La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12064

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 janvier 2001, 12064


N° 12064 du rôle Inscrit le 19 juin 2000 Audience publique du 17 janvier 2001

==============================

Recours formé par Madame … ARRUNATEGUI ESPINOZA contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

---------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête inscrite sous le numéro 12064 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2000 par Maître Anne ANASTASIO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mad

ame … ARRUNATEGUI ESPINOZA, gouvernante, de nationalité péruvienne, demeurant à L-…, tendan...

N° 12064 du rôle Inscrit le 19 juin 2000 Audience publique du 17 janvier 2001

==============================

Recours formé par Madame … ARRUNATEGUI ESPINOZA contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

---------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête inscrite sous le numéro 12064 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2000 par Maître Anne ANASTASIO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … ARRUNATEGUI ESPINOZA, gouvernante, de nationalité péruvienne, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté pris par le ministre de la Justice en date du 24 février 2000, lui notifié le 14 juin 2000, par lequel l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg lui ont été refusés ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2000 ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 29 juin 2000 par laquelle a été ordonné le sursis à exécution de l’arrêté ministériel précité du 24 février 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Claudine ELCHEROTH, en remplacement de Maître Anne ANASTASIO ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

A la suite d’une demande formulée en date du 25 octobre 1995 par Monsieur X, de nationalité française ainsi que par son épouse, Madame Y, de nationalité péruvienne, ayant à l’époque demeuré ensemble à L-…, tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de Madame … ARRUNATEGUI ESPINOZA, mère de Madame Y, et d’un échange du courrier subséquent entre les époux X-Y et le ministre de la Justice, ce dernier a délivré une autorisation de résider au Grand-Duché de Luxembourg avec une durée de validité jusqu’au 17 juin 1997 en faveur de Madame … ARRUNATEGUI ESPINOZA, de nationalité péruvienne.

Une nouvelle autorisation de séjour fut accordée par le ministre de la Justice à Madame … ARRUNATEGUI ESPINOZA, née le …, ainsi qu’à sa fille Z, née le …, par courrier du 30 septembre 1997, avec une durée de validité jusqu’au 30 avril 1998, à la suite d’une demande introduite par son mari Monsieur W, né le …, en date du 6 mai 1997 et à la suite de son mariage avec celui-ci en date du 25 avril 1997. Ladite décision ministérielle spécifiait encore qu’en ce qui concerne la prolongation de l’autorisation de séjour en question au-delà de l’échéance y indiquée, Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA serait informée en temps utile de la suite réservée à son dossier, sans qu’il soit nécessaire qu’elle présente une nouvelle demande de prolongation.

Par courrier du 3 juin 1998, le ministre de la Justice informa Madame … ARRUNATEGUI ESPINOZA, épouse W, de ce qu’une autorisation de séjour a été accordée en sa faveur ainsi qu’en faveur de sa fille Z et qu’elles devraient s’adresser à l’administration communale du lieu de leur domicile en vue d’y souscrire une demande en obtention d’une carte d’identité d’étranger.

Il ressort d’une lettre adressée par la sœur de Monsieur W, à savoir Madame T au ministre de la Justice en date du 30 novembre 1998, réceptionnée par le ministère en date du 1er décembre 1998, que de l’avis de celle-ci le mariage de son frère W avec Madame … ARRUNATEGUI ESPINOZA aurait été un mariage de complaisance dans la mesure où Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA aurait épousé Monsieur W afin de régulariser sa situation au Grand-Duché de Luxembourg. Elle faisait encore état dans ladite lettre du fait que son frère « conscient du grand erreur (sic) qu’il a fait », aurait entendu « régler sa situation le plus rapidement possible », en laissant sous-entendre qu’il aurait eu l’intention de demander soit le divorce soit l’annulation de son mariage.

A la suite d’une demande de renseignements adressée au commissariat de police à Luxembourg-Gasperich par le ministre de la Justice en date du 12 août 1998, un commissaire dudit commissariat de police a constaté, dans un rapport daté au 26 août 1998, que notamment la communauté de vie continuerait à exister entre Monsieur W et Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA, selon les dires de cette dernière.

