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15/01/2001 | LUXEMBOURG | N°11996

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 janvier 2001, 11996


N° 11996 du rôle Inscrit le 12 mai 2000 Audience publique du 15 janvier 2001

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Recours formé par Monsieur … BERNARD, Luxembourg contre une décision de la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, ainsi qu’une décision de la ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports en matière d’employé de l’Etat

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Vu la requête inscrite sous le num

ro 11996 du rôle et déposée en date du 12 mai 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître...

N° 11996 du rôle Inscrit le 12 mai 2000 Audience publique du 15 janvier 2001

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Recours formé par Monsieur … BERNARD, Luxembourg contre une décision de la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, ainsi qu’une décision de la ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports en matière d’employé de l’Etat

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11996 du rôle et déposée en date du 12 mai 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland MICHEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BERNARD, employé de l’Etat, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle du 9 mai 1996 en ce que le point de départ du recalcul rétroactif de sa tâche d’enseignant concernant plus particulièrement le bénéfice de l’allégement par leçon (coefficient) a été fixé au 3 novembre 1994 et non pas, tel que par lui réclamé au début de son engagement en tant que chargé de cours à durée indéterminée au Lycée Technique Michel Lucius à la date du 16 septembre 1984, ainsi que de la décision confirmative de la ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports du 9 février 2000 intervenue sur son itérative réclamation du 24 décembre 1999 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 octobre 2000 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 novembre 2000 par Maître Roland MICHEL pour compte de Monsieur … BERNARD ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 décembre 2000 par Maître Marc THEWES pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu les actes de notification d’avocat à avocat par lesquels les mandataires se sont mutuellement communiqué leurs mémoires respectifs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres François MOYSE et Marc THEWES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 janvier 2001.

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Considérant que Monsieur … BERNARD, né le …, demeurant à L-…, expose être engagé comme chargé de cours à durée indéterminée au Lycée Technique Michel Lucius à Luxembourg depuis le 16 septembre 1984, revêtant la qualité d’employé de l’Etat, dont l’indemnité est déterminée conformément aux dispositions de l’article 23 de la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat par référence au grade E3 ;

Qu’il résulte des pièces versées qu’antérieurement, depuis 1969 il a été engagé comme chargé de cours à durée déterminée enseignant les mathématiques et qu’en date du 26 juin 1984 il a passé avec succès l’examen probatoire prévu par le règlement grand-ducal du 13 avril 1984 fixant les conditions d’engagement à durée indéterminée et à tâche complète de certains chargés de cours à durée indéterminée de l’enseignement postprimaire ;

Que par courrier de son mandataire du 20 octobre 1994 adressé au ministre de l’Education nationale il se prévalut des conclusions de l’arrêt du Comité du contentieux du Conseil d’Etat du 22 février 1994 ( THILMAN, n° 8899 du rôle) pour réclamer l’application à son cas du bénéfice de l’allégement par leçon (coefficient) aux leçons de sa tâche d’enseignement ;

Que par décision du 3 novembre 1994 le ministre de l’Education nationale a pris position en retenant que dans la mesure où l’arrêt précité ne concernait que le cas particulier du requérant de l’espèce, il n’entendait pas “ appliquer les dispositions retenues par la Haute Corporation à d’autres personnes que l’auteur du recours en question ” ;

Que par requête déposée au secrétariat du Conseil d’Etat en date du 2 février 1995, Monsieur … BERNARD a demandé la réformation, sinon l’annulation de la décision ministérielle précitée du 3 novembre 1994, tout en réclamant l’allocation dans son chef du bénéfice de l’allégement par leçon (coefficient) aux leçons de sa tâche d’enseignement à partir de l’année scolaire 1984/1985, date de son engagement comme chargé de cours à durée indéterminée au Lycée Technique Michel Lucius, sinon à partir de l’année scolaire 1994/1995, sinon à partir du dépôt du recours, sinon encore à partir de toute autre date à fixer par le Comité du contentieux ;

