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24/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12208

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 janvier 2001, 12208


N° 12208 du rôle Inscrit le 7 août 2000 Audience publique du 24 janvier 2001

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Recours formé par Monsieur … OSMANOVIC et son épouse, Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12208 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ord

re des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … OSMANOVIC, né le … à Berane (Monténégro) et de son épous...

N° 12208 du rôle Inscrit le 7 août 2000 Audience publique du 24 janvier 2001

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Recours formé par Monsieur … OSMANOVIC et son épouse, Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12208 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … OSMANOVIC, né le … à Berane (Monténégro) et de son épouse, Madame …, née le …à Berane (Monténégro), tous les deux de nationalité yougoslave et originaires du Monténégro, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000, notifiée le 7 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 28 juillet 1998, Monsieur … OSMANOVIC, né le … à Berane (Monténégro), et son épouse, Madame …, née le …à Berane, tous les deux de nationalité yougoslave et originaires du Monténégro, demeurant actuellement à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur OSMANOVIC et Madame … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Le 1er septembre 1999, les époux OSMANOVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 2 juin 2000, notifiée le 7 juillet 2000, le ministre de la Justice informa les époux OSMANOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie le 23 juillet 1998. Vous avez transité à travers la Hongrie et la Slovénie. Ensuite vous avez été emmenés au Grand-Duché de Luxembourg en voiture. Vous êtes arrivés le 28 juillet 1998 à 4 heures du matin.

Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1993 à Raska. La police militaire serait venue vous chercher en juin 1998, ainsi que deux ou trois fois après votre départ.

Vous expliquez que vous ne vouliez pas aller à la guerre, ni tuer des gens. Vous ignorez contre qui vous battre.

Vous indiquez que vous avez de la famille parmi les Albanais du Kosovo.

Vous êtes sûr d’être sanctionné en raison de votre refus d’aller faire la réserve militaire. Selon vos opinions, vous risqueriez une peine de 3 à 7 ans de prison.

Vous voulez rester au Luxembourg pendant un certain temps.

Vous indiquez comme deuxième raison de votre fuite des provocations nationalistes.

Vous relatez que la situation ne s’est pas encore calmée et qu’il n’y a pas de liberté de circulation. Vous avez entendu que deux de vos copains auraient disparu il y a deux mois.

Vous n’avez pas été personnellement persécuté, mais les Serbes vous auraient provoqué dans la rue.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari et vous déclarez avoir été verbalement provoquée dans la rue.

Vous indiquez que vous ne pouvez pas retourner, vu que toute votre génération aurait quitté le pays.

Votre peur viendrait de votre religion.

Force est cependant de constater que la crainte d’une sanction pénale pour insoumission ne saurait en elle-même constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable du statut de réfugié.

2 En outre, le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999 et les troupes fédérales yougoslaves se sont retirées de ce territoire, de sorte que la crainte d’être envoyé au Kosovo n’est plus justifiée.

En ce qui concerne les problèmes que vous avez eus avec les Serbes, ces faits ne sont pas d’une telle gravité – même à les supposer établis – qu’ils justifieraient une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 7 août 2000, les époux OSMANOVIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 2 juin 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer être de confession musulmane et avoir vécu au Monténégro, et plus particulièrement à Berane. Cette constatation ne saurait être mise en doute par les explications fournies par le mandataire des demandeurs au cours des plaidoiries suivant lesquelles les demandeurs auraient vécu à Pec au Kosovo et que partant ils seraient à considérer comme étant originaires du Kosovo, alors que s’il est vrai que Monsieur OSMANOVIC a déclaré au cours de son audition précitée du 1er septembre 1999 avoir travaillé dans une entreprise de construction à Pec au Kosovo et avoir séjourné chez ses oncles à Pec pour les besoins de son travail, il n’en reste pas moins que les deux demandeurs ont indiqué lors de leurs auditions respectives avoir résidé en dernier lieu à Berane au Monténégro avant leur départ de leur pays d’origine. Il ressort par ailleurs des mêmes déclarations que la police militaire serbe s’est présentée en juin 1998 à leur domicile à Berane en vue du recrutement de Monsieur OSMANOVIC dans l’armée fédérale yougoslave de réserve. Il y a partant lieu d’analyser la situation des demandeurs par rapport à la situation ayant existé et existant actuellement au Monténégro.

Ils font exposer avoir quitté leur pays d’origine en raison du fait qu’après avoir accompli son service militaire en 1993, Monsieur OSMANOVIC aurait refusé de donner suite à une convocation de la police militaire serbe lui parvenue en juin 1998 en vue de rejoindre l’armée fédérale yougoslave de réserve, de sorte qu’il risquerait d’être condamné à une peine d’emprisonnement allant de 3 à 7 ans. Dans ce contexte, Monsieur OSMANOVIC fait valoir 3 qu’il n’aurait pas souhaité faire la guerre et « tuer des gens », tout en ne sachant pas « contre qui [il devait se] battre », en indiquant encore qu’il aurait eu de la famille au Kosovo notamment parmi la population albanaise.

Les demandeurs soutiennent encore avoir eu peur des provocations verbales qu’ils auraient dû subir de la part d’une partie de la population serbe et qui leur auraient été adressées « dans la rue ».

La demanderesse ajoute qu’en ce qui la concerne, elle aurait craint des discriminations en raison de sa religion musulmane et du fait qu’elle parle la langue serbe, ce qui aurait pu avoir pour conséquence des difficultés de trouver du travail au Monténégro.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux OSMANOVIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux OSMANOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 1er septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef de Monsieur OSMANOVIC une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, au vu 4 notamment des élections ayant eu lieu en Serbie, Monsieur OSMANOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine - d’emprisonnement - éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur OSMANOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par le Parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les jugements en question sont exécutés effectivement.

Concernant les autres déclarations faites par les demandeurs, notamment quant à leur peur à l’égard d’une partie de la population serbe en raison de leur religion musulmane, il échet de constater qu’elles constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de leurs auditions respectives, ils n’ont fourni aucune indication précise à ce sujet, qu’ils ont indiqué ne pas avoir été accusé d’un crime ou d’un délit, ni incarcéré avec ou sans jugement et qu’ils n’établissent aucun fait d’une gravité suffisante pour constituer un motif justifiant dans leur chef une crainte légitime d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur religion musulmane ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève.

En ce qui concerne enfin les allégations de Madame … quant à d’éventuelles discriminations qu’elle risquerait de subir dans le cadre de sa recherche d’un emploi au Monténégro en raison de son appartenance à la religion musulmane, il échet de constater qu’elle n’a ni établi ni même allégué un fait précis quelconque de nature à étayer cette crainte.

La simple affirmation de la possibilité de subir des discriminations lors de la recherche d’un emploi salarié ne saurait toutefois être de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits des demandeurs restent vagues et qu’ils n’ont pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir du fait de leur appartenance ethnique et de leurs convictions religieuses, de sorte qu’il convient de conclure qu’ils n’ont pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui seraient telles que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

5 le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 24 janvier 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12208
Date de la décision : 24/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-24;12208 ?

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