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29/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12249

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 janvier 2001, 12249


Numéro 12249 du rôle Inscrit le 18 août 2000 Audience publique du 29 janvier 2001 Recours formé par les époux … et … ADROVIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12249 du rôle, déposée le 18 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur

… ADROVIC, né le … à Berane (Monténégro), de nationalité yougoslave, et de son épouse,...

Numéro 12249 du rôle Inscrit le 18 août 2000 Audience publique du 29 janvier 2001 Recours formé par les époux … et … ADROVIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12249 du rôle, déposée le 18 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Berane (Monténégro), de nationalité yougoslave, et de son épouse, Madame … …, née le … à Berane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-

… , agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur Edouard, né le … , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000, ainsi que d’une décision confirmative du 31 juillet 2000, les deux portant rejet de leur demande en octroi du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 septembre 2000 par Maître Marc WALCH pour compte des époux ADROVIC-…;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Louis UNSEN et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 décembre 2000.

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Le 19 avril 1999, Monsieur … ADROVIC, né le … à Berane (Monténégro), de nationalité yougoslave, et son épouse, Madame … …, née le … à Berane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L- … , agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur Edouard, né le … , introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux ADROVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux ADROVIC-… furent entendus séparément en date du 16 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Le ministre de la Justice informa les époux, par lettre du 31 mai 2000, notifiée en date du 26 juin 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté en date du 10 avril 1999 Berane au Monténégro pour vous rendre en bus à Sarajevo en Bosnie. Après deux ou trois jours chez des amis, un camion vous a amenés en Italie. Après avoir séjourné deux jours dans une maison isolée, un autre camion vous a pris en charge jusqu'au Luxembourg où vous êtes arrivés le 19 avril 1999. Étant donné que vous étiez à l'arrière du camion, vous ne pouvez pas donner de plus amples renseignements sur le chemin emprunté. Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le jour même.

Vous, Monsieur, vous avez exposé que vous avez été convoqué pour la réserve au mois d'avril 1999. Comme vous vous attendiez à cet appel, vous aviez déjà quitté le Monténégro avant l'arrivée de la convocation. Vous affirmez que vous ne vouliez pas aller à la réserve. parce que vous auriez dû aller à la guerre au Kosovo. Le fait qu'on soit obligé de tuer des gens pendant la guerre va à l'encontre de vos convictions. Vous aviez également peur que les Serbes vous tuent.

Vous dites également avoir été insulté un jour par des réservistes parce que vous êtes musulman. Vous n'envisagez pas de retourner dans votre pays en prétendant que toutes les personnes qui ont fui la réserve seraient emmenées à la prison militaire pour être battues et puis traduites devant le tribunal militaire.

En ce qui vous concerne, Madame, vous confirmez les dires de votre mari au sujet de la réserve et vous prétendez en outre avoir quitté le pays à cause de la mauvaise situation politique et des bombardements.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que tous les deux vous n'êtes pas membre d'un parti politique et que vous n'avez pas d'opinions politiques.

La seule crainte de peines du chef d'insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu'elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d'être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La reconnaissance du statut de réfugié politique n'est pas non plus uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout de la situation particulière des demandeurs d'asile qui doivent établir, concrètement, que leur 2 situation individuelle est telle quelle laisse supposer une crainte justifiée pour une des raisons énumérées par l'article 1 er A, §2 de la Convention de Genève.

Or, tous les deux vous n'avez pas fait valoir de raisons personnelles de nature à justifier, dans votre chef, la crainte d'être persécutés pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n'alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire des époux ADROVIC-… en date du 25 juillet 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 31 juillet 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 31 mai et 31 juillet 2000, les époux ADROVIC-… ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 18 août 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est dès lors irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre une appréciation erronée de leur situation spécifique qui serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine pour l’un des motifs énoncés par la Convention de Genève. Ils font valoir d’abord que le demandeur … ADROVIC n’aurait pas donné de suites à une convocation pour la réserve lui adressée au mois d’avril 1999 et qu’il aurait préféré quitter son pays d’origine alors qu’il refuserait de servir un régime autoritaire dont il désapprouverait complètement la politique et qu’il ne voudrait pas être amené à brandir une arme contre des personnes membres de la même communauté religieuse musulmane que lui-même. Ils soutiennent que le refus du demandeur … ADROVIC de servir sous les drapeaux de l’armée fédérale yougoslave entraînerait pour lui d’abord un « emprisonnement joint à une panoplie de mauvais traitements » et ensuite des poursuites en tant que déserteur par les autorités serbes pour enfin être traduit devant un tribunal militaire « qui ne manquera pas de le sanctionner gravement ». Ils ajoutent que la demanderesse … … a suivi son mari pour les mêmes raisons ainsi qu’en raison de la mauvaise situation politique et des bombardements.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

Concernant le motif de l’insoumission invoqué par les demandeurs dans le chef du demandeur … ADROVIC, force est de constater que l’insoumission ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.

En effet, au-delà du fait que les demandeurs restent en défaut d’établir à suffisance de droit que le demandeur … ADROVIC a déserté l’armée fédérale yougoslave pour des raisons de conscience valables de nature à justifier, en application de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié politique, ils restent encore en défaut d’établir concrètement, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission et de la loi d’amnistie votée par le parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, qu’une condamnation pour insoumission, le cas échéant encourue, serait effectivement exécutée à son encontre.

Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS 4 Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 janvier 2001 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12249
Date de la décision : 29/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-29;12249 ?

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