Que par arrêt du 7 février 1996 (Bernard, n° 9264 du rôle) le Comité du contentieux du Conseil d’Etat, retenant d’abord la qualité d’employé de l’Etat dans le chef du demandeur, a qualifié le litige lui déféré comme ayant trait à l’allègement par leçon auquel le requérant prétendait avoir droit, pour conclure que l’affaire lui soumise ne touchait partant pas directement à sa rémunération, bien qu’il puisse y avoir une incidence, de sorte que le recours a été déclaré irrecevable pour autant qu’il tendait à la réformation de la décision ministérielle critiquée du 3 novembre 1994 ;

Qu’au fond le Comité du contentieux a pris position comme suit :

“ Considérant que la tâche hebdomadaire du requérant, engagé depuis le 16 septembre 1984 en qualité de chargé de cours à durée indéterminée, est établie conformément aux dispositions de l’instruction ministérielle du 26 juillet 1994 concernant l’organisation 2 scolaire des lycées et des lycées techniques, cette instruction ayant remplacé celle du 24 octobre 1983 ;

Que d’après le point 3.5.2 de la nouvelle instruction l’allégement par leçon n’est pas applicable aux chargés de cours à durée indéterminée engagés après le 1er janvier 1984 ;

Que le requérant qui a été engagé après cette date s’est vu refuser le bénéfice de l’allégement par leçon pour le calcul de sa tâche ;

Considérant que la disposition inscrite sous le point 3.5.2 de l’instruction ministérielle précitée ne se justifie pas par un critère objectif, tel que la formation, la durée du stage ou l’ancienneté, mais a été fixée de manière arbitraire par l’auteur de l’instruction ;

Qu’il n’y a en effet aucune raison objective pour refuser à Monsieur … BERNARD, qui est chargé de cours à durée indéterminée depuis le 16 septembre 1984, une faveur accordée à d’autres personnes ayant le même statut et la même qualification sauf qu’elles ont été engagées antérieurement, critère arbitraire puisque n’assurant pas à toutes les personnes remplissant par ailleurs les mêmes conditions un traitement égal ;

Qu’il en résulte que cette disposition de l’instruction est contraire au principe de l’égalité devant la loi et ne saurait partant être opposée à Monsieur … BERNARD ;

Qu’il y a partant lieu d’annuler la décision attaquée ”, tout en renvoyant l’affaire devant le ministre de l’Education nationale ;

Que sur cet arrêt et suite à une réunion avec des collaborateurs de la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, Monsieur BERNARD a, par courrier de son mandataire du 22 avril 1996, demandé une entrevue avec la ministre elle-même, en vue de trouver un arrangement amiable ;

Que la ministre a pris position suivant décision du 9 mai 1996 libellée comme suit :

“ Maître, J’ai en mains votre lettre du 2 avril 1996 sollicitant une nouvelle entrevue dans l’affaire sous rubrique afin de trouver un arrangement à l’amiable.

Au vu du dossier et de l’arrêt du Conseil d’Etat du 7 février 1996, j’estime que la situation juridique de votre mandant est claire et que sa tâche sera recalculée avec effet rétroactif jusqu’au jour de la décision annulée, à savoir le 3 novembre 1994.

Il n’y a donc pas lieu de discuter au sujet d’un arrangement amiable, au vu d’une décision de justice définitive.

Veuillez agréer, … ” ;

Que par exploit de l’huissier de justice Michelle THILL, demeurant à Luxembourg, du 5 février 1997 Monsieur … BERNARD a fait donner assignation à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg à comparaître devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en 3 matière civile, aux fins de voir dire qu’il avait droit à l’indemnisation de l’allégement par leçon lui refusé depuis le 15 septembre 1984 jusqu’au 3 novembre 1994 par suite d’une disposition arbitraire et inéquitable, tout en demandant acte qu’il évaluait le dommage lui ainsi accru à X .-

LUF ou à toute somme même supérieure à dire d’expert dont la nomination a été pour le surplus requise ;

Qu’en cours de procédure le demandeur a précisé la base légale de sa demande en ce que celle-ci reposait sur les dispositions de l’article 1er alinéa 1er de la loi modifiée du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques, mettant en avant un fonctionnement défectueux des services de l’Etat ;

Que par son jugement du 22 décembre 1998 (n° 2094/98) le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile, s’est déclaré compétent pour connaître de la demande, tout en déclarant celle-ci irrecevable en application de la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, argument tiré de ce qu’il était constant que les parties au litige étaient liées par des relations contractuelles et que le litige avait trait à l’exécution d’une obligation contractuelle, tandis que le demandeur a basé son action exclusivement sur le terrain de la responsabilité délictuelle de l’Etat ;

