bureau d’imposition compétent des dispositions du paragraphe 205 alinéa (3) de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO », en ce que préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, le bureau d’imposition n’avait pas mis le contribuable en mesure de prendre position, compte tenu de divergences substantielles retenues par le bureau d’imposition par rapport à sa déclaration d’impôt, et renvoya l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes.

Suite audit jugement, à une information en application du paragraphe 205 alinéa (3) AO adressée le 16 avril 1999 par le bureau d’imposition Luxembourg 5 de l’administration des Contributions directes aux époux GOERES-… ainsi qu’à une prise de position de ceux-ci en date du 26 avril 1999, le susdit bureau d’imposition émit le 6 mai 1999 deux bulletins, l’un concernant l’impôt sur le revenu pour l’année fiscale 1990 et l’autre portant sur la base d’assiette de l’impôt commercial communal pour ladite année 1990.

Par lettre datée au 15 juin 1999, les époux GOERES-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, une réclamation devant le directeur de l’administration des Contributions directes contre les deux bulletins précités.

En l’absence d’une décision directoriale à la suite de ladite réclamation, les époux GOERES-… ont introduit le 31 mars 2000 un recours en réformation contre les deux bulletins concernant l’impôt sur le revenu et la base d’assiette de l’impôt commercial communal pour l’année 1990.

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs soulèvent en premier lieu la prescription de la dette fiscale et ils soutiennent que cette prescription se serait opposée à ce que le bureau d’imposition compétent procède à l’émission des bulletins litigieux.

2 Dans ce contexte, ils exposent ne jamais avoir signé de renonciation à la prescription et que leurs demandes en sursis ou en obtention de délais de paiement auraient été rejetées, de sorte qu’ils auraient été obligés de payer la dette fiscale initialement fixée.

Ils se basent sur les paragraphes 144 et s. AO et soutiennent qu’il n’y aurait pas eu de fait impliquant la suspension ou l’interruption du cours de la prescription quinquennale et, plus particulièrement, que la voie de recours qui a été exercée par Monsieur GOERES à l’encontre du bulletin de l’impôt du 26 octobre 1995, annulé par le jugement précité du tribunal rendu le 8 avril 1999, n’aurait pas eu pareil effet. Par conséquent, l’annulation juridictionnelle de l’imposition sur le revenu relativement à l’année 1990 impliquerait que la dette fiscale serait prescrite et qu’elle ne saurait plus faire l’objet de nouveaux bulletins.

Le délégué du gouvernement relève qu’en matière d’impôts directs la prescription est une condition négative de l’action de l’autorité et qu’en l’absence de texte expressément contraire « l’on ne voit pas pourquoi en matière d’impôts la prescription serait suspendue pendant la durée des instances alors que le receveur n’est ni empêché ni dispensé de poursuivre le recouvrement et que ses actes d’exécution, à la différence des actes du bureau d’imposition, interrompront la prescription (L.22.12.1951) ». Sur ce, il conclut qu’en l’espèce, où l’annulation de l’imposition aurait entraîné l’inexistence rétroactive des actes basés sur l’imposition, le recours serait fondé sur base du moyen tiré de la prescription.

Il convient en premier lieu de relever qu’en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal, le régime de la prescription est régi, non pas par les dispositions de l’AO, mais par celles de la loi modifiée du 27 novembre 1933 concernant le recouvrement des contributions directes, des droits d’accise sur l’eau de vie et des cotisations d’assurance sociale, telle que remise en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 29 octobre 1946 qui, compte tenu de son libellé amendé, étendu et modifié, est à considérer dans son ensemble comme postérieure en date par rapport à la loi générale des impôts, même analysée sous le couvert de sa loi confirmative du 27 février 1946 concernant l’abrogation des lois de compétence de 1938 et 1939 et l’octroi de nouveaux pouvoirs spéciaux (cf. trib. adm. 27 mai 1998, Muller et Dohn, n° 10208 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Impôts, n° 107, page 201, et autre référence y citée).

L’article 10 de ladite loi du 27 novembre 1933, dans sa teneur applicable au présent litige, dispose que « la créance du Trésor se prescrit par 5 ans, toutefois, en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de dix ans.