Il ressort d’un procès-verbal du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale du 6 décembre 1999, que Madame … ARRUNATEGUI ESPINOZA était entrée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en date du 16 février 1994 sur base d’un passeport péruvien émis au cours du mois de janvier 1994, muni d’un visa touristique émis par l’ambassade de Belgique à Lima (Pérou). Il ressort encore du prédit procès-verbal ainsi que de l’audition de Monsieur W effectuée par un agent de la police en date du 8 octobre 1999, se trouvant à la base du prédit procès-verbal que, d’après les déclarations de Monsieur W, celui-ci s’était marié avec Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA « pour lui faire une faveur », après avoir reçu une somme de « 50.000.- Flux pour ce mariage », étant donné qu’« elle aurait des problèmes de papiers d’autorisation de séjour ». Monsieur W a encore déclaré lors de la prédite audition ce qui suit : « j’ai jamais eu une relation avec cette femme, on a jamais habité ensemble, ni dormi dans le même lit », en précisant encore qu’« avant le mariage, … m’avait fait signer un papier comme quoi après 2 ans de mariage, elle prendra en charge le divorce. Elle n’a pas voulu me procurer une copie ». Il a encore indiqué à cette occasion que Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA aurait régulièrement insisté auprès de lui afin qu’il se « déclare à son adresse pour ne pas avoir des problèmes avec la police » et qu’il avait consulté un avocat en vue de l’introduction d’une instance de divorce.

La véracité des informations ainsi soumises par Monsieur W à la police a été largement contestée par Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA, tel que cela ressort de son audition par un agent de police en date du 18 octobre 1999, se trouvant également à la base du procès-verbal précité du 6 décembre 1999, dont il ressort que de l’avis de celle-ci son mari et 2 elle auraient habité ensemble pendant une année entre 1997 et 1998, qu’elle n’aurait « jamais rien payé pour ce mariage », qu’elle n’aurait « jamais eu de problèmes de papiers » et qu’elle aurait été séparée depuis une année de son mari. Au cours de l’interrogatoire en question, elle a encore admis avoir donné de l’argent à son mari « pour les drogues ».

Il ressort encore d’un courrier du 6 décembre 1999 de Monsieur W qu’il entendait demander le divorce ou, si possible, l’annulation de son mariage, en confirmant que ce mariage aurait été un mariage de complaisance.

Par un arrêté du 24 février 2000, le ministre de la Justice refusa l’entrée et le séjour à Madame … ARRUNATEGUI ESPINOZA, née le 21 août 1942 à Piura, de nationalité péruvienne, demeurant à L-1349 Luxembourg, 19, rue Christoph Colomb, en précisant que « l’intéressée devra quitter le pays dès notification du présent arrêté », au motif qu’elle « ne dispose pas de moyens d’existence personnels » et qu’il n’existe pas de communauté de vie avec son époux.

Par requête déposée en date du 19 juin 2000, Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 24 février 2000.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours ne serait pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, n° 9667 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 5, p. 310 et autres références y citées).

En l’espèce, aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction contre une décision de refus d’entrée et de séjour, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Le recours subsidiaire en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir qu’elle ne saurait être « expulsée » du territoire luxembourgeois, alors que, d’une part, elle est mariée à un ressortissant luxembourgeois et, d’autre part, elle est atteinte d’un cancer et que de ce fait, elle aurait été contrainte de cesser toute activité professionnelle au Luxembourg afin de suivre une thérapie au Centre Hospitalier de Luxembourg. Elle indique encore qu’elle « s’est installée auprès de l’un de ses enfants, dans la maison dont celui-ci est propriétaire ».

Elle se base sur l’article 10, paragraphe 1er du règlement CEE n°1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté et sur l’article 4, paragraphe 4 de la directive n° 68/360/CEE du Conseil du 15 octobre 1968 relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des Etats membres et de leur famille à l’intérieur de la Communauté pour soutenir que le ministre de la Justice lui aurait refusé à tort son autorisation de séjour sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Elle estime dans ce contexte qu’en sa qualité d’épouse d’un ressortissant luxembourgeois, elle devrait être considérée comme étant un bénéficiaire indirect de la libre 3 circulation des personnes, dans la mesure où son époux bénéficie sur le territoire luxembourgeois de la liberté de séjour et de circulation. Le fait qu’elle n’a plus de domicile et de foyer commun avec son époux devrait, à son avis, être indifférent à cet égard. Elle indique encore dans ce contexte qu’au vu du fait qu’elle « dépend de trois membres de sa famille bénéficiant d’une autorisation de séjour , il doit lui être nécessairement délivré un document de séjour ayant la même validité que celui délivré aux travailleurs dont il dépend ».