Qu’aucun appel n’a été interjeté contre ce jugement ;

Que par courrier de son mandataire du 24 décembre 1999 Monsieur … BERNARD s’est adressé à la ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports pour lui demander de bien vouloir changer la position antérieure de son ministère et de décider qu’il avait droit aux arriérés de traitement lui refusés de manière illégale, suivant son analyse, avec effet à partir du 16 septembre 1984, tout en invoquant à l’appui de son argumentation un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 1er décembre 1998 (affaire C-326/96B.S. Levez c/ T.H. Jennings (Harlow Pools) Ltd.) rendu en matière d’inégalité de traitement en raison du sexe de la personne employée retenant notamment que le droit communautaire s’oppose à l’application d’une règle de droit national qui limite la période pour laquelle un travailleur peut prétendre à des arriérés de rémunération ou à un dédommagement pour violation du principe de l’égalité des rémunérations ainsi circonscrit ;

Que par décision du 9 février 2000 la ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports a pris position comme suit :

“ Maître, J’ai en main votre lettre du 24 décembre 1999 dans l’affaire sous rubrique dans laquelle vous proposez d’essayer de trouver une solution à l’amiable au litige en question.

Au vu de la situation actuelle et en l’absence de faits nouveaux significatifs – la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes concerne une situation fondamentalement différente de celle de votre mandant – je ne puis cependant réserver une suite favorable à votre demande.

Veuillez agréer, … ” ;

4 Considérant que par requête déposée en date du 12 mai 2000, Monsieur … BERNARD a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des décisions ministérielles prérelatées des 9 mai 1996 et 9 février 2000, tout en demandant au tribunal administratif de “ condamner la partie adverse à payer au requérant la totalité du dommage qui lui est accru par les décisions litigieuses qui lui ont refusé le bénéfice de l’allégement des tâches, sinon enjoindre à l’Etat de procéder au calcul du préjudice accru au requérant, sinon encore plus subsidiairement voir nommer un expert consultant avec la mission de calculer le dommage qui est accru pendant la période du 16 septembre 1984 jusqu’au 3 novembre 1996 (sic) du chef de refus illégal et irrégulier et discriminatoire de faire bénéficier le requérant du bénéfice de l’allégement des tâches ” ;

Quant à la compétence du tribunal Considérant que la partie défenderesse oppose en premier lieu l’incompétence ratione materiae du tribunal sous les différents aspects invoqués par le demandeur à travers sa requête introductive d’instance tenant plus particulièrement à la demande en condamnation de l’Etat à la réparation du dommage prérelatée, à la désignation d’un expert chargé du calcul du dommage allégué, ainsi qu’à la réparation demandée du dommage lui accru ;

Considérant que la compétence d’attribution des juridictions administratives est circonscrite par l’article 95bis de la Constitution retenant que le contentieux administratif est du ressort du tribunal administratif et de la Cour administrative, ces juridictions connaissant du contentieux fiscal dans les cas et sous les conditions à déterminer par la loi ;

Considérant qu’en vertu de l’article 84 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux de l’ordre judiciaire ;

Considérant qu’il s’ensuit que le tribunal administratif est sans compétence pour connaître de tous les aspects du recours ayant trait à la constatation, et à l’évaluation du dommage allégué par le demandeur, ainsi qu’à la condamnation de l’Etat à sa réparation y compris l’institution d’un expert aux fins de calculer le montant du dommage à réparer le cas échéant, tous ces aspects de la demande ayant trait à des droits civils échappant au champ de compétence du tribunal ;

Considérant qu’en second lieu l’Etat conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation introduit en ordre principal comme ne rentrant pas sous les prévisions de l’article 11 de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat, étant donné que la demande déférée n’aurait pas trait directement à la rémunération du demandeur, tel que l’aurait déjà retenu le Comité du contentieux du Conseil d’Etat dans l’arrêt rendu entre parties le 7 février 1996 ;

