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20/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12237

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 décembre 2000, 12237


Numéro 12237 du rôle Inscrit le 14 août 2000 Audience publique du 20 décembre 2000 Recours formé par les époux … et … IBROVIC-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12237 du rôle, déposée le 14 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

onsieur … IBROVIC, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, et de son épouse, Ma...

Numéro 12237 du rôle Inscrit le 14 août 2000 Audience publique du 20 décembre 2000 Recours formé par les époux … et … IBROVIC-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12237 du rôle, déposée le 14 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … IBROVIC, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, et de son épouse, Madame …, née le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 juin 2000, leur notifiée le 17 juillet 2000, portant rejet de leur demande en octroi du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 novembre 2000.

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Le 16 juillet 1998, Monsieur … IBROVIC, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, et de son épouse, Madame …, née le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs …, né le 3 juin 1985, …, né le 4 novembre 1987, et…, née le 8 novembre 1996, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux IBROVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux IBROVIC-… furent entendus en date du 2 mars 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Le ministre de la Justice informa les époux IBROVIC-…, par lettre du 7 juin 2000, notifiée en date du 17 juillet 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo le 10 juillet 1998 pour arriver au Luxembourg le 16 juillet 1998 vers 16.30 heures.

Monsieur, vous exposez avoir peur des Serbes à cause de vos opinions politiques et de votre religion.

Vous expliquez avoir été maltraité par la police serbe notamment par un policier s'appelant MICUNOVIC. Il aurait mis un pistolet sur la tête de vos fils. Vous auriez été frappé par trois policiers serbes en janvier 1998 de sorte que vous étiez blessé.

Vous auriez aussi peur des Albanais, sans avoir reçu des menaces concrètes.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous indiquez ne pas avoir eu de problèmes avec les Albanais.

Force est de constater que l'armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l'origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l'égide des Nations Unies, s'est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l'autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l'Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l'entrée des forces internationales sur le territoire.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d'un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d'origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 7 juin 2000, les époux IBROVIC-… ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 14 août 2000.

2 L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par eux soumis ne seraient pas de nature à fonder dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution. Ils précisent être originaires du Kosovo et appartenir à la minorité ethnique des Bosniaques, ne parlant pas la langue albanaise, exposée à des persécutions de la part de « l’écrasante majorité » de la population albanaise du Kosovo, cette réalité étant « rappelée par de nombreux écrits ». Ils ajoutent que le demandeur … IBROVIC exerçait la profession de musicien au sein d’un groupe qui fut souvent conduit à jouer des chansons tchetniks, partiellement lors de prestations retransmises à la radio ou à la télévision, et en déduisent un risque que cette activité pourrait être interprétée par les Albanais du Kosovo comme acte de complicité avec les Serbes. Ils entendent enfin voir rejeter comme non pertinente l’argumentation ministérielle renvoyant au retour volontaire au Kosovo de centaines de milliers de personnes après l’arrivée des forces armées internationales en renvoyant aux particularités liées à leur appartenance ethnique et l’activité professionnelle du demandeur … IBROVIC, ainsi qu’à l’incapacité de l’administration civile en place d’éviter de nombreuses exactions de la part de la communauté albanaise.

Le délégué du Gouvernement rétorque que les Albanais du Kosovo ne pourraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que le demandeur ne prouverait pas que les forces armées internationales encourageraient d’éventuelles exactions ou seraient dans l’impossibilité d’offrir une protection appropriée aux non-Albanais. Il estime qu’il serait fort improbable que le groupe musical du demandeur ait joui d’une popularité telle que les Albanais du Kosovo verraient en lui un complice des Serbes. Il ajoute enfin que la référence faite par les demandeur à la situation générale régnant au Kosovo serait insuffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la 3 valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

Le risque de persécutions de la part de la majorité albanaise du Kosovo, dont se prévalent les demandeurs, revient en substance à faire valoir des persécutions de la part d’un groupe de la population à leur encontre et d’un défaut de protection de la part des autorités de leur pays d’origine face à ces actes de persécution.

Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir la majorité ethnique des Albanais commettre des actes de violence à leur encontre, mais restent en défaut d’établir concrètement l’existence de persécutions systématiques à l’encontre de la minorité ethnique dont ils font partie et l’incapacité caractérisée des forces onusiennes et de l’administration civile actuellement en place de leur assurer une protection adéquate en cas de retour.

Les demandeurs restent encore en défaut d’établir concrètement dans quelle mesure l’activité du demandeur … IBROVIC au sein d’un groupe musical serait, à travers sa renommée et l’image politique ou ethnique y attachée, de nature à entraîner pour eux un risque accru de persécutions.

Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, 4 condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 décembre 2000 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12237
Date de la décision : 20/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-20;12237 ?

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