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28/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12316

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 décembre 2000, 12316


N° 12316 du rôle Inscrit le 11 septembre 2000 Audience publique du 28 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … DOLOVAC, son épouse, Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12316 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2000 par Maître Isabel DIAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsie

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N° 12316 du rôle Inscrit le 11 septembre 2000 Audience publique du 28 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … DOLOVAC, son épouse, Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12316 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2000 par Maître Isabel DIAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … DOLOVAC, né le … à …(Serbie), sans état particulier, et de son épouse, Madame …, née le 10 janvier 1975 à …, sans état particulier, agissant pour eux-mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et…, tous les quatre de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 juin 2000, notifiée le 11 août 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Isabel DIAS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 26 octobre 1998, Monsieur … DOLOVAC, né le … à … (Serbie), sans état particulier, et son épouse, Madame …, née le … à…, sans état particulier, agissant pour eux-

mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …et …, tous les quatre de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux DOLOVAC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi que sur leur identité.

Le 7 octobre 1999, ils furent en outre entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 29 juin 2000, notifiée le 11 août 2000, le ministre de la Justice informa les époux DOLOVAC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations qu’en date du 21 octobre 1998 vous avez quitté Novi Pazar en bus en direction de Sarajevo, d’où vous êtes venus au Luxembourg à l’aide d’un passeur. Quant au chemin exact emprunté, vous prétendez ne pas pouvoir en donner de détails.

Vous, Monsieur, vous déclarez avoir quitté votre pays par peur d’être appelé à la réserve. A cet effet, vous précisez avoir fait votre service militaire en 1989/1990 en Croatie.

Or, n’ayant pas été appelé à la réserve, mais ayant entendu que la police allait recruter beaucoup de jeunes, vous avez préféré prendre la fuite avant d’être vous même recruté. Quant au refus de vous présenter à la réserve, il provient du fait que vous ne voulez pas tuer.

Vous relevez d’autre part avoir peur de la police, de l’armée, des autorités actuellement au pouvoir et plus particulièrement de M. Milosévic, en précisant que cette peur serait liée à votre confession musulmane et à vos opinions politiques. Vous exposez avoir été membre du parti SDA, mais ne pas avoir eu des problèmes à cause de cette adhésion. Vous faites cependant état de mauvais traitements subis de la part des réservistes serbes et de la police serbe. Ainsi en 1993 la police vous aurait arrêté sur la rue sans aucune raison et vous aurait emmené au poste de police, où vous auriez été maltraité verbalement.

De votre côté, Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari, en ce qui concerne les raisons de votre fuite, due à l’imminence d’un appel à la réserve de votre conjoint. Vous affirmez de plus avoir quitté votre pays en raison de la guerre et de la mauvaise situation générale régnant dans votre pays. Ainsi vous précisez que les conditions de vie dans votre pays ne sont pas bonnes, que les frais médicaux sont trop élevés, qu’il y règne une pénurie d’aliments et qu’il est difficile d’y trouver un emploi. Vous souhaitez que vos enfants puissent grandir au Luxembourg.

Concernant le premier motif invoqué à l’appui de vos demandes d’asile, à savoir la crainte de devoir aller à la réserve et de devoir tuer, il y a lieu de retenir que l’article 1er de la Convention de Genève énumère limitativement les motifs pour lesquels le statut de réfugié peut être accordé, à savoir une persécution du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou en raison d’opinions politiques, considérant que d’après ces dispositions expressément limitatives l’insoumission ne saurait valoir comme motif pour une reconnaissance automatique du statut sollicité au sens de la Convention de Genève.

Quant aux autres motifs invoqués, à savoir la crainte générale de la guerre, de la mauvaise situation, de la police, de l’armée, des autorités actuellement au pouvoir et de M.

Milosévic, il y a lieu de noter que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation 2 particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Concernant votre situation personnelle, il y a lieu de relever que les faits invoqués, ne sont cependant pas d’une gravité telle qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 11 septembre 2000, les époux DOLOVAC-…, agissant pour eux-mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 29 juin 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils seraient persécutés en raison du fait que Monsieur DOLOVAC est musulman et membre du parti démocratique, qu’en 1993 et en 1995, il aurait été arrêté par la police et maltraité verbalement et physiquement.

En outre, ils font valoir qu’ils auraient dû fuir leur pays de provenance parce que Monsieur DOLOVAC aurait craint d’être appelé pour faire la réserve militaire. Dans ce contexte, ils exposent en outre qu’ils craindraient les sanctions, notamment une peine de prison, que Monsieur DOLOVAC risquerait de subir en raison de son insoumission.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts DOLOVAC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social 3 ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux DOLOVAC-… lors de leurs auditions respectives en date du 7 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, la simple qualité de membre à elle seule étant insuffisante, il y a lieu de constater que les demandeurs ont omis de faire état d’un tel rôle actif et surtout, ils n’ont pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, en raison de l’appartenance au parti « SDA » de Monsieur DOLOVAC.

Ensuite, concernant l’insoumission alléguée de Monsieur DOLOVAC, d’une part, elle n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des consorts DOLOVAC-…, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, abstraction faite de ce qu’au moment du départ des demandeurs, Monsieur DOLOVAC n’avait pas encore fait l’objet d’un appel pour la réserve, il ne ressort des éléments du dossier ni qu’il risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

4 Enfin, concernant les prétendus problèmes que Monsieur DOLOVAC aurait connus en 1993 et 1995 avec la police serbe, abstraction faite de ce que, lors de leurs auditions respectives, ni Monsieur DOLOVAC ni son épouse n’ont fait état de problèmes avec la police en 1995 et qu’en ce qui concerne son arrestation en 1993, il n’a pas fait état de violences physiques mais seulement du fait que « les policiers m’ont dit des vulgarités et ils m’ont maltraité verbalement. Après quelques heures, j’ai pu quitter la station de police », force est de constater que lesdits problèmes, même à les supposer établis, manquent, premièrement de pertinence pour être antérieurs respectivement de 5 et 3 années au départ, au mois d’octobre 1998, des demandeurs de leur pays de provenance et, deuxièmement, d’un caractère de gravité suffisant pour qu’on puisse en conclure que la vie des consorts DOLOVAC-… soit devenue insupportable dans leur pays d’origine.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 28 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12316
Date de la décision : 28/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-28;12316 ?

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