Que par ailleurs le demandeur entendrait tirer des relations contractuelles des obligations non contenues au contrat conclu entre parties, de sorte à faire échapper encore le recours, sous cet aspect, aux prévisions dudit article 11 ;

Considérant que le moyen ayant trait à l’inexistence d’un recours en réformation en la matière s’analyse à sa base en une question de compétence du tribunal saisi ;

5 Considérant qu’il est constant que l’objet de la présente demande se recouvre largement quant à son import avec celui de la requête introductive à l’instance ayant abouti à l’arrêt du Comité du contentieux du Conseil d’Etat du 7 février 1996 précité, rendu entre parties, en ce que dans les deux cas le calcul rétroactif de l’allégement par leçon (coefficient ) réclamé est exigé avec effet à partir du 16 septembre 1984 ;

Considérant que dans la mesure où à travers son prédit arrêt du 7 février 1996 le Comité du contentieux a définitivement toisé la question de la compétence de la juridiction administrative saisie en excluant en l’espèce l’existence d’un recours en réformation au motif que le litige ne touche pas directement à la rémunération du requérant, bien qu’il puisse y avoir une incidence, ces constatations résumées au dispositif de son arrêt définitif, en ce que le recours en réformation a été déclaré irrecevable, s’imposent quant à leur essence au tribunal, sauf la requalification à opérer dans la mesure où la question touche à sa base la compétence de la juridiction administrative saisie (cf. Cour adm. 17 février 2000, Thilman, n° 11493C du rôle, non encore publié) ;

Que par voie de conséquence le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal ;

Considérant que par identité des motifs tirés pour le moins implicitement de l’arrêt du Comité du contentieux du 7 février 1996, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en ordre subsidiaire dans la mesure des éléments résiduels déférés des décisions ministérielles critiquées concernant le point de départ de la prise en compte de l’allégement par leçon (coefficient) réclamé par Monsieur BERNARD antérieurement au 3 novembre 1994 ;

Quant à la recevabilité du recours Considérant que la partie défenderesse conclut en premier lieu à l’irrecevabilité pour raison de tardiveté du recours en tant que dirigé contre la décision ministérielle du 9 mai 1996 pour ne pas avoir été introduit dans le délai de recours contentieux de trois mois, le demandeur étant par ailleurs forclos à attaquer la légalité de cette décision, dans la mesure où il en aurait accepté le contenu, notamment à travers son action introduite devant le tribunal d’arrondissement suivant assignation du 5 février 1997 ;

Considérant que les règles relatives à la procédure administrative non contentieuse sont d’application dans les relations entre les employés de l’Etat et leur employeur ;

Considérant que dans la mesure où la décision ministérielle déférée du 9 mai 1996 n’est point assortie d’une indication des voies de recours conformément à l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, aucun délai de recours n’a commencé à courir à son encontre ;

Considérant que si le demandeur a accepté le principe de l’annulation de la décision ministérielle en question intervenue à travers l’arrêt précité du Comité du contentieux du Conseil d’Etat du 7 février 1996, il n’en demeure pas moins que celle-ci a été prononcée uniquement au regard de la non-opposabilité des dispositions de la circulaire ministérielle du 26 juillet 1994 précitée, sans autrement s’appuyer sur les circulaires antérieures successivement appliquées à l’encontre du demandeur ;

6 Que par ailleurs, même à travers l’assignation prédite du 5 février 1997, le demandeur n’a cessé de critiquer la position prise par la ministre de ne faire remonter la prise d’effet de l’allégement par leçon (coefficient) qu’avec effet au 3 novembre 1994, sans prise en considération de la période antérieure ;

Que c’est dès lors à tort que l’Etat a fait avancer dans son mémoire en réponse qu’à travers l’assignation au civil prédite, le demandeur aurait accepté le contenu de la décision ministérielle du 9 mai 1996 ;

Considérant dans son mémoire en duplique que l’Etat de préciser son argumentaire en ce sens que l’assignation du 5 février 1997 équivaudrait à un acquiescement, non pas sur le contenu de la décision du 9 mai 1996 dont il y admet qu’elle est critiquée, mais quant à son caractère définitif, pour être coulée en force de chose décidée et non susceptible de recours administratif ;