Le délégué du gouvernement précise d’abord, à titre liminaire, que contrairement aux affirmations de la demanderesse, la décision déférée ne constituerait pas un arrêté d’expulsion, tel que réglementé par l’article 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, mais un arrêté de refus d’entrée et de séjour pris en application de l’article 2 de la loi précitée de 1972.

Il échet tout d’abord de retenir que le moyen tiré de la violation du droit communautaire, tel que soulevé par la demanderesse, et basé sur la violation de son prétendu droit au séjour conformément à la réglementation communautaire précitée, doit être analysé en premier lieu, comme l’a d’ailleurs suggéré la demanderesse, alors que s’il devait être fondé, cette conclusion aurait pour conséquence que le droit communautaire ainsi invoqué tiendrait la loi précitée du 28 mars 1972 en échec.

En vertu du paragraphe 1er de l’article 10 du règlement CEE n°1612/68 précité « ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un Etat membre employé sur le territoire d’un autre Etat membre, quelle que soit leur nationalité : a) son conjoint (…) ».

L’article 4, paragraphe 4 de la directive 68/360/CEE précitée, dispose encore que « lorsqu’un membre de la famille n’a pas de nationalité d’un Etat membre, il lui est délivré un document de séjour ayant la même validité que celui délivré au travailleur dont il dépend ».

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut à l’inapplicabilité des dispositions de droit communautaire précités, alors que celles-ci ne s’appliquent pas à des situations purement internes à un Etat membre, telle que celle d’un ressortissant d’un Etat tiers qui, en sa seule qualité de conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre, se prévaut d’un droit de séjour ou d’un droit de demeurer sur le territoire de cet Etat membre (CJCE 18 octobre 1990, aff. 297/88 et 197/89, Dzodzi c/ Etat belge, Rec. I. - 3763). En effet, la réglementation adoptée pour l’exécution du Traité de Rome ne peut pas être appliquée à des situations qui ne présentent aucun facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire, ce dernier ne s’appliquant pas au cas où le travailleur ressortissant d’un Etat membre, tel que visé par l’article 10, paragraphe 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, possède la nationalité de l’Etat sur le territoire duquel le ressortissant d’un Etat tiers, conjoint dudit travailleur, entend faire valoir un droit à l’entrée ou au séjour, lesdits règlement et directive communautaires ne trouvant application qu’à partir du moment où un ressortissant d’un Etat tiers, marié à un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne travaillant dans un autre Etat membre que celui dont il possède la nationalité, invoque le droit à l’entrée ou au séjour dans l’Etat membre dans lequel son conjoint travaille (trib. adm. 15 novembre 2000, n° 12104 du rôle, non encore publié).

Force est de constater encore que les règlement et directive communautaires précités ne sauraient de toute façon trouver application en l’espèce, alors que leur champ d’application 4 est limité aux travailleurs se trouvant dans une situation de circulation à l'intérieur de la Communauté européenne ainsi qu'à leurs conjoints ressortissants d’un Etat tiers, et qu’en l’espèce, il est constant en cause qu’au moment où la décision incriminée a été prise Monsieur W n’était pas un travailleur au sens des textes communautaires précités, puisqu’il était inscrit en tant qu’étudiant au Lycée technique de Bonnevoie.

Il suit des considérations qui précèdent qu’étant donné qu’en l’espèce, la situation de Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA, ressortissant d’un Etat tiers, mariée à un ressortissant luxembourgeois, constitue une situation purement interne au Luxembourg et qu’en outre son conjoint, ressortissant luxembourgeois, partant d’un Etat membre de l’Union européenne, ne constitue pas un travailleur au sens des dispositions communautaires précitées, sa situation n’est pas visée par le droit communautaire et le moyen d’annulation soulevé laisse d’être fondé et doit être écarté.

La demanderesse fait encore valoir que l’arrêté portant refus d’entrée et de séjour au Grand-Duché de Luxembourg serait entaché d’illégalité au motif, d’une part, qu’il a été pris sans que préalablement l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers ait été pris, comme l’exigerait pourtant l’article 2, 2° du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers et, d’autre part, qu’il violerait l’article 12 du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, en ce qu’aucun délai ne lui a été accordé pour organiser son départ.

Concernant l’absence de saisine de la commission consultative en matière de police des étrangers, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement fait valoir qu’outre le fait que la décision déférée ne constitue pas une expulsion, la saisine de la commission précitée n’est obligatoire, en vertu de l’article 2,2° du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972, qu’au cas où l’intéressé en fait la demande, à présenter par écrit au ministre de la Justice dans le mois dans lequel la décision a été portée à sa connaissance, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

Le moyen afférent est partant à écarter.

