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24/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12234

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 janvier 2001, 12234


N° 12234 du rôle Inscrit le 14 août 2000 Audience publique du 24 janvier 2001

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Recours formé par Monsieur … EMROVIC et son épouse, Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12234 et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 août 2000 par Maître Patrick REUTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Katia PANICHI, avocat, tous les deux inscr

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N° 12234 du rôle Inscrit le 14 août 2000 Audience publique du 24 janvier 2001

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Recours formé par Monsieur … EMROVIC et son épouse, Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12234 et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 août 2000 par Maître Patrick REUTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Katia PANICHI, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … EMROVIC, né le … à Raduhovce (Serbie) et de son épouse, Madame …, née le … à Tuzinje (Sjenica), tous les deux de nationalité yougoslave, originaires du Sandzak (Serbie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 juin 2000, notifiée le 14 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Michèle OSWEILER, en remplacement de Maître Patrick REUTER et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 24 juillet 1998, Monsieur … EMROVIC, né le … à Raduhovce (Serbie) et son épouse, Madame …, née le … à Tuzinje (Sjenica), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, né le … à Novi Pazar, …, née le … à Novi Pazar et …, née le … à Novi Pazar, tous les cinq de nationalité yougoslave, originaires du Sandzak (Serbie), demeurant actuellement à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur EMROVIC et Madame … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 27 janvier 1999, Monsieur EMROVIC et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 5 juin 2000, notifiée le 14 juillet 2000, le ministre de la Justice informa les époux EMROVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez transité à travers la Hongrie, la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver au Luxembourg le 23 juillet 1998 dans la soirée.

Monsieur, vous exposez que vous avez quitté la Yougoslavie à cause de votre peur de la guerre au Kosovo. Le Kosovo n’est qu’à une distance de 20 kilomètres de votre domicile à Raduhovce. Vous auriez entendu tout le temps des coups d’artillerie.

Vous expliquez que vous voulez surtout rester au Luxembourg à cause de vos enfants.

Vous indiquez que vous seriez mis en prison ou envoyé dans la guerre en cas de retour en Yougoslavie.

Vous invoquez en outre que vous avez peur à cause de votre religion. Les Musulmans seraient une sorte de 3e nationalité à côté des Serbes et des Albanais.

Vous déclarez avoir peur des Serbes et des Albanais. Les Serbes auraient voulu vous obliger à faire la guerre contre les Albanais. A cet effet vous auriez été appelé à la réserve de l’armée fédérale yougoslave. Les Albanais auraient voulu obliger les musulmans à adhérer à l’UCK. Vous n’avez cependant pas été sommé à y adhérer.

Selon vos opinions, il y aurait bientôt une guerre au Sandzak.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous exposez ne pas avoir l’intention de retourner dans votre pays même si la situation s’améliorait.

Vous joignez comme pièce un article de journal prouvant le décès de votre frère au Kosovo.

Force est cependant de constater que la crainte d’une sanction pénale pour insoumission ne saurait en elle-même constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999 et les troupes fédérales yougoslaves se sont retirées de ce territoire, de sorte que la crainte d’être envoyé au Kosovo n’est plus justifiée.

En plus, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 Madame, votre frère a trouvé la mort au Kosovo, lorsqu’il voulait se déplacer de Rozaje à Pec. Cet incident ne s’est cependant pas produit au Sandzak, partie de la Serbie dans laquelle vous habitez, de sorte qu’on ne peut pas faire du décès de votre frère un argument pour avoir peur de vivre au Sandzak.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 14 août 2000, les époux EMROVIC- … ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 5 juin 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer être de confession musulmane, qu’ils auraient quitté leur pays d’origine, entre autres, en raison du fait que Monsieur EMROVIC a refusé d’être enrôlé dans l’armée fédérale yougoslave de réserve au cours de l’année 1998, à la suite de l’accomplissement de son service militaire en 1975, de sorte qu’il risquerait d’être condamné à une peine d’emprisonnement du fait de son insoumission. Contrairement aux explications fournies par les demandeurs dans leur requête, suivant lesquelles ils seraient originaires du Monténégro, il ressort du dossier qu’ils sont en réalité originaires du Sandzak (Serbie). Monsieur EMROVIC justifie encore son refus de rejoindre l’armée de réserve par le fait qu’il ne souhaitait pas participer à la guerre ayant eu lieu au Kosovo, au cours de laquelle il craignait être obligé de tuer des êtres humains de la même confession musulmane que lui, qu’il craignait être maltraité par d’autres soldats au cours de l’accomplissement de son service militaire de réserve, en raison de sa religion musulmane et qu’il craignait de courir un « immense danger » au cours de l’accomplissement dudit service militaire.

Les demandeurs soutiennent encore que les autorités de leur pays d’origine ne seraient pas en mesure de leur garantir la protection des droits résultant des engagements pris par la Yougoslavie au titre de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948 et que ce fait à lui seul serait de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

3 Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux EMROVIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux EMROVIC- … lors de leurs auditions respectives du 27 janvier 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef de Monsieur EMROVIC une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, au vu notamment des élections ayant eu lieu en Serbie, Monsieur EMROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine -

d’emprisonnement - éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

4 En ce qui concerne l’argumentation développée par les demandeurs quant à une éventuelle violation par les autorités de leur pays d’origine des engagements pris au titre de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il échet de constater qu’ils n’indiquent ni quels seraient les droits prévus par ledit instrument juridique international qui auraient été violés par les autorités yougoslaves ni les droits dont lesdites autorités ne garantiraient pas le respect vis-à-vis des demandeurs ni encore dans quelle mesure cette situation, au cas où elle serait établie, serait de nature à constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Madame … quant à elle n’a pas invoqué de motifs de persécution propres, autres que ceux ayant trait à la situation particulière de son mari.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits des demandeurs restent vagues et qu’ils n’ont pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir du fait de leur appartenance ethnique et de leurs convictions religieuses, de sorte qu’il convient de conclure qu’ils n’ont pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui seraient telles que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 24 janvier 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12234
Date de la décision : 24/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-24;12234 ?

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