Considérant que cet élément complémentaire de l’argumentaire étatique doit également tomber à faux dans la mesure où à défaut d’indication des voies de recours la décision ministérielle déférée du 9 mai 1996 n’a point acquis l’autorité de chose décidée ;

Considérant qu’il découle des développements qui précèdent que le moyen tendant à voir constater la tardiveté du recours est à écarter ;

Considérant que l’Etat fait encore valoir à cet égard dans un ordre d’idées parallèle que la décision déférée du 9 février 2000 ne saurait être susceptible d’un recours, étant donné qu’elle ne ferait qu’exprimer le refus de la ministre d’ouvrir à nouveau le dossier en l’absence d’un quelconque élément nouveau, de sorte à constituer une décision purement confirmative ;

Considérant qu’il découle du libellé même de la décision ministérielle en question que celle-ci n’est point purement confirmative, alors qu’elle se borne à renvoyer à la situation actuelle et à l’absence de faits nouveaux significatifs, prenant par ailleurs position par rapport à l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 1er décembre 1998 précité versé à l’appui de sa réclamation par le demandeur ;

Qu’il s’ensuit que quoiqu’arrivant à la même conclusion, la décision ministérielle du 9 février 2000 n’est pas purement confirmative de celle également déférée du 9 mai 1996 ;

Que partant un nouveau délai de recours a commencé à courir à l’encontre de ladite décision du 9 février 2000, laquelle, par ailleurs, n’a pas non plus été assortie d’une indication des voies de recours ;

Que le moyen d’irrecevabilité tiré à la fois du caractère purement confirmatif allégué ainsi que de la tardiveté du recours est dès lors à écarter à son tour sous ce double aspect ;

Considérant que l’Etat d’avancer ensuite que le demandeur ne posséderait plus un intérêt à agir à l’encontre de la décision déférée du 9 mai 1996, dans la mesure où celle-ci se heurterait à la prescription des salaires de trois ans ;

7 Considérant que l’intérêt à agir se mesure aux prétentions du demandeur, abstraction faite de leur caractère justifié au fond, dont relève notamment la question de la prescription soulevée par l’Etat, de sorte que le moyen d’irrecevabilité pour défaut d’intérêt à agir est à son tour à écarter, l’intérêt à agir de Monsieur BERNARD étant par ailleurs patent, vu l’impact financier de sa demande, tel que présenté à partir des éléments soumis au dossier ;

Considérant que la partie défenderesse soulève encore l’irrecevabilité du recours en raison de l’autorité de la chose jugée revêtue par le jugement non appelé du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 22 décembre 1998 précité rendu entre parties, à travers lequel la juridiction civile s’est déclarée compétente pour connaître du litige quoique rejetant la demande comme étant irrecevable ;

Que l’Etat d’estimer que l’autorité de la chose jugée serait appelée à jouer en l’espèce même si le jugement en question émane d’une juridiction faisant partie d’un autre ordre juridictionnel ;

Considérant que l’exception d’irrecevabilité tirée de l’autorité de la chose jugée présuppose l’identité des parties, prise chacune, qualitate qua, de même que l’identité de l’objet et de la cause des demandes respectives, l’identité des juridictions appelées à statuer n’étant point requise ;

Considérant que si l’identité des parties est vérifiée en l’espèce, il n’en reste pas moins que les deux demandes sous analyse sont fondamentalement différentes quant à leur objet ;

Considérant qu’il est patent que la demande au civil ayant abouti au jugement du 22 décembre 1998 en question était basée sur l’article 1er de la loi modifiée du 1er septembre 1988 précitée tendant à voir retenir la responsabilité de l’Etat du chef du fonctionnement défectueux allégué de ses services, emportant condamnation à des dommages et intérêts, requête ayant trait par essence à des droits civils, étrangère au champ de compétence du tribunal administratif devant lequel la demande sous analyse a pour objet la fixation par l’autorité administrative compétente de la date de prise d’effet de l’allégement par leçon (coefficient) réclamée par le demandeur ;

Que partant l’exception d’irrecevabilité tirée de l’autorité de la chose jugée telle qu’invoquée par la partie défenderesse est également à rejeter ;

Considérant qu’il découle de l’ensemble des développements qui précèdent qu’aucun des moyens d’irrecevabilité proposés par la partie défenderesse n’est à retenir par le tribunal ;

