La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12246

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 janvier 2001, 12246


Numéro 12246 du rôle Inscrit le 18 août 2000 Audience publique du 29 janvier 2001 Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12246 du rôle, déposée le 18 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … SKR

IJELJ, sans état, né le … à Pec (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actue...

Numéro 12246 du rôle Inscrit le 18 août 2000 Audience publique du 29 janvier 2001 Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12246 du rôle, déposée le 18 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, sans état, né le … à Pec (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000, ainsi que d’une décision confirmative du 18 juillet 2000, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 septembre 2000 par Maître Marc WALCH pour compte de Monsieur … SKRIJELJ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Louis UNSEN et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 décembre 2000.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 29 juillet 1999, Monsieur … SKRIJELJ, sans état, né le … à Pec (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur SKRIJELJ fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur SKRIJELJ fut entendu en date du 27 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur SKRIJELJ, par lettre du 2 juin 2000, notifiée en date du 15 juin 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Vous exposez que vous auriez reçu trois convocations pour faire le service militaire. La première convocation vous serait parvenue en décembre 1998. Vous auriez refusé d'accepter ces convocations.

Vous expliquez que le motif de ce refus a été le fait que vous ne vouliez pas être obligé de participer à une guerre.

Vous indiquez avoir peur des Albanais parce que vous êtes musulman et que vous ne parlez pas leur langue.

Vous invoquez que votre frère Elvis aurait été frappé par le fils d'un voisin albanais, sans être en mesure de donner des précisons quant à cet événement. Votre famille aurait été menacée par vos voisins albanais d'être massacrée.

Force est de constater qu'une force armée internationale, agissant sous l'égide des Nations Unies, s'est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l'autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l'Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l'entrée des forces internationales sur le territoire.

En ce qui concerne les problèmes que vous avez eus avec vos voisins albanais, ces faits ne sont pas d'une telle gravité - même à les supposer établis - qu'ils justifieraient une crainte de persécution justifiée au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne votre insoumission, celle-ci ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d'un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d'origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

2 Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur SKRIJELJ en date du 12 juillet 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 18 juillet 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 2 juin et 18 juillet 2000, Monsieur SKRIJELJ a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 18 août 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est dès lors irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre une appréciation erronée de sa situation spécifique qui serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine pour l’un des motifs énoncés par la Convention de Genève. Il fait valoir d’abord ne pas avoir donné de suites à plusieurs convocations pour le service militaire et avoir préféré quitter son pays d’origine alors qu’il refuserait de servir un régime autoritaire dont il désapprouverait complètement la politique et qu’il ne voudrait pas être amené à brandir une arme contre des personnes membres de la même communauté religieuse musulmane que lui-même. Il soutient que son refus de servir sous les drapeaux de l’armée fédérale yougoslave entraînerait qu’il serait poursuivi en tant que déserteur par les autorités serbes et traduit devant un tribunal militaire « qui ne manquera pas de le sanctionner gravement ».

Le demandeur renvoie encore aux menaces et aux mauvais traitements subis par des membres de sa famille en raison de l’engagement de son frère Refik SKRIJELJ dans l’armée fédérale yougoslave, et il fait état notamment de ce que son petit frère Elvis aurait fait l’objet de mauvais traitements de la part de voisins albanais.

Il conclut sur base de ces éléments qu’il craindrait légitimement de subir le même sort en cas de retour dans son pays d’origine et ne pourrait pas compter, au vu de l’actualité quotidienne et de multiples rapports dressés par l’OSCE, sur une protection appropriée de la part des forces armées internationales en place au Kosovo qui ne pourraient intervenir qu’en cas de tir, vu qu’il se trouverait confronté à deux groupes hostiles à son égard, à savoir d’une part les Serbes en raison de son refus de servir sous les drapeaux et d’autre part les Albanais suite au service militaire accompli par son frère au sein de l’armée fédérale yougoslave, fait qui serait notoirement connu des Albanais du Kosovo. Il ajoute que le fait que l’armée yougoslave ait quitté le Kosovo serait insuffisant pour conclure à l’absence d’un risque de persécution émanant des Serbes, le Kosovo faisant juridiquement toujours partie de la Yougoslavie et demeurant « une poudrière ».

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut 3 ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

Concernant le motif de l’insoumission invoqué par le demandeur, force est de constater que l’insoumission ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève, et que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit avoir déserté l’armée fédérale yougoslave pour des raisons de conscience valables de nature à justifier, en application de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Quant à sa crainte à la fois des Serbes et des Albanais invoquée par le demandeur, force est de constater que la persécution ainsi alléguée proviendrait non pas d’autorités étatiques ou locales, mais de deux groupes de la population en place dans la région d’origine du demandeur. Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Dans ce cadre, il y a lieu de relever que l’armée et les forces de police serbes ont quitté le territoire du Kosovo et qu’une force armée et une administration civile internationales, 4 agissant sous l’égide des Nations Unies, y sont en place pour assurer la protection adéquate de la population en place. L’appartenance juridique subsistante du Kosovo à la République yougoslave n’est partant pas de nature à justifier une crainte justifiée de persécutions en présence desdites forces armées et administration civile internationales, seule la preuve concrète du défaut caractérisé d’une telle protection de la part de ces dernières pouvant être admis comme fondant une crainte justifiée de persécutions. Le demandeur reste cependant en défaut de rapporter cette preuve au-delà de ses affirmations générales.

Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 janvier 2001 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12246
Date de la décision : 29/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-29;12246 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award