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08/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12292

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 janvier 2001, 12292


N° 12292 du rôle Inscrit le 31 août 2000 Audience publique du 8 janvier 2001

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Recours formé par les époux … MUJANOVIC et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12292 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 août 2000 par Maître Guillaume RAUCHS, avocat à la Cour, assisté de MaÃ

®tre Isabelle HOMO, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au ...

N° 12292 du rôle Inscrit le 31 août 2000 Audience publique du 8 janvier 2001

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Recours formé par les époux … MUJANOVIC et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12292 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 août 2000 par Maître Guillaume RAUCHS, avocat à la Cour, assisté de Maître Isabelle HOMO, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … MUJANOVIC, né le …à Pec (Kosovo) et …, née le … à Berane (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur…, tous de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000, notifiée le 26 juin 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que contre une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre datant du 31 juillet 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2000 au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Isabelle HOMO et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 décembre 2000.

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En date du 6 mai 1999, les époux … MUJANOVIC, né le … à Pec (Kosovo), et …, née le … à Berane (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur Adelisa MUJANOVIC, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux MUJANOVIC-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur leur identité.

Le 8 juillet 1999, les époux MUJANOVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 31 mai 2000, notifiée le 26 juin 2000, le ministre de la Justice informa les époux MUJANOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations qu’en date du 4 mai 1999 vous avez quitté Podgorica en compagnie d’autres membres de votre famille. Vous dites avoir fait une partie du chemin à pied, pour le reste vous avez voyagé à bord d’une camionnette Mercedes de couleur blanche. Vous ne pouvez pas donner d’autres renseignements quant au chemin emprunté. Vous êtes arrivés à Luxembourg le 6 mai 1999 et vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour même.

Vous, Monsieur, vous avez exposé que vous avez reçu une première convocation pour la réserve le 1er avril 1999, une deuxième le 20 avril 1999, chaque fois à Pec parce que vous y êtes encore toujours inscrit auprès de vos parents. Vous ne vous êtes pas présenté parce que vous ne vouliez pas participer à une guerre civile et que vous ne vouliez pas aller au Kosovo pour maltraiter les Albanais.

Vous affirmez que vous avez quitté votre pays surtout à cause de l’appel pour la réserve, mais aussi en raison de la situation politique en général. Vous prétendez avoir été insulté par les Serbes sur votre lieu de travail et finalement que vous avez été renvoyé par votre patron serbe.

En ce qui vous concerne, Madame, vous déclarez avoir quitté le pays en raison des mauvais traitements infligés aux musulmans et des insultes proférées à leur égard. Ainsi vous affirmez que votre frère aurait été blessé par un ami serbe qui lui aurait lancé une bouteille en verre.

Vous affirmez tous les deux ne pas être membres d’un parti politique ni d’avoir des opinions politiques.

Le fait pour vous, Monsieur, de vous être soustrait à la réserve, n’est pas en lui-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’il ne saurait, à lui seul, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation politique du pays en général et le statut précaire des musulmans en particulier, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 Dès lors, je me dois de constater que vous restez tous les deux en défaut d’exposer un quelconque fait justifiant une crainte de persécution au sens de l’article 1er, A, §2 de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par courrier de leur mandataire datant du 25 juillet 2000, les époux MUJANOVIC-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 31 juillet 2000, ils ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 31 mai et 31 juillet 2000 par requête déposée en date du 31 août 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit.

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs exposent être originaires du Monténégro et de confession musulmane, que Monsieur MUJANOVIC n’aurait pas accompli ses obligations miliaires au motif de ne pas avoir voulu utiliser une arme dans le cadre d’un conflit purement ethnique, qu’il aurait été en outre insulté par des collègues serbes sur son lieu de travail et aurait été renvoyé par son patron, également serbe, sans aucune raison apparente. Madame … fait valoir une crainte de persécution dans son chef en cas de retour dans son pays d’origine en raison de son appartenance à la population musulmane et relève que son frère aurait été blessé dans le cadre des hostilités ethniques. Les demandeurs soutiennent ainsi craindre pour leur intégrité physique et pour leur vie en raison de leur appartenance à la communauté musulmane et relèvent plus particulièrement qu’en cas de retour dans leur pays, Monsieur MUJANOVIC serait poursuivi par les autorités, arrêté et contraint de purger une peine d’emprisonnement pour désertion, tout en faisant valoir que la sanction qu’il subirait serait appliquée de manière discriminatoire étant donné qu’il est marié à une citoyenne du Monténégro et vit au Monténégro. Ils soutiennent que corrélativement Madame … et sa fille risqueraient d’être maltraitées, injuriées et menacées, vu que la situation au Monténégro serait dangereuse, instable et effrayante.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux MUJANOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

3 Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs insistent sur la situation sociale et politique instable au Monténégro, ainsi que sur la présence de l’armée yougoslave sur le territoire monténégrin pour soutenir qu’à l’heure actuelle les musulmans, confrontés à un nationalisme grandissant, seraient victimes de discriminations et persécutions réelles, sévères et injustifiées.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est en principe pas conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de leurs déclarations.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux MUJANOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 8 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit l’existence dans leur chef d’une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leur convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant le motif de l’insoumission, force est de constater qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur MUJANOVIC, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.

En effet, au-delà du fait que Monsieur MUJANOVIC reste en défaut d’établir à suffisance de droit avoir déserté l’armée fédérale yougoslave pour des raisons de conscience valables susceptibles de justifier, en application de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié politique, et que des traitements discriminatoires auraient pu ou peuvent actuellement lui être infligés dans le cadre de son service militaire, il reste encore en défaut d’établir, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission ou de désertion et de la loi d’amnistie votée par le parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, qu’une condamnation pour insoumission le cas échéant encourue serait effectivement exécutée à son encontre.

4 Concernant les autres craintes alléguées par les demandeurs tenant à la leur religion musulmane, force est encore de constater qu’elles constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’établissent un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison intolérable au Monténégro, étant précisé dans ce contexte que les insultes verbales invoquées et proférées à l’encontre de Monsieur MUJANOVIC sur son lieu de travail, même à les supposer établies, ne constituent pas des actes d’une gravité suffisante pour caractériser une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 janvier 2001 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12292
Date de la décision : 08/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-08;12292 ?

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