Considérant qu’il résulte encore de l’ensemble des éléments du dossier que le recours a été introduit conformément aux formes et délai prévus par la loi, de sorte à être recevable ;

Quant au fond Considérant qu’au fond il est constant que la partie demanderesse reproche à la décision ministérielle déférée du 9 décembre 1996, telle que confirmée par celle du 9 février 2000, de ne pas avoir tiré toutes les conséquences de l’arrêt d’annulation précité du Comité du contentieux du Conseil d’Etat du 7 février 1996 en ne faisant rétroagir le bénéfice d’allégement par leçon (coefficient) qu’à la date du 3 novembre 1994 et non pas jusqu’au début de sa 8 relation contractuelle à durée indéterminée avec l’Etat soit jusqu’au 16 septembre 1984, tel que réclamé initialement à travers sa demande précitée du 20 octobre 1994 ;

Que le demandeur d’insister encore sur le caractère non prescrit de sa créance salariale résultant de l’appréciation erronée des éléments de la cause par les décisions ministérielles déférées, notamment au regard de l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 11 décembre 1998 précité, outre les éléments d’indemnisation par lui avancés, déjà déclarés étrangers à la présente instance ;

Considérant que dans son mémoire en réplique la partie demanderesse avance qu’elle serait “ fonctionnaire depuis 1989, date de sa fonctionnarisation ”, tout en continuant par la suite à affirmer avoir droit au paiement des indemnités correspondant aux coefficients d’allégement par leçon sollicités à partir du 16 septembre 1984, alors qu’il “ avait passé avec succès l’examen probatoire de chargé de cours ”, de sorte qu’en refusant d’appliquer le droit, l’administration aurait favorisé certains chargés de cours par rapport à lui-même, ce qui serait inadmissible au vu du principe constitutionnel de l’égalité de tous les citoyens luxembourgeois ;

Que par ailleurs dans la mesure où la première décision ministérielle du 3 novembre 1994, précitée, a été annulée par l’arrêt du Comité du contentieux du Conseil d’Etat du 7 février 1996, il aurait appartenu à la ministre de prendre la bonne décision suite à la table rase effectuée à travers ledit arrêt, en accordant au demandeur de façon rétroactive le coefficient par lui sollicité avec effet à partir de son engagement à raison d’un contrat à durée indéterminée ;

Considérant que l’Etat conclut en substance au caractère non fondé de la demande au regard de l’absence de base légale justifiant l’allocation du bénéfice réclamé dans le chef des chargés de cours, employés de l’Etat, fussent-ils engagés à durée indéterminée, dont la qualité est par essence différente du statut de fonctionnaire de l’Etat revêtu par les professeurs de l’enseignement secondaire, conformément à la jurisprudence dégagée en la matière par les juridictions de l’ordre administratif ;

Considérant qu’au fond, il convient de constater préliminairement au regard de l’affirmation de la partie demanderesse contenue dans son mémoire en réplique suivant laquelle une fonctionnarisation serait intervenue dans son chef en 1989, qu’il ne résulte d’aucun élément du dossier qu’une nomination à un poste de fonctionnaire de l’Etat serait intervenue à un quelconque moment dans le chef de Monsieur … BERNARD conformément aux dispositions de l’article 35 de la Constitution, ensemble les mesures législatives et réglementaires d’application en vigueur, le mandataire du demandeur n’ayant par ailleurs pas pu, à l’audience, donner d’information complémentaire à ce sujet, sur question spéciale afférente lui posée par le tribunal ;

Considérant que fondamentalement, quel que soit le biais par lequel les chargés de cours de l’enseignement secondaire, dont la partie demanderesse, ont obtenu la reconnaissance d’un engagement à durée indéterminée avec l’Etat et indépendamment de la date de départ de celui-ci, ceux-ci sont à considérer comme employés de l’Etat au sens de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat;