C’est encore à bon droit que le représentant étatique conclut au rejet du moyen tiré de la violation de l’article 12 du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972, étant donné qu’en vertu de l’article 1er de la section 1ère dudit règlement grand-ducal, la section en question ne s’applique, sous certaines conditions, qu’aux ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des Etats ayant adhéré à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, et non pas à un ressortissant péruvien.

Nonobstant le fait que dans la chronologie des moyens présentés par la demanderesse, celle-ci invoque un moyen tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la convention européenne des droits de l’homme », il y a d’abord lieu d’analyser le moyen invoqué en dernier lieu par la demanderesse, et tiré d’une prétendue violation de l’article 5 de la loi précitée du 28 mars 1972, en ce que ce serait à tort que le ministre de la Justice lui a reproché de ne pas disposer de moyens personnels suffisants, alors qu’elle aurait exercé une activité professionnelle jusqu’au moment où elle est tombée gravement malade, et que depuis lors, elle serait prise en charge par ses trois enfants, de sorte qu’elle disposerait des moyens financiers nécessaires pour assumer ses frais de séjour.

5 L’article 5 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que : « La carte d’identité d’étranger peut être refusée et l’autorisation de séjour valable pour une durée maximale de douze mois peut être refusée ou révoquée à l’étranger : 1) qui se trouve dans une des hypothèses prévues à l’article 2 ; (…) », qui dispose notamment que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement soutient qu’il ressort à suffisance de droit des éléments du dossier et des renseignements qui ont été fournis au tribunal que Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA ne disposait pas de moyens personnels propres au moment où la décision critiquée a été prise.

En effet, c’est à tort que la demanderesse entend justifier l’existence de moyens personnels suffisants par des aides financières procurées par ses trois enfants, par lesquels elle serait prise en charge notamment dans la mesure où elle vivrait dans un immeuble appartenant à l’une de ses filles, alors que de tels moyens ou garanties éventuellement procurés par des tiers ne sont pas à considérer comme constituant la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Etrangers, II Autorisation de séjour - Expulsion, n° 81, et autres références y citées).

Alors même que, tel qu’il suit de ce qui précède, le ministre était en droit de refuser l’autorisation de séjour sollicitée, en se basant sur l’article 5 de la loi précitée du 28 mars 1972, en ce qu’il n’était pas établi qu’au moment de l’émission de la décision critiquée, la demanderesse disposait de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, il échet encore d’analyser le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, en ce que cette disposition de droit international est de nature à tenir en échec la législation nationale.

Ainsi, la demanderesse se prévaut de la violation de l’article 8, paragraphe 1er de la convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le respect de la vie familiale, en soulignant qu’elle vivrait actuellement auprès de ses trois enfants et de ses petits enfants et que l’exécution de la décision déférée aurait pour effet de porter atteinte à cette vie familiale.

Le délégué du gouvernement fait valoir d’abord qu’il n’y aurait pas de vie familiale de la demanderesse avec son mari, étant donné qu’il se dégagerait des pièces versées en cause qu’il s’agirait en l’espèce d’un mariage blanc. Concernant la vie familiale avec ses enfants, le représentant étatique souligne que cette vie familiale n’aurait pas existé avant son immigration au Grand-Duché de Luxembourg, étant donné que sa fille, dans l’immeuble de laquelle elle habite, se serait déjà trouvée antérieurement au Luxembourg. Subsidiairement, il estime qu’en l’espèce, une ingérence de l’autorité publique, telle que prévue par l’article 8, paragraphe 2 de la convention européenne des droits de l’homme se justifierait, la demanderesse ayant manifestement abusé des pratiques administratives et législatives du pays pour obtenir une autorisation de séjour.

6 Dans son mémoire en réplique, la demanderesse conteste que son mariage contracté avec Monsieur W soit un mariage de complaisance, en estimant que cet argument, tel que développé par le délégué du gouvernement, ne saurait être pris en considération dans le cadre de l’application de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme.

