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10/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12240

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 janvier 2001, 12240


Numéro 12240 du rôle Inscrit le 16 août 2000 Audience publique du 10 janvier 2001 Recours formé par Monsieur … JUSUFI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12240 du rôle, déposée le 16 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, assistée de Maître Sophie BRONKART, avocat, tous les deux inscrits au tableau de lâ

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Numéro 12240 du rôle Inscrit le 16 août 2000 Audience publique du 10 janvier 2001 Recours formé par Monsieur … JUSUFI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12240 du rôle, déposée le 16 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, assistée de Maître Sophie BRONKART, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à …, au nom de Monsieur … JUSUFI, né le … à Reka/Mitrovica (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 juin 2000 portant rejet de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le courrier de la déléguée du Bâtonnier à l’assistance judiciaire du 24 février 2000 désignant Maître Sophie BRONKART pour assister Monsieur JUSUFI dans son affaire de demande d’asile politique, versé lors de l’audience fixée pour les plaidoiries;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2000 par Maître Lydie LORANG pour compte de Monsieur JUSUFI;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sophie BRONKART et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 décembre 2000.

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Le 1er février 1999, Monsieur … JUSUFI, né le … à Reka/Mitrovica (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur JUSUFI fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur JUSUFI fut entendu en date du 27 mars 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur JUSUFI, par lettre du 6 juin 2000, notifiée en date du 17 juillet 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Vous déclarez que vous êtes venu avec votre sœur en octobre 1998 au Luxembourg dans le cadre d'un voyage touristique pour rendre visite à votre oncle. Pendant ce temps, la guerre a commencé au Kosovo, et c'est pour cette raison que vous avez demandé l'asile politique le 1" février 1999 après l'expiration de votre visa le 27 janvier 1999. Quand votre père est tombé malade, votre sœur est rentrée chez votre famille qui vit toujours à Mitrovica.

Vous indiquez que vous n'étiez pas personnellement persécuté, mais que la police est plusieurs fois venue perquisitionner votre maison et celle des voisins albanais.

Vous affirmez enfin avoir peur de la situation à Mitrovica et de la guerre.

La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que l'armée yougoslave a quitté le Kosovo et qu'une force internationale de paix y est installée. Vous n'établissez pas que les forces onusiennes et l'administration civile en place dans la ville de Mitrovica ne soient pas capables de vous assurer un niveau de protection suffisant dans le cadre des affrontements ayant lieu actuellement entre les populations serbe et albanaise dans votre ville d'origine. Qui plus est, votre sœur est rentrée volontairement et votre famille vit là-bas.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1. d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile , 2. d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 6 juin 2000, Monsieur JUSUFI a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 16 août 2000.

2 L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire de Mitrovica, fait valoir que la situation dans sa région d’origine resterait particulièrement dangereuse pour les Albanais du Kosovo qui feraient quotidiennement l’objet d’exactions de la part de la majorité locale serbe et que les événements récents auraient démontré que la présence d’une force internationale ne suffirait pas pour garantir la sécurité de la population albanaise de Mitrovica. Eu égard à l’extrême insécurité régnant ainsi à Mitrovica, le demandeur conclut qu’il serait inadmissible et dangereux de le renvoyer dans son pays d’origine « puisque la protection de sa personne ne pourra lui être garantie ». Il ajoute que son âge et son sexe constitueraient des éléments complémentaires de nature à le placer dans une position dangereuse au regard de la police et de l’armée serbe, de sorte qu’il serait contraint de rester caché chez lui avec la peur permanente de se faire torturer ou tuer. Il précise à cet égard que les Albanais constitueraient une minorité ethnique dans la région de Mitrovica qui ferait continuellement l’objet de persécutions exercées par des Serbes voulant instaurer une homogénéité ethnique dans cette région et que les forces internationales seraient incapables d’assurer une protection suffisante au vu de l’ampleur du drame et de l’insuffisance des moyens à leur disposition. Il épingle également le comportement des autorités politiques en place qui resteraient totalement inactives face à la violence exercée à l’encontre de la minorité albanaise sans prendre aucune mesure de répression à l’encontre des auteurs des violences. Le demandeur avance enfin que son établissement dans une autre région du Kosovo serait également impossible à l’heure actuelle, étant donné que la minorité albanaise ferait l’objet de persécutions dans plusieurs autres régions du Kosovo.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au 3 demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, il y a lieu de relever de prime abord que l’armée et les forces de police serbes ont quitté le territoire du Kosovo et qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, y est en place pour assurer la protection de la population en place.

La crainte invoquée par le demandeur est ainsi en rapport avec les agissements de la part de la majorité serbe dans la région de Mitrovica.

Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir la majorité ethnique des Serbes commettre des actes de violence à son encontre, mais reste en défaut d’établir concrètement l’existence de persécutions systématiques à l’encontre de la minorité ethnique dont il fait partie et le défaut caractérisé de protection adéquate de la part des forces armées et de l’administration civile internationales en place.

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle il est toujours difficile pour un membre de la communauté albanaise du Kosovo, originaire de la région de Mitrovica, de s’y réinstaller, le demandeur ne précise pas, au-delà de son affirmation générale quant à des persécutions dans plusieurs autres régions du Kosovo, des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo à majorité albanaise et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire, 4 reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 janvier 2000 par:

M. RAVARANI, président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. RAVARANI 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12240
Date de la décision : 10/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-10;12240 ?

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