Considérant que les employés de l’Etat bénéficient d’un statut propre, s’inspirant à la fois du régime légal des employés privés et de celui des fonctionnaires de l’Etat, en ce sens que 9 l’engagement est régi par contrat entre l’Etat et les intéressés, mais que ces derniers bénéficient, sous des conditions nettement déterminées, de certains attributs réservés aux fonctionnaires de l’Etat (trib. adm. 23 décembre 1997, Maillet-Heisbourg, n° 9938 du rôle, confirmé par Cour adm. 14 juillet 1998, n° 10528C du rôle, Pas. adm. 01/2000, n° 120 p. 163 et autres décisions y citées dont notamment trib. adm. 26 janvier 1998, Thilman, n° 9741 du rôle et trib. adm. 21 juillet 1999, Thilman, n° 10315a du rôle);

Que si d’après la loi modifiée du 27 janvier 1972 l’employé de l’Etat est admis, le cas échéant après des périodes de service plus au moins longues, de façon ponctuelle, au bénéfice de plusieurs des avantages statutaires du fonctionnaire, cette mise en concordance limitée n’opère cependant pas une assimilation parfaite de l’employé au fonctionnaire;

Que le régime de l’employé de l’Etat doit au contraire être analysé de manière à reconnaître les points d’assimilation comme des dispositions spéciales, limitées aux seules mesures formellement énoncées dans la loi;

Que par ailleurs ni les dispositions de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail dont notamment l’application combinée des articles 4 et 6, de même que l’article 9 entraînant un changement du contrat de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, ni les autres dispositions légales et réglementaires intervenues en la matière, dont la loi du 19 décembre 1983 concernant le budget des recettes et dépenses de l’Etat pour l’exercice 1984, ainsi que le règlement grand-ducal du 13 avril 1984 fixant les conditions d’engagement à durée indéterminée et à tâche complète de certains chargés de cours à durée déterminée de l’enseignement postprimaire, n’ont opéré de changement dans le contenu même du contrat liant le chargé de cours en question, celui-ci fût-il engagé à durée indéterminée auprès de l’Etat;

Considérant dès lors que tout l’argumentaire de la partie demanderesse tendant à la faire bénéficier, de plano ou encore en vertu du principe par elle affirmé de l’égalité de traitement, de dispositions légales créées au bénéfice des seuls fonctionnaires de l’Etat, doit tomber à faux (ibidem);

Que tel est par voie de conséquence nécessairement le cas notamment de l’instruction ministérielle modifiée du 24 octobre 1983 portant fixation de la tâche hebdomadaire des enseignants des établissements d’enseignement secondaire et de l’institut supérieur de technologie, analysée par l’arrêt Thilman du 22 février 1994 (numéro 8899 du rôle) en ce sens que son article IX serait contraire au principe de l’égalité devant la loi, alors que ce texte ne saurait valablement s’appliquer aux employés de l’Etat, tel le demandeur, faute de base légale afférente, de même que de celle précitée du 26 juillet 1994 prise plus particulièrement en son article 3.5.2. ;

Considérant que la situation de la base légale des dispositions relatives à la tâche d’enseignement du professeur de l’enseignement secondaire analysée en détail par le jugement précité du 23 décembre 1997 (Maillet-Heisbourg, n° 9938 du rôle), ainsi que par six autres jugements rendus le même jour dans les affaires parallèles précitées, dont les motifs afférents ont été adoptés par les arrêts de la Cour administrative également précités du 14 juillet 1998 intervenus dans les mêmes affaires et auxquels il est renvoyé pour l’analyse détaillée, se résume en ce que c’est l’article 67 de l’arrêté royal grand-ducal du 7 juin 1861 portant règlement général des établissements d’enseignement supérieur et moyen de l’Etat, modifié et remplacé 10 par l’arrêté grand-ducal du 23 juin 1908 qui arrête les dispositions légales en la matière créées par ailleurs au bénéfice des seuls fonctionnaires y définis;

Que l’article 67 ainsi modifié est libellé comme suit: “ à moins d’une indispensable nécessité, un professeur ne peut être astreint à plus de 22 heures de leçons par semaine, sans préjudice de son concours pour le remplacement temporaire d’un collègue empêché.