En outre, en ce qui concerne la condition de la préexistence de la vie familiale, sur laquelle s’est basé le délégué du gouvernement pour conclure à la non application de l’article 8 précité, la demanderesse estime que cette vie familiale devrait être appréciée au moment où l’autorisation de séjour refusée par les autorités luxembourgeoises fut sollicitée. Dans ce contexte, elle déclare qu’il existerait depuis 1995 une vie familiale effective, d’une part, avec son mari, avant que celui-ci ne la quittait et, d’autre part, avec ses trois enfants et ses petits enfants. Elle conteste par ailleurs qu’elle constituerait une atteinte à l’ordre public ou qu’elle représenterait un risque pour la sécurité nationale et la sécurité publique autorisant les autorités luxembourgeoises à s’immiscer dans sa vie familiale, telle que protégée par l’article 8, paragraphe 1er de la convention européenne des droits de l’homme.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, tel qu’il a été constaté ci-avant, justifié à suffisance de droit par l’absence de moyens personnels suffisants au sens des articles 2 et 5 de la loi précitée du 28 mars 1972, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par la demanderesse et tiré de la violation de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où elle estime qu’il y aurait violation de son droit au maintien de sa vie familiale, lequel tiendrait les dispositions précitées de la loi du 28 mars 1972 en échec.

En droit international, il est de principe que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Cependant, les Etats qui ont ratifié la convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite convention.

A ce sujet, l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme dispose que:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Toutefois, la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites.

En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur 7 son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux (cf. Frédéric SUDRE in Droit International et Européen des Droits de l’Homme, No.183 au sujet de l’arrêt CRUZ VARAS et autres de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 mars 1991, A.201 §88). En second lieu, elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante.

En l’espèce, il ressort des pièces et éléments du dossier que Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA a pour la première fois bénéficié d’une autorisation de séjour en date du 19 juin 1996, émise avec une durée de validité jusqu’au 17 juin 1997, qu’à la suite de son mariage avec Monsieur W en date du 25 avril 1997, elle a bénéficié d’une nouvelle autorisation de séjour, émise en date du 30 septembre 1997, et valable jusqu’au 30 avril 1998, et qu’en date du 3 juin 1998, elle a été autorisée à souscrire une demande en obtention d’une carte d’identité d’étranger.

Par ailleurs, il est constant en cause qu’à l’heure actuelle, les trois enfants de la demanderesse, à savoir Y, épouse X, Z ainsi que S vivent tous les trois au Grand-Duché de Luxembourg. Il est encore constant en cause qu’en 1995, la demanderesse a rejoint sa fille Y, au Luxembourg, qu’avant d’avoir épousé Monsieur W, elle habitait dans le ménage de sa fille et qu’au vu de son incapacité actuelle de travail, due à sa maladie, elle est entièrement à charge de ses enfants.

Il résulte des considérations qui précèdent que la demanderesse ne s’est pas rendue sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, en 1995, afin d’y créer des liens familiaux nouveaux, mais qu’elle a résidé légalement au pays pendant plusieurs années et qu’il existe au Luxembourg une vie familiale effective entre la demanderesse et ses trois seuls enfants.

Il s’ensuit qu’au vu de l’existence effective d’une vie familiale au Luxembourg, la demanderesse a droit au respect de sa vie privée et familiale, telle qu’elle existe au Luxembourg, conformément à l’article 8, paragraphe 1er de la convention européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, contrairement à l’argumentation développée par le délégué du gouvernement, la demanderesse ne représente pas un risque d’atteinte à l’ordre public luxembourgeois ou à la morale, qui aurait pu justifier une ingérence de la part des autorités luxembourgeoises dans l’exercice de son droit à une vie privée et familiale au Luxembourg.

En effet, même au cas où les allégations tendant à voir qualifier le mariage de la demanderesse avec Monsieur W de mariage de complaisance seraient établies, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, il n’en resterait pas moins que l’existence d’un tel mariage de complaisance ne constitue pas une atteinte à l’ordre public suffisamment caractérisée pour justifier une mesure d’ingérence dans la vie privée et familiale de la demanderesse, telle que visée à l’article 8 précité.

Il suit des considérations qui précèdent, que c’est à tort que le ministre de la Justice a refusé l’entrée et le séjour au Luxembourg à la demanderesse et partant l’arrêté ministériel déféré du 24 février 2000 est à annuler, étant donné que ledit refus est à considérer comme portant atteinte au droit de la demanderesse au respect de sa vie familiale et privée au sens de l’article 8, alinéa 1er de la convention européenne des droits de l’homme.

8 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare justifié, partant annule l’arrêté du ministre de la Justice du 24 février 2000 par lequel Madame ARRUNATEGUI ESPINOZA s’est vue refuser l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg ;

renvoie le dossier pour prosécution de cause au ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 17 janvier 2001 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12064
Date de la décision : 17/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-17;12064 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award