La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12196

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 décembre 2000, 12196


N° 12196 du rôle Inscrit le 3 août 2000 Audience publique du 28 décembre 2000

================================

Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

---------------------------------

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12196 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 août 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à …(Kosovo/Yo

ugoslavie), sans état particulier, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l...

N° 12196 du rôle Inscrit le 3 août 2000 Audience publique du 28 décembre 2000

================================

Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

---------------------------------

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12196 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 août 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à …(Kosovo/Yougoslavie), sans état particulier, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 3 mai 2000, notifiée le 30 mai 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 juillet 2000, notifiée le 6 juillet 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

Le 14 septembre 1998, Monsieur … SABOTIC, né le … à … (Kosovo/Yougoslavie), sans état particulier, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur SABOTIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Monsieur SABOTIC fut en outre entendu le 14 décembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 3 mai 2000, notifiée le 30 mai 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur SABOTIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo en mai 1998 pour le Monténégro où vous seriez resté trois mois. Le 8 septembre 1998, vous avez quitté en compagnie de votre frère Berane/Monténégro et après avoir traversé notamment l’Italie, vous êtes arrivé à Luxembourg le matin du 14 septembre 1998. Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le même jour.

Vous avez exposé que vous n’avez pas encore fait votre service militaire. Vous auriez reçu trois appels pour rejoindre l’armée dont le dernier en mai 1998. Comme à l’époque la guerre se préparait au Kosovo, vous ne vous seriez pas présenté et vous auriez préféré fuir le Kosovo.

Vous affirmez par ailleurs ne pas avoir été membre d’un parti politique, ni d’avoir des opinions politiques. En 1997, vous auriez participé à des manifestations politiques pacifiques organisées par des albanais, ceci parce que des amis albanais à vous y auraient également participé. Par ailleurs, vous soulignez que vous n’avez jamais été maltraité.

Vous avez exprimé le désir de pouvoir rester au Luxembourg, où vous avez d’ailleurs trouvé un travail, tant que la situation ne s’est pas calmée dans votre pays. Ainsi vous invoquez certaines craintes pour retourner, craintes liées au fait que vous ne parlez pas l’albanais et que les Albanais n’aiment pas les musulmans qui ne sont pas albanais.

L’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté au sens de la Convention de Genève. Je souligne d’ailleurs dans ce contexte que l’armée fédérale yougoslave, les rangs de laquelle vous auriez dû rejoindre, a quitté le territoire du Kosovo, de sorte que vous ne risquez plus une sanction de sa part.

Quant à votre crainte de retourner au Kosovo en raison du statut précaire des serbes musulmans, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation individuelle particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place afin de garantir une coexistence pacifique des différentes communautés vivant au Kosovo. Ainsi, des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et en Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Dans ces circonstances, je considère que vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à votre religion, à votre nationalité, 2 à votre appartenance à un certain groupe social ou à vos opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er A §2 de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 28 juin 2000, Monsieur SABOTIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 3 mai 2000.

Par décision du 3 juillet 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 3 août 2000, Monsieur SABOTIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 3 mai et 3 juillet 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Kosovo et de religion musulmane et qu’au mois de mai 1998, il aurait quitté son pays pour trouver refuge dans un premier temps au Monténégro, d’où il serait parti au mois de septembre 1998, pour venir au Luxembourg.

Il conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi et pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Il reproche spécialement au ministre de ne pas avoir pris en considération son refus d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves, refus qui aurait été motivé par des raisons de conscience et qui aurait été perçu par les autorités serbes comme l’expression d’une opinion politique, ainsi que son appartenance à un groupe ethnique minoritaire dans la province du Kosovo, à savoir les « bosniaques » du Kosovo.

Il ajoute que la situation actuelle au Kosovo, à savoir la présence des forces onusiennes ne serait pas suffisante pour garantir sa sécurité contre des « exactions de la part des membres de l’U.C.K au motif qu’il a refusé de combattre avec elles dans le cadre des mouvements de libération de la province du KOSOVO », ainsi que des persécutions en raison de son appartenance ethnique précitée.

A titre subsidiaire, le demandeur sollicite un sursis à statuer, en attendant que le ministre de la Justice ait pris une décision en rapport avec un permis de séjour qu’il aurait 3 sollicité suite à son mariage en date du 9 juin 2000 avec Madame V. A.. « laquelle est titulaire au Luxembourg d’un titre de séjour tout à fait régulier », au motif que les deux affaires seraient en étroite connexité.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SABOTIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Il convient en premier lieu d’examiner la demande de sursis à statuer présentée par le demandeur. Ladite demande est à rejeter, étant donné que l’octroi ou le refus d’un permis de séjour au Luxembourg n’est pas de nature à influer la prise de décision relativement à la présente affaire ayant trait à la reconnaissance ou non du statut de réfugié politique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SABOTIC lors de son audition en date du 14 décembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités 4 serbes, à l’origine de répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire et qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place, et qu’il convient d’en conclure que le demandeur ne peut plus faire état d’un risque actuel de persécution au sens de la Convention de Genève en raison de sa crainte de subir de la part des autorités serbes des actes de persécution du fait de son appartenance ethnique, de sa religion musulmane ou de son insoumission.

Concernant le prétendu risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population serbe ou albanaise du Kosovo, il ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, d’une part, par la population serbe, en raison de son insoumission et de sa religion et, d’autre part, par les Albanais en raison de son appartenance à l’ethnie des « bosniaques » du Kosovo et son refus de combattre dans les rangs de l’U.C.K. pendant le conflit armé avec les Serbes, mais il ne démontre point ni avoir concrètement recherché ladite protection de la part des autorités en place dans son pays d’origine et avoir été confronté à un refus de la part de ces dernières pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève ni que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Par ailleurs, il y a lieu de relever que même à admettre qu’à l’heure actuelle, il soit difficile pour un « bosniaque » du Kosovo, de s’y réinstaller, au vu des affrontements ethniques qui sont toujours d’actualité au Kosovo, le demandeur reste en défaut d’établir des raisons pertinentes pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, étant relevé qu’il ressort des propres déclarations du demandeur qu’il avait déjà trouvé refuge pendant plusieurs mois au Monténégro avant de venir au Luxembourg.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, 5 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

rejette la demande en sursis à statuer présentée par le demandeur;

au fond déclare le recours non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 28 décembre 2000, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12196
Date de la décision : 28/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-28;12196 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award