Dans la fixation des nombres des heures, il sera tenu compte des années de service du titulaire, des effectifs des classes et de la somme de travail à consacrer à la préparation des leçons et à la correction des devoirs ”;

Qu’un arrêté ministériel du 28 juillet 1919 appelé à modifier à la fois les dispositions de l’arrêté royal grand-ducal du 17 juin 1861 et ceux de l’arrêté grand-ducal du 23 juin 1908 précités, n’a jamais été officiellement publié au Mémorial et ne saurait dès lors avoir une quelconque force obligatoire;

Considérant qu’abstraction faite de leur maintien en vigueur, de leur régularité et de leur valeur habilitante, les dispositions ci-avant citées, ne concernant par ailleurs que les seuls professeurs titulaires, ne sauraient valoir comme base habilitante éventuelle concernant la définition et le contenu de la tâche des chargés de cours, d’une part au regard du caractère clair et précis des textes ne permettant pas pareille assimilation sous peine d’ajouter à loi, et, d’autre part, en considération des différences de statut et de régime inhérentes à ces deux catégories d’enseignants;

Considérant qu’ainsi que l’a encore retenu la Cour administrative notamment dans son arrêt Maillet-Heisbourg du 14 juillet 1998 précité, par adoption des motifs des premiers juges, il résulte de l’examen des dispositions légales et réglementaires en vigueur que les coefficients et autres décharges ont été créés par l’arrêté grand-ducal du 23 juin 1908 en faveur des professeurs de lycée, soit d’agents fonctionnaires, leur extension à des agents du statut d’employé ne s’étant faite que plus tard et ceci suite à des applications de simples circulaires ministérielles et notes internes de service, c’est-à-dire sans l’intervention du législateur ou du pouvoir réglementaire ou encore d’une décision du gouvernement en conseil prise sur base de l’article 23 de la loi du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat;

Considérant qu’au vu de ces considérations la Cour, par adoption des motifs des premiers juges, a retenu qu’il n’existait pas de base légale habilitant la ministre à accorder à un chargé de cours de l’enseignement secondaire le bénéfice des coefficients et autres avantages sollicités notamment sur base des différentes circulaires ministérielles subséquemment intervenues en la matière (cf. trib. adm. 21 juillet 1999, Dupont, n° 10314a du rôle ; trib. adm.

21 juillet 1999, Thilman, précité ; trib. adm. 21 juillet 1999, Penning, n° 10316a du rôle ; trib.

adm. 21 juillet 1999, Pinsch, n° 10317a du rôle ; trib. adm. 21 juillet 1999, Emmer, n° 10318a du rôle, Pas. adm. 01/2000, V° Fonction publique n° 120, p. 163) ;

Considérant qu’il découle de l’ensemble des développements qui précèdent qu’à sa base la demande de Monsieur … BERNARD tendant à la reconnaissance du bénéfice de l’allégement par leçon (coefficient) à partir de son premier engagement en tant qu’employé de l’Etat, chargé de cours à durée indéterminée manque de fondement légal, de sorte que c’est à 11 juste titre que les ministres successives ont refusé d’y faire droit à travers leurs décisions déférées ;

Que le recours laisse dès lors d’être fondé;

Considérant que la partie demanderesse sollicite l’allocation d’une indemnité de procédure de l’ordre de 50.000.- francs, tandis que l’Etat réclame pareillement la liquidation dans son chef d’une indemnité de procédure de 40.000.- francs ;

Considérant qu’au vu de l’issue du litige, la demande en allocation présentée par la partie demanderesse n’est point fondée ;

Considérant qu’au vu de la spécificité du litige, tenant notamment à la préexistence d’une instance devant les juridictions de l’ordre judiciaire, engagée sur base des mêmes faits, le caractère d’iniquité requis à la base d’une liquidation utile d’une indemnité de procédure fait défaut concernant la demande afférente présentée par l’Etat, de sorte à rendre celle-ci également non fondée ;

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en annulation pour autant qu’il concerne la constatation et l’évaluation du préjudice financier réclamé, ensemble la demande en condamnation de l’Etat y relative avec, au besoin, institution d’une expertise aux fins de calcul du montant indemnitaire à liquider ;

se déclare compétent pour le surplus pour connaître du recours en annulation ;

déclare le recours en annulation recevable dans cette mesure ;

au fond le dit non justifié ;

partant en déboute ;

déclare les demandes en allocation d’une indemnité de procédure non fondées ;

condamne la partie demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 janvier 2001 par:

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

12 s. Schmit s. Delaporte 13


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11996
Date de la décision : 15/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-15;11996 ?

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