Ces prescriptions s’appliquent à tous impôts, taxes, cotisations, droits d’accise, amendes, frais et autres perceptions généralement quelconques dont est chargée l’administration des contributions, sauf la prolongation conventionnelle des droits du Trésor.

La prescription prend cours à partir du 1er janvier qui suit l’année pendant laquelle la créance est née ».

Il se dégage des termes mêmes de l’article 10 alinéa 1er sous analyse que pour les prescriptions extinctives visées, la prescription quinquennale constitue la règle, tandis que la prescription décennale, conditionnée par une imposition supplémentaire du chef de déclarations incomplètes ou inexactes, avec ou sans intention frauduleuse, représente l’exception.

3 Il est constant en cause que les hypothèses d’une imposition supplémentaire ne jouent pas, c’est-à-dire que les règles exceptionnelles relatives à la prescription décennale telle que découlant de l’article 10 alinéa 1er de ladite loi modifiée du 27 novembre 1933 ne trouvent pas application.

Les créances du Trésor constituent pour le contribuable des dettes d’impôt, lesquelles sont régies par les dispositions générales des paragraphes 3 et suivants de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934 appelée « Steuer-Anpassungsgesetz » désignée ci-après par « StAnpG ».

Le paragraphe 3 StAnpG dispose en ses alinéas 1er et 2 que « (1) die Steuerschuld entsteht, sobald der Tatbestand verwirklicht ist, an den das Gesetz die Steuer knüpft. (2) Auf die Entstehung der Steuerschuld ist es ohne Einflu, ob und wann die Steuer festgesetzt wird und wann die Steuer zu entrichten (wann sie fällig) ist ».

Il découle de la combinaison des alinéas premier et second du paragraphe 3 StAnpG que c’est le fait générateur (Tatbestand) découlant de la loi qui se trouve à l’origine de la dette fiscale, en déclenchant ainsi l’application à un contribuable des dispositions de la loi d’impôt, entraînant que ni la déclaration d’impôt, ni les bulletins d’imposition ne donnent naissance par eux-mêmes à la dette d’impôt.

Dans la mesure où le bulletin d’impôt ne crée pas la dette d’impôt, mais ne fait que la fixer à travers la cote d’impôt par lui dégagée, il n’a par voie de conséquence qu’une valeur déclarative et non constitutive de la dette fiscale (cf. Olinger, Le droit fiscal, in Etudes fiscales, 93 à 95, n° 107, p. 90; Steichen, Droit fiscal général, Tome I, 1996, page 441).

D’après l’alinéa 5 du paragraphe 3 StAnpG, « Die Steuerschuld entsteht: 1. bei der Einkommensteuer und bei der Körperschaftsteuer: …. c) für die veranlagte Steuer: mit Ablauf des Kalenderjahres, für das die Veranlagung vorgenommen wird, soweit nicht die Steuerschuld nach Buchstabe a) oder b) schon früher entstanden ist ».

C’est ainsi à partir de la naissance du fait générateur que le délai de prescription court en matière d’impôts directs, y compris pour les impôts visés par les bulletins litigieux, pour leur établissement et leur recouvrement (Olinger, Le droit fiscal, op. cit, n° 87, p. 77).

D’après les articles 1er et 10 alinéa 3 de la loi modifiée du 27 novembre 1933 précitée, pour l’impôt sur le revenu et l’impôt commercial communal, le délai de prescription court à partir du 1er janvier qui suit l’année pendant laquelle la créance fiscale est née.

Il suit des considérations qui précèdent que pour l’année fiscale 1990, la créance fiscale de l’Etat concernant l’impôt sur le revenu et l’impôt commercial communal est née le 31 décembre 1990 au plus tard, fin de l’année de calendrier et que le délai de prescription afférent, étant de cinq ans, a commencé à courir pour les impôts en question relatifs à l’année 1990 à partir du 1er janvier 1991 pour expirer, en principe, le 31 décembre 1995.

