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20/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12241

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 décembre 2000, 12241


Numéro 12241 du rôle Inscrit le 17 août 2000 Audience publique du 20 décembre 2000 Recours formé par Monsieur … RASLJANIN, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12241 du rôle, déposée le 17 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur â

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Numéro 12241 du rôle Inscrit le 17 août 2000 Audience publique du 20 décembre 2000 Recours formé par Monsieur … RASLJANIN, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12241 du rôle, déposée le 17 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASLJANIN, né le … à …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000 ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 26 juillet 2000, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FARTHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 novembre 2000.

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Le 13 mai 1998, Monsieur … RASLJANIN, né le … à…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur RASLJANIN fut entendu en date du 2 octobre 1998 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur RASLJANIN, par lettre du 2 juin 2000, notifiée en date du 15 juin 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 15 mars 1997. Vous aviez un visa valable jusqu'au 9 avril 1997. Vous n'avez demandé l'asile que le 13 mai 1998.

Vous étiez par conséquent en séjour illégal au Luxembourg d'avril 1997 jusqu'en mai 1998.

Vous exposez que vous ne voulez pas faire le service militaire en temps de guerre.

Vous ne voyez pas d'inconvénient à faire le service militaire en temps normaux. Vous avez reçu un appel pour le service militaire pour vous présenter le 13 avril 1998.

Vous expliquez que vous êtes jeune et que vous ne vouliez pas mourir.

Vous indiquez que vous avez peur à cause de votre religion musulmane. La plupart de vos professeurs ne seraient pas des musulmans et à cause de ce fait vous ne pourriez pas respecter les règles du ramadan. On vous aurait parfois emmené dans un monastère, mais pas dans une mosquée.

Vous déclarez que vous êtes musulman pratiquant et que la religion prend la première place dans votre vie. Vous ne vous sentez pas personnellement menacé, mais vous vous sentez menacé en tant que membre d'une société religieuse. En tant que musulman on serait en quelque sorte toujours menacé.

Vous auriez vu la police interroger des hommes dans la mosquée, parce que leur épouse portait le foulard. Vous voulez que votre future épouse porte le foulard.

Vous n'êtes pas d'accord avec la politique actuelle de votre pays.

Force est cependant de constater que le conflit armé au Kosovo s'est terminé en mai 1999 et les troupes fédérales yougoslaves se sont retirées de ce territoire, de sorte que la crainte d'être obligé de participer à une guerre n'est plus justifiée.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d'insécurité à cause de vos croyances religieuses. Vous déclarez cependant que vous n'avez pas personnellement subi des persécutions.

Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (..) ».

2 Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 13 juillet 2000 s’étant soldé par une décision ministérielle confirmative du 26 juillet 2000, Monsieur RASLJANIN a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de rejet des 2 juin et 26 juillet 2000 par requête déposée le 17 août 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre une violation de la loi, sinon une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par lui soumis ne seraient pas de nature à fonder dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution.

Il soutient en premier lieu que l’insoumission devrait être admise comme pouvant fonder une crainte légitime de persécution dès lors que l’attitude de la personne visée est dictée par des raisons politiques et de conscience, voire lorsque son comportement est perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et donc comme l’expression d’une opinion politique. Il expose à cet égard avoir refusé d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves alors qu’en tant que musulman pratiquant, sa religion lui interdirait « de tuer qui que ce soit » et qu’il ne pouvait accepter, en tant que musulman originaire du Monténégro, de faire partie de cette armée qui était responsable de nombreuses exactions condamnées par la communauté internationale, notamment à l’encontre des musulmans au Kosovo, et de devenir « l’outil répressif » au service d’une autorité poursuivant une politique d’épuration ethnique sur base de considérations xénophobes. Il affirme qu’en cas de retour dans son pays d’origine, son insoumission risquerait d’être sanctionnée moyennant une condamnation pénale militaire de la part des autorités militaires serbes d’une sévérité disproportionnée l’exposant à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude, mais également de sa confession musulmane, de manière à constituer un acte de répression à caractère politique intolérable au sens de la Convention de Genève.

Le demandeur fait valoir en outre l’absence dans son chef d’une possibilité de fuite interne sur le territoire yougoslave, voire plus particulièrement dans la province du Kosovo. Il soutient qu’étant donné qu’il ne parlerait pas la langue albanaise mais seulement le serbo-

croate, l’administration civile en place au Kosovo ne pourrait pas lui assurer une protection suffisante. Il renie pareillement l’existence d’une protection suffisante en sa faveur dans sa région d’origine située en plein territoire serbe, partant dans un « environnement orthodoxe, respectivement serbe ».

Le demandeur avance enfin avoir été victime « d’actes que l’on peut retenir comme des actes de persécution du fait de la religion » dans le cadre de sa scolarité, à savoir d’avoir été empêché de suivre les règles du Ramadan et d’avoir été amené à visiter des monastères, mais jamais des mosquées.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’insoumission ne constituerait pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié politique et qu’il n’y aurait eu, ni vers le mois mars 1997 quand le demandeur a quitté son pays, ni à l’heure actuelle, aucun conflit auquel il aurait pu se soustraire pour des motifs de conscience valables. Quant au moyen du demandeur tiré de son appartenance à la religion musulmane, le représentant étatique relève que la référence à la seule situation générale dans le pays et la simple 3 appartenance à une minorité religieuse ne justifieraient pas à elles seules la reconnaissance du statut de réfugié politique. Il ajoute que les faits invoqués quant à la pratique religieuse lors de la scolarité du demandeur constitueraient tout au plus une discrimination, mais pas une persécution au sens de la Convention de Genève.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

L’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Dans la mesure où le demandeur fonde son moyen tiré de son appartenance à la communauté religieuse sur la seule situation générale dans son pays d’origine sans démontrer concrètement un risque de subir personnellement des persécutions, hormis les faits situés à l’époque de sa scolarité qui ne sont pas de nature à établir dans son chef une crainte actuelle de persécution, les développements afférents du demandeur ne sont pas de nature à énerver la validité de l’appréciation ministérielle des mérites de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique.

Il s’ensuit que le recours doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

4 PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 décembre 2000 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12241
Date de la décision : 20/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-20;12241 ?

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