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08/01/2001 | LUXEMBOURG | N°12266

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 janvier 2001, 12266


N° 12266 du rôle Inscrit le 23 août 2000 Audience publique du 8 janvier 2001

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Recours formé par les époux … ZVEROTIC et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12266 et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2000 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom des époux … ZVEROTIC, né le … à Dobrusa (Kosovo) et de …, née le … à Vrba/Tutin

(Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réf...

N° 12266 du rôle Inscrit le 23 août 2000 Audience publique du 8 janvier 2001

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Recours formé par les époux … ZVEROTIC et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12266 et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2000 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom des époux … ZVEROTIC, né le … à Dobrusa (Kosovo) et de …, née le … à Vrba/Tutin (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 13 juin 2000, notifiée le 25 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2000 au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Gilbert REUTER, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 décembre 2000.

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Le 17 juillet 1998, les époux … ZVEROTIC, né le … à Dobrusa (Kosovo) et …, née le … à Vrba/Tutin (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour les époux ZVEROTIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 En date du 8 mars 1999, les époux ZVEROTIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 13 juin 2000, notifiée le 25 juillet 2000, le ministre de la Justice informa les époux ZVEROTIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Monsieur, vous exposez avoir été membre du SDA et avoir participé à des manifestations organisées par ce parti.

Vous expliquez avoir peur des Serbes et Albanais.

Vous indiquez que les Albanais n’aimeraient pas les musulmans, qu’ils voleraient beaucoup et qu’ils auraient refusé de vendre des marchandises sur le marché aux gens qui ne parlaient pas l’albanais.

Vous avez travaillé pour un patron albanais avec lequel vous n’aviez pas de problèmes.

Vous déclarez avoir eu des problèmes avec la police serbe. Vous auriez dû payer des amendes pour tout. Personnellement vous n’auriez pas eu de problèmes, mais il y aurait eu une discrimination générale vis-à-vis des Albanais et des musulmans.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari et vous n’exposez pas d’éléments de persécution personnelle.

Force est cependant de constater que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

2 Par requête déposée en date du 23 août 2000, les époux ZVEROTIC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 13 juin 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Kosovo, qu’ils ont fui le Kosovo, étant donné que Monsieur ZVEROTIC ne voulait pas être enrôlé de force, que par la suite les autorités albanaises seraient très souvent venues dans leur maison pour s’enquérir auprès de la mère et de la sœur de Monsieur ZVEROTIC sur son lieu de résidence actuel et que leur famille proche aurait fait l’objet d’agressions verbales et physiques à tel point qu’un frère du demandeur souffrirait encore aujourd’hui de graves traumatismes psychologiques. Ils exposent plus particulièrement que tant leur maison que celle du frère de Monsieur ZVEROTIC auraient été entièrement détruites suite à des actes de vengeance de la part des Albanais, de sorte que démunis de tout espoir et de tous leurs biens meubles et immeubles, ils ne pourraient plus retourner actuellement au Kosovo.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux ZVEROTIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.

Dans leur mémoire en réplique les demandeurs insistent sur l’impuissance des autorités en place pour leur garantir une protection appropriée, impuissance qui se dégagerait du fait que leur maison aurait été entièrement démolie.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est en principe pas conditionnée par la seule situation générale du pays d’origine, mais par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

L’argumentation développée par les demandeurs n’est pas de nature à établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte 3 actuelle de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine de répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire et qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place, et qu’il convient d’en conclure que les demandeurs ne peuvent plus faire état d’un risque actuel de persécution au sens de la Convention de Genève en raison de leur crainte de subir de la part des autorités serbes des actes de persécution.

Concernant la crainte invoquée d’un risque de persécution de la part des partisans de l’UCK, au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève, il y a lieu de relever qu’elle s’analyse non pas en une crainte de persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population, en l’espèce les militants de l’UCK. Une crainte de cette nature ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de la destruction de leur maison par des partisans de l’UCK pour conclure à une impossibilité dans leur chef de retourner dans leur pays d’origine. – Or, cet acte de violence – aussi regrettable qu’il puisse être par ailleurs - s’inscrit dans un climat d’insécurité générale d’après-guerre, mais ne saurait constituer une raison suffisante dénotant dans le chef des demandeurs une impossibilité de réclamer la protection des autorités actuellement en place au Kosovo pour l’un des motifs énoncés à l’article 1 A de la Convention de Genève et rendant un retour au pays impossible dans leur chef.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

4 se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 janvier 2001 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12266
Date de la décision : 08/01/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-01-08;12266 ?

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