Concernant une éventuelle interruption du délai de prescription, il convient de relever que l’article 3 de la loi du 22 décembre 1951 portant prorogation du délai de prescription de certains impôts directs et précision des conditions dans lesquelles les prescriptions fiscales peuvent être interrompues dispose dans son alinéa (1) que « les délais de prescription pour 4 l’établissement et le recouvrement des sommes, en principal, intérêts et amendes fiscales, dues au titre des impôts visés à l’alinéa 2 de l’article 1er de la présente loi [il s’agit notamment de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal] sont interrompus, soit de la manière et dans les conditions prévues par les articles 2244 et suivants du code civil, soit par une renonciation du contribuable au temps déjà couru de la prescription (…) ».

Or, force est de constater qu’en l’espèce, aucun des actes juridiques entraînant l’interruption civile, énumérés à l’article 2244 du code civil, à savoir une citation en justice, un commandement ou une saisie, « signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire » ne trouve son existence établie, voire alléguée. Dans ce contexte, à toutes fins utiles, il convient de rappeler que la citation en justice visée par l’article 2244 du code civil vise nécessairement le cas où c’est le créancier qui sort de sa réserve et poursuit le débiteur en justice (le bénéficiaire de la prescription) et cette hypothèse ne vise pas une action menée par le débiteur contre le créancier, telle, comme en l’espèce, une instance contentieuse introduite par le contribuable à l’encontre d’un bulletin d’impôt sur le revenu ou d’un bulletin de l’impôt commercial communal.

En outre, concernant les cas d’interruption procédant d’un acte émanant du débiteur, à savoir la reconnaissance des droits du créancier (article 2248 du code civil) et, l’hypothèse spécifique prévue par l’article 3 de la loi précitée de 1951, la renonciation au temps déjà couru de la prescription, ils ne se trouvent pas non plus vérifiés en l’espèce.

On ne saurait non plus admettre le raisonnement fondé sur l’adage « contra non valentem agere non currit praescriptio », consistant à admettre que la prescription aurait été suspendue ou interrompue durant la période où le juge administratif était saisi du recours, en raison de ce qu’il n’est pas exact d’affirmer que les parties, spécialement l’Etat, créancier de la dette d’impôt, se seraient trouvées dans l’impossibilité de fait d’agir avant la décision définitive de l’instance de recours, mais qu’au contraire, comme l’a relevé à juste titre le délégué du gouvernement, du côté de l’Etat, le receveur n’est non seulement pas empêché de poursuivre le recouvrement pendant l’instance contentieuse, mais il a le pouvoir et même l’obligation de le poursuivre et ses actes d’exécution, à la différence des actes du bureau d’imposition, interrompent la prescription. - Enfin, il convient encore d’ajouter que la condition d’application constituée par la nécessité d’une impossibilité de fait, exige soit un cas de force majeure, soit une ignorance de l’existence du droit, l’une et l’autre de ces situations n’ayant pas existé en l’espèce.

Il s’ensuit que l’instance contentieuse qui a abouti à l’annulation du bulletin d’impôt sur le revenu initial relativement à l’année fiscale 1990, n’a ni interrompu ni suspendu le cours de la prescription quinquennale.

Par conséquent, à la date d’émission des bulletins actuellement entrepris, soit en date du 6 mai 1999, la prescription extinctive de cinq ans était acquise relativement à l’impôt sur le revenu et l’impôt commercial communal de l’année fiscale 1990 et les bulletins sont à réformer en ce sens, sans qu’il y ait lieu à analyser les autres moyens invoqués par les demandeurs, pareille analyse étant devenue superflue.

Abstraction faite de ce que la faculté pour le tribunal administratif d’allouer une indemnité de procédure trouve son fondement dans l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et non pas dans 5 l’article 240 du nouveau Code de procédure civile, la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par les demandeurs est à rejeter comme n’étant pas fondée étant donné que les conditions légales ne sont pas remplies en l’espèce.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours en réformation recevable, le dit également fondé, partant annule le bulletin de l’impôt sur le revenu et le bulletin fixant la base de l’assiette de l’impôt commercial communal pour l’année 1990, émis le 6 mai 1999 à l’encontre des demandeurs et dit que la dette fiscale afférente est prescrite, renvoie le dossier devant le directeur de l’administration des Contributions directes, déclare la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par les demandeurs non fondée, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 31 janvier 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11906
Date de la décision : 31/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-31;11906 ?

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