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28/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12279

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 décembre 2000, 12279


N° 12279 du rôle Inscrit le 25 août 2000 Audience publique du 28 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … BOSNJAK, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12279 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BOSNJAK, né le … à … (Monténégro), d

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N° 12279 du rôle Inscrit le 25 août 2000 Audience publique du 28 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … BOSNJAK, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12279 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2000 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BOSNJAK, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000, notifiée le 15 juin 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 26 juillet 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique, intitulé « mémoire en duplique », déposé au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2000 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Alban COLSON, en remplacement de Maître Luc SCHANEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 11 septembre 1998, Monsieur … BOSNJAK, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur BOSNJAK fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 13 août 1999, Monsieur BOSNJAK fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale du 17 avril 2000 que « gegen den vorerwähnten Asylanten [Monsieur BOSNJAK] wurde Protokoll (…) vom 15. 09. 1999 der Polizei Cap resp. Bericht (…) vom 30. 03. 2000 der Polizei Schifflingen, wegen freiwilliger Schläge und Verwundungen errichtet. (Schlägerei zu Steinfort) ».

Par décision du 2 juin 2000, notifiée le 15 juin 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur BOSNJAK de ce que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie à l’aide d’un passeur qui vous a emmené au Luxembourg.

Vous exposez que vous n’avez pas fait le service militaire. Il y aurait un mandat d’arrêt contre vous depuis mai 1999. Vous auriez reçu plusieurs appels écrits pour faire le service militaire et la police militaire serait venue vous chercher à plusieurs reprises. A cette occasion vos parents auraient été injuriés.

Vous expliquez que vous ne voulez pas faire la guerre pour Milosevic. Vous avez peur d’être condamné à aller en prison parce que vous avez refusé de faire l’armée.

Vous indiquez que vous étiez membre de la section de jeunesse du SDA du Sandzak monténégrin. Vous auriez été persécuté à cause de votre religion musulmane.

Vous relatez avoir eu des problèmes avec la police en 1994, année où vous vous êtes enfui en Allemagne. Vous ne précisez pas en quoi consistaient ces problèmes.

Lors de votre retour d’Allemagne vous avez seulement eu des problèmes à cause de l’armée. La police militaire vous aurait recherchée en 1998 parce que vous avez fait la guerre de Bosnie du côté musulman, en exécutant de petits travaux pour l’armée bosniaque.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable du statut de réfugié.

En ce qui concerne les problèmes que vous avez eu avec la police serbe en 1994, ces faits ne sont pas d’une telle gravité - même à les supposer établis - qu’ils justifieraient une crainte de persécution justifiée au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en 2 raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 17 juillet 2000, réceptionnée au ministère de la Justice le lendemain, Monsieur BOSNJAK introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 2 juin 2000.

Par décision du 26 juillet 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 25 août 2000, Monsieur BOSNJAK a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 2 juin et 26 juillet 2000.

Lors des plaidoiries, le mandataire de Monsieur BOSNJAK a demandé au tribunal de considérer la requête introductive d’instance comme émanant également de Madame …, qui a accompagné Monsieur BOSNJAK au Luxembourg et à laquelle le ministre de la Justice a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique par décision séparée datant du 2 juin 2000.

Le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité ratione temporis d’un recours émanant de Madame … Abstraction faite de toutes considérations concernant la recevabilité d’un recours de Madame … quant au délai pour agir, le recours formulé par elle par simples conclusions à la barre de son mandataire est à déclarer irrecevable, étant donné que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite et qu’un recours contentieux, au voeu de l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, doit être introduit sous forme de requête, signée d’un avocat à la Cour, contenant les indications obligatoirement prévues par le prédit article 1er.

Le délégué du gouvernement conclut encore à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation introduit par Monsieur BOSNJAK, au motif que les dispositions légales applicables en la matière prévoiraient un recours au fond.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal par Monsieur BOSNJAK, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre 3 recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane, qu’au cours de la guerre de Bosnie, il aurait travaillé pour les forces militaires bosniaques, qu’en raison de ses convictions religieuses, il aurait refusé de « combattre au côté de Milosevic, du côté serbe », que, contrairement à la majorité des musulmans, il serait, de même que sa femme, pratiquant, qu’en raison de sa religion, il serait activement recherché par la police serbe et quotidiennement discriminé et persécuté. Il fait préciser qu’il ferait l’objet d’un mandat d’arrêt depuis 1999 et qu’il risquerait d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine en raison du fait qu’il aurait refusé de faire suite à des appels pour faire son service militaire, son refus étant lié à ses convictions religieuses. Dans ce contexte, il relève encore qu’il risquerait d’être condamné à une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction commise.

Sur ce, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir méconnu les dispositions de la Convention de Genève et il estime que, étant donné qu’il remplirait les conditions d’octroi du statut de réfugié politique, les décisions querellées seraient à réformer.

En outre, le demandeur conclut à l’annulation des décisions critiquées pour violation des articles 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 et 1er, section A 2 de la Convention de Genève, au motif que le ministre aurait omis de motiver à suffisance de droit les décisions litigieuses.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen d’annulation tiré du non-

respect de l’obligation légale de motivation et il soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur BOSNJAK et que le recours laisserait d’être fondé.

Il convient en premier lieu d’examiner le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que les décisions ministérielles critiquées seraient entachées d’illégalité pour défaut de motivation suffisante. Or, force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé prérelaté de la décision initiale du 2 juin 2000 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. - Par ailleurs, le fait par la décision du 26 juillet 2000 de confirmer purement et simplement la décision initiale, implique que cette deuxième décision se base sur les mêmes dispositions légales et réglementaires ainsi que sur les mêmes motifs en fait que ceux sur lesquels s’est basée la décision initiale.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond des deux décisions de refus d’accorder le statut de réfugié politique.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait 4 de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BOSNJAK lors de son audition du 13 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

La crainte principale, sinon exclusive, dont le demandeur fait état dans son recours contentieux a trait à sa prétendue insoumission. Or, il convient de relever que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience ou religieuses valables, ni que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion ou de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant les autres déclarations faites par le demandeur, notamment sa peur à l’égard des Serbes en raison de sa religion musulmane, il échet de constater qu’elles constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de son audition, il est resté très vague dans ses allégations et explications, qu’il a précisé qu’il n’a pas été persécuté personnellement, qu’il n’a pas été accusé d’un crime ou d’un délit, ni incarcéré avec ou sans jugement, qu’il a, au contraire, allégué avoir « peur des autorités en général » et qu’il n’établit aucun fait d’une gravité suffisante pour constituer un motif justifiant dans son chef une crainte légitime d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa religion musulmane ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

déclare irrecevable le recours introduit par Madame REBRONJA par simples conclusions à la barre;

déclare le recours en annulation introduit par Monsieur BOSNJAK irrecevable;

reçoit le recours en réformation introduit par Monsieur BOSNJAK en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 28 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12279
Date de la décision : 28/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-28;12279 ?

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