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28/12/2000 | LUXEMBOURG | N°10791

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 décembre 2000, 10791


N° 10791 du rôle Inscrit le 8 juillet 1998 Audience publique du 28 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … BOSSERS et son épouse, Madame … contre un arrêté du ministre de la Culture en matière de sites et monuments nationaux

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Vu la requête inscrite sous le numéro 10791 du rôle et déposée le 8 juillet 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon

sieur … BOSSERS, agriculteur, et de son épouse, Madame …, sans état particulier, les deux dem...

N° 10791 du rôle Inscrit le 8 juillet 1998 Audience publique du 28 décembre 2000

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Recours formé par Monsieur … BOSSERS et son épouse, Madame … contre un arrêté du ministre de la Culture en matière de sites et monuments nationaux

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Vu la requête inscrite sous le numéro 10791 du rôle et déposée le 8 juillet 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BOSSERS, agriculteur, et de son épouse, Madame …, sans état particulier, les deux demeurant ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Culture du 29 juin 1998, par lequel des terrains inscrits au cadastre de la commune de …, section B de …, sous les numéros 40/843, 36/2423, 37/2424 et 37/361, leur appartenant, ont été inscrits à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux, au sens de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 février 1999 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 février 2000 au nom des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2000 ;

Vu l’autorisation accordée le 10 mai 2000 par le tribunal administratif tant au mandataire des demandeurs qu’au délégué du gouvernement à déposer des mémoires supplémentaires, à la suite du dépôt, en date du 8 mai 2000, au cours de l’audience à laquelle l’affaire avait été fixée une première fois en vue des plaidoiries, d’une pièce supplémentaire par le délégué du gouvernement, comprenant un plan portant sur l’emplacement des vestiges de la villa romaine sur la propriété des demandeurs, ces mémoires supplémentaires ne pouvant avoir pour objet que de prendre position par rapport à ladite pièce nouvelle ainsi que de soulever le cas échéant des moyens que le tribunal pourrait soulever d’office ;

Vu le mémoire en réplique complémentaire déposé au nom des demandeurs en date du 15 mai 2000 ;

Vu le dépôt de pièces complémentaires par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2000 ;

Vu le mémoire additionnel, intitulé “ mémoire en réplique après dépôt des pièces par le représentant du gouvernement ”, déposé au nom des demandeurs au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2000 ;

Vu le dépôt d’une pièce complémentaire par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 7 juillet 2000, à la suite d’une demande afférente formulée par le tribunal lors de l’audience du 29 mai 2000, et comprenant un nouveau plan portant sur l’emplacement des vestiges gallo-romains sur les fonds appartenant aux demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Gaston VOGEL ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Il ressort d’un avis de la commission des sites et monuments nationaux, instituée auprès du ministre de la Culture, daté du 4 mai 1995 “ qu’il existe à …, sur les terrains appartenant aux époux … BOSSERS-…, des vestiges d’une villa romaine datant probablement de la fin du 3e siècle a.J.C. à l’intérieur des vestiges se trouve une mosaïque romaine intacte à presque 100%, datant de la même époque que la villa.

La villa, pour autant que le site non encore fouillé est lisible, est d’une envergure dépassant de loin la partie fouillée actuellement. Il est même à supposer qu’une partie de la villa est déjà enfouie sous le hangar agricole construit par les époux BOSSERS-….

Dans la partie fouillée de la villa, une partie des murs est encore recouverte d’un enduit coloré laissant conclure à des décorations à la fresque.

La mosaïque est, selon les dires des archéologues, l’une des plus grandes et plus prestigieuses trouvée au nord des Alpes. (…) Quant à la villa, qui est d’un intérêt historique et archéologique certain, il suffira d’assurer sa protection par l’inscription à l’inventaire supplémentaire. Comme l’étendue définitive de la villa n’est pas définie actuellement, il faudra inclure dans la mesure de protection les parcelles cadastrales touchées par les vestiges, quitte à réduire le périmètre de protection dans une étape ultérieure ”.

Lors de sa séance du 15 avril 1998, le conseil communal de … exprima à l’unanimité de ses membres l’avis “ que l’inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments nationaux des vestiges de la villa romaine constitue une mesure de protection absolument primordiale et nécessaire, en raison de l’intérêt archéologique et historique de ce témoignage de l’époque romaine ”, sous réserve toutefois “ que les conditions, servitudes et obligations de ladite inscription ne devraient cependant pas mettre le 2 propriétaire Monsieur … BOSSERS-… dans l’impossibilité de continuer à exercer sa profession de cultivateur qui est sa seule subsistance ; ”.

Par un arrêté du 29 juin 1998, le ministre de la Culture décida d’inscrire “ à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux, au sens de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, les vestiges de la villa romaine sise à … sur les terrains inscrits au cadastre de la commune de …, section B de …, sous les numéros 40/843, 36/2423, 37/2424 et 37/361, terrains qui appartiennent aux époux … BOSSERS-…, domiciliés à … ”, en spécifiant que “ les terrains faisant partie des parcelles cadastrales prémentionnées ne tombent sous la protection de la loi du 18 juillet 1983 précitée que pour autant qu’ils se trouvent dans un rayon de 50 mètres à partir du centre de la villa, l’emplacement de la mosaïque trouvée dans la villa étant pris comme centre ”.

Par requête introduite en date du 8 juillet 1998, Monsieur … BOSSERS, agriculteur, et son épouse, Madame …, sans état particulier, demeurant ensemble à L-…, ont introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté précité du ministre de la Culture du 29 juin 1998.

