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10/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12217

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 janvier 2001, 12217


Numéro 12217 du rôle Inscrit le 8 août 2000 Audience publique du 10 janvier 2001 Recours formé par Monsieur … BIBULJICA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12217 du rôle, déposée le 8 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mons

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Numéro 12217 du rôle Inscrit le 8 août 2000 Audience publique du 10 janvier 2001 Recours formé par Monsieur … BIBULJICA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12217 du rôle, déposée le 8 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BIBULJICA, né le … à Bijelo Polje (Monténégo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 mai 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 20 juillet 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2000 par Maître FATHOLAHZADEH pour compte de Monsieur BIBULJICA;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 décembre 2000.

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Le 20 octobre 1998, Monsieur … BIBULJICA, né le … à Bijelo Polje (Monténégo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur BIBULJICA fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur BIBULJICA fut entendu en date du 25 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur BIBULJICA, par lettre du 30 mai 2000, notifiée en date du 20 juin 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Bijelo Polje/Monténégro en date du 10 octobre 1998 en bus pour vous diriger vers Kladuja se situant à la frontière croate. De là, vous vous êtes dirigé vers la frontière slovène et c'est en Slovénie que vous avez séjourné jusqu'en date du 18 octobre 1998, avant de continuer votre chemin à l'aide d'un passeur.

Vous déclarez avoir traversé la Slovénie, l'Italie, l’Autriche et l'Allemagne pour arriver au Luxembourg où vous avez déposé une demande d'asile en date du 20 octobre 1998.

Vous relevez avoir quitté votre pays en raison de la guerre et parce que vous ne voulez pas tuer. A cet effet, vous précisez avoir eu peur d'être appelé à la réserve et avoir préféré prendre la fuite avant de devoir aller à la guerre. Vous expliquez que vous étiez déjà à la réserve en Croatie en 1993 et que vous avez déserté du fait que vous ne vouliez ni tuer, ni être tué. Selon vos dires, vous avez été obligé de tirer sous peine d'être tué vous-même. Afin d'éviter de devoir subir encore une fois le même sort vous avez décidé de prendre la fuite.

Vous ajoutez que d'après votre mère, vous avez de nouveau été appelé à la réserve et ceci à une date où vous étiez déjà au Luxembourg. Vous exposez qu'en cas de retour dans votre pays vous craignez une peine de prison en raison de votre désertion en 1993.

Vous faites valoir également une peur à l'égard de la police militaire vous ayant recherché après votre désertion. Ne vous ayant pas trouvé, elle a cessé ses' recherches au bout d'un an.

Vous affirmez de plus ne pas avoir été maltraité personnellement après votre désertion en 1993. Or, comme presque tous les Musulmans, vous étiez membre du parti SDA, sans pour autant avoir eu de problèmes à cause de cette adhésion. Vous ajoutez ne pas avoir d'opinions politiques, ni savoir quels buts le parti a poursuivi.

Concernant les motifs invoqués à l'appui de votre demande d'asile, il a lieu de relever tout d'abord que la crainte d'une éventuelle peine d'emprisonnement en raison de l'insoumission ou de la désertion n'est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d'asile une crainte justifiée.

Quant à votre peur à l'égard de la guerre en général, il faut noter qu'elle n'est pas de nature à rendre votre vie intolérable dans votre pays d'origine et ne dénote pas une persécution de nature à justifier une crainte pour un des motifs énoncés par la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance de statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle 2 qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énumérés par la Convention de Genève.

Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur BIBULJICA en date du 18 juillet 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 20 juillet 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 30 mai et 20 juillet 2000, Monsieur BIBULJICA a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 8 août 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par lui soumis ne seraient pas de nature à fonder dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution. Il soutient que la désertion devrait être admise comme pouvant fonder une crainte légitime de persécution dès lors que l’attitude de la personne visée est dictée par des raisons politiques et de conscience, voire lorsque son comportement est perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et donc comme l’expression d’une opinion politique. Il expose avoir refusé d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves et de donner suite à l’ordre de rejoindre les troupes stationnées au Kosovo, alors qu’il ne pouvait accepter, en tant que musulman originaire du Monténégro, de tirer sur les gens et de faire partie de cette armée qui était responsable de nombreuses exactions condamnées par la communauté internationale et de devenir « l’outil répressif » au service d’une autorité poursuivant une politique d’épuration ethnique sur base de considérations xénophobes. Il affirme qu’en cas de retour dans son pays d’origine, son insoumission risquerait d’être sanctionnée moyennant une condamnation pénale militaire de la part des autorités militaires serbes d’une sévérité disproportionnée l’exposant à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude, mais également de sa confession musulmane, de manière à constituer un acte de répression à caractère politique intolérable au sens de la Convention de Genève.

Le demandeur se fonde en second lieu sur son engagement au sein du parti politique d’opposition SDA et en faveur de l’indépendance du Monténégro.

Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime avoir subi des actes de persécution à caractère politique au sens de la Convention de Genève et risquer de se voir exposer à des exactions similaires en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

3 Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Le demandeur fait répliquer qu’il existerait dans son pays d’origine « un conflit inter-

ethnique à l’encontre des musulmans et des minorités bochniaques » et qu’il aurait refusé de donner suite à l’appel dans la réserve pour ne pas devoir participer au Kosovo à des actions militaires contraires à ses convictions politiques, religieuses et morales. Il se prévaut encore de la « politique rigide de punition envers les recrues militaires du Monténégro qui ont quitté le pays » suivie par l’armée yougoslave à travers ses tribunaux militaires se concrétisant par des peines militaires disproportionnées prononcées à l’encontre des insoumis. Il ajoute que, malgré la réticence des autorités monténégrines, les poursuites des autorités militaires fédérales à l’encontre des insoumis monténégrins continueraient à l’heure actuelle, la loi monténégrine d’amnistie en faveur des personnes qui se sont soustraites au service militaire entre juin 1998 et juin 1999 n’étant pas opposable aux autorités militaires agissant sur base de la loi fédérale instaurant l’obligation au service militaire.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

Concernant le motif de l’insoumission invoqué par le demandeur, force est de constater que l’insoumission ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.

En effet, au-delà du fait que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit avoir déserté l’armée fédérale yougoslave pour des raisons de conscience valables de nature à justifier, en application de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié politique, il reste encore en défaut d’établir, au-delà de la situation politique exposée de manière générale, concrètement, au vu de l’évolution de la situation actuelle en 4 Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission et de la loi d’amnistie votée par le parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, qu’une condamnation pour insoumission, le cas échéant encourue, serait effectivement exécutée à son encontre.

Concernant le moyen du demandeur tenant à son appartenance au parti d’opposition SDA et son engagement en faveur de l’indépendance du Monténégro, ces faits, même à les supposer établis, ne sont pas d’une nature suffisamment grave pour justifier, à l’heure actuelle, une crainte raisonnée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 janvier 2001 par:

M. RAVARANI, président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT RAVARANI 5 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12217
Date de la décision : 10/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-10;12217 ?

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