Tandis que les demandeurs concluent à la compétence du tribunal administratif pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal contre l’arrêté ministériel précité du 29 juin 1998, en exposant que bien que le recours en réformation n’est prévu par l’article 4 de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux que pour la seule procédure de classement, cet article devrait également s’appliquer “ a pari ” à la procédure de l’inventaire supplémentaire, le délégué du gouvernement conclut à la seule recevabilité du recours subsidiaire en annulation, en soutenant que la loi précitée de 1983 ne prévoirait pas la possibilité d’introduire un recours en réformation contre une décision d’inscription sur la liste appelée “ inventaire supplémentaire ”.

Il est vrai, comme l’expose le mandataire des demandeurs, que le tribunal administratif est compétent, en vertu de l’article 4, alinéa 6 de la loi précitée du 18 juillet 1983, pour connaître, en tant que juge du fond, des recours dirigés contre les arrêtés de classement d’immeubles, nus ou bâtis, en tant que monuments nationaux. Toutefois, il ressort non seulement du contenu dudit alinéa mais également du fait qu’il figure sous le titre “ procédure de classement ” et de ce fait parmi les dispositions réglementant les conditions dans lesquelles le classement d’un immeuble peut être opéré, qu’il s’applique exclusivement aux recours dirigés contre les arrêtés pris en matière de classement d’immeubles comme monuments nationaux. Ceci est d’autant plus vrai qu’il existe un titre séparé traitant de l’“ inventaire supplémentaire ” contenant des dispositions spécifiques quant à cette procédure.

Il s’ensuit que, contrairement à l’argumentation développée par les demandeurs, cette disposition légale ne s'applique pas aux recours contentieux dirigés contre les décisions prises en matière d’inscription à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux au sens de la loi précitée de 1983.

Ni la loi précitée du 18 juillet 1983 ni aucune autre disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en matière d’inscription d’un immeuble à l’inventaire 3 supplémentaire prévue à l’article 17 de ladite loi, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Il s’ensuit que seul un recours en annulation, recours de droit commun, a pu être introduit contre la décision ministérielle déférée du 29 juin 1998.

Le recours en annulation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Les demandeurs invoquent, pour la première fois dans le cadre de leur mémoire en réplique complémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 mai 2000, dont le dépôt a été expressément autorisé par le tribunal en date du 10 mai 2000, un moyen tiré de la violation de l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et des articles 5 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en ce que les demandeurs n’auraient à aucun moment été sollicités afin de collaborer à la prise de décision par le ministre de la Culture.

Le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice quant au bien-

fondé de ce moyen.

Le moyen tiré du non-respect par l’administration du droit d’un administré à collaborer, dans certaines hypothèses, à la prise d’une décision administrative, est d’ordre public et peut même être invoqué d’office par le tribunal, en l’absence de conclusions afférentes des parties à l’instance, ledit moyen touchant à la légalité externe de la décision litigieuse, le tribunal est amené à l’analyser avant le moyen ayant trait à la légalité interne de ladite décision.

L’article 1er de la loi précitée du 1er décembre 1978 n’édictant pas de droits en faveur des administrés dont ceux-ci pourraient se prévaloir directement, en ce que cette disposition légale sert exclusivement de base légale en vue de la prise, par le Grand-Duc, d’un règlement grand-ducal, conformément au champ d’application défini audit article 1er, le moyen tiré d’une éventuelle violation de cet article 1er doit être rejeté.

Par ailleurs, le moyen par lequel les demandeurs invoquent une violation de l’article 5 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 doit également être écarté, étant donné que cette disposition réglementaire vise exclusivement les droits et intérêts de tierces personnes, et non pas la situation de la partie directement visée par la décision administrative à prendre. Or, en l’espèce, les demandeurs, loin de constituer des tiers, sont les destinataires directs de la décision sous analyse.

Enfin, bien que les demandeurs reprochent encore au ministre un manquement à ses obligations de faire participer les destinataires d’une décision administrative à prendre à l’élaboration de celle-ci, en invoquant, à tort, une violation de l’article 12 du règlement grand-ducal précité, qui ne vise que le droit de toute personne concernée d’obtenir, à sa demande, communication des éléments d’information sur lesquels l’administration entend se baser en vue de la prise d’une décision, il y a lieu de se référer à l’article 9 dudit règlement grand-ducal, qui dispose en son alinéa 1er que “ sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose (…) de prendre une décision en dehors d’une initiative 4 de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir ”.

En l’espèce, il est constant en cause que l’arrêté ministériel déféré a été pris sans que les époux BOSSERS-… n’aient formulé une demande afférente. En outre, aucun motif n’a été invoqué ou ne résulte des pièces et éléments du dossier, tel que versé au greffe du tribunal, suivant lequel il y aurait en l’espèce eu une urgence particulière à prendre la décision d’inscription à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux justifiant un “ péril en la demeure ”, déchargeant le ministre de la Culture de son obligation à faire participer les demandeurs à la prise de décision.

Il est encore constant, pour ressortir notamment des pièces et éléments du dossier dont dispose le tribunal qu’à aucun moment de la procédure les époux BOSSERS-… se sont vus communiquer les éléments de fait et de droit sur lesquels le ministre de la Culture entendait se baser pour prendre la décision litigieuse. Partant, le défaut par le ministre d’avoir observé la procédure telle que prévue par l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 et donc la violation de ce dernier, entraîne l’annulation de l’arrêté ministériel du 29 juin 1998, sans qu’il y ait encore lieu de prendre position par rapport aux autres moyens et arguments développés par les demandeurs à l’appui de leurs recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif , deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule l’arrêté du ministre de la Culture du 29 juin 1998 et renvoie le dossier pour prosécution de cause audit ministre ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 28 décembre 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10791
Date de la décision : 28/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-28;10791 ?

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