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20/12/2000 | LUXEMBOURG | N°12209

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 décembre 2000, 12209


Numéro 12209 du rôle Inscrit le 7 août 2000 Audience publique du 20 décembre 2000 Recours formé par Monsieur … BAHOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12209 du rôle, déposée le 7 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BAH

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Numéro 12209 du rôle Inscrit le 7 août 2000 Audience publique du 20 décembre 2000 Recours formé par Monsieur … BAHOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12209 du rôle, déposée le 7 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BAHOVIC, né le … à …(Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme non fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 novembre 2000.

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Le 25 juin 1998, Monsieur … BAHOVIC, né le 8 décembre 1975 à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur BAHOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur BAHOVIC fut entendu en date du 16 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur BAHOVIC, par lettre du 2 juin 2000, notifiée en date du 7 juillet 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Pec/Kosovo en voiture le 23 juin 1998 en direction de Luxembourg, où vous êtes arrivé dans la nuit du 25 juin. Vous affirmez avoir choisi le Grand-Duché, parce que c'est « un petit pays riche ».

Vous déclarez avoir fait le service militaire en 1994/1995 à Belgrade et avoir tout de suite après servi comme réserviste pendant 37 jours. Depuis 1995 vous n'avez plus reçu de convocation à la réserve, mais vous avez toujours été craintif d'un nouvel appel, étant donné que vous avez entendu d'un ami policier que la police serbe recrute des réservistes et qu'elle se présente directement au domicile des gens. Vous précisez que pendant le service militaire, en tant que musulman, vous avez dû endurer de nombreuses agressions de la part des soldats serbes qui vous ont traité de « Turque ». Vous déclarez ne pas avoir quitté le pays à cette époque parce que vous n'avez pas eu les moyens financiers nécessaires et parce que vous avez cru que la situation allait s'améliorer.

Comme raison de votre fuite du Kosovo vous invoquez la crainte d'être appelé à la réserve en précisant que vous n'avez plus envie de servir comme réserviste. Ce refus provient du fait que vous n'êtes plus prêt à subir une nouvelle fois les mauvais traitements vous infligés de la part des soldats serbes en 1995. Vous ajoutez que d'une façon générale les Serbes ne vous ont pas permis de mener une vie normale, que la police serbe vous a contrôlé à plusieurs reprises et qu'elle vous a traité de « Turque » en raison de votre confession musulmane.

Quant aux motifs vous empêchant de rentrer dans votre pays, vous invoquez la présence des Albanais actuellement au pouvoir, tout en précisant qu'en commettant les mêmes atrocités qu'autrefois les Serbes ils vous font peur, peur d'ailleurs liée au fait que vous n'êtes pas Albanais et que vous ne maîtrisez pas la langue albanaise. Par ailleurs, vous déclarez ne pas avoir été membre d'un parti politique et ne pas montrer d'intérêt pour la politique.

Concernant votre premier motif invoqué à l'appui de votre demande d'asile, à savoir le risque d'être appelé à la réserve, force est de constater que l'insoumission, à la supposer établie, n'est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d'asile une crainte justifiée d'être persécuté au sens de l'article 1", A, 2) de la Convention de Genève. Dans ce contexte, il faut souligner que l'année fédérale yougoslave, à l'origine d'un éventuel appel à la réserve, ainsi que les forces de police dépendant des autorités serbes, ont quitté le Kosovo.

Quant à votre peur générale des Serbes et des Albanais, il y a lieu de relever qu'une force armée internationale, agissant sous l'égide des Nations Unies, est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l'autorité des Nations Unies, a été mise en place. Par ailleurs, la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d'asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention.

2 Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet, Monsieur BAHOVIC a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 7 août 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, dans sa teneur applicable au moment de la prise des décisions déférées, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre une violation de la loi, sinon une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par lui soumis ne seraient pas de nature à fonder dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution.

Il soutient en premier lieu que l’insoumission devrait être admise comme pouvant fonder une crainte légitime de persécution dès lors que l’attitude de la personne visée est dictée par des raisons politiques et de conscience, voire lorsque son comportement est perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et donc comme l’expression d’une opinion politique. Il expose dans ce cadre avoir quitté son pays d’origine par crainte d’être appelé à la réserve de l’armée yougoslave et qu’il aurait refusé de réintégrer l’armée suite à « la très mauvaise expérience qui fut la sienne lors de l’accomplissement de son service militaire », en ce qu’il aurait notamment été la victime de propos et d’actes à caractère discriminatoire liés à sa religion musulmane. Il estime que son insoumission serait l’expression d’une attitude de défiance à l’égard du pouvoir yougoslave en place ou du moins susceptible d’être interprétée par les autorités en place comme l’expression d’une conviction politique.

Le demandeur se fonde en second lieu sur sa religion musulmane et sur sa maîtrise de la seule langue serbo-croate pour conclure qu’il serait considéré, en cas de retour au Kosovo, comme faisant partie d’un groupe ethnique minoritaire face à la majorité albanaise de la population, entraînant pour lui un risque de violences de la part de cette dernière. Il ajoute que le fait qu’il a accompli 37 jours de réserve au sein de l’armée yougoslave, fait rare pour un musulman, pourra être interprété par les Albanais du Kosovo comme signe d’une « attitude par laquelle [il] s’est rendu complice des exactions commises par les Serbes lors du conflit armé dans la province du Kosovo » et devrait partant emporter dans son chef l’existence d’une crainte légitime d’actes de représailles de la part des Albanais.

Quant aux possibilités d’une fuite interne, le demandeur qualifie d’illusoire toute recherche d’asile en Serbie en raison de sa religion musulmane et affirme que « l’actualité nous renseigne » que la force armée et l’administration civile internationales en place au 3 Kosovo ne seraient pas en mesure d’éviter de nombreuses exactions de la part de la communauté albanaise.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’insoumission ne constituerait pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié politique et renvoie à la présence des forces armées internationales au Kosovo pour réfuter la subsistance d’un risque de persécution de la part des autorités yougoslaves en raison de son insoumission. Il soutient que les Albanais du Kosovo ne pourraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que le demandeur ne prouverait pas que les forces armées internationales encourageraient d’éventuelles exactions ou seraient dans l’impossibilité d’offrir une protection appropriée aux non-Albanais. Quant au service accompli au sein de la réserve de l’armée yougoslave par le demandeur, le représentant étatique relève qu’il a accompli son service militaire à Belgrade en 1994/95 et n’a plus été convoqué à la réserve depuis lors, de sorte qu’un risque de connaissance de ces faits par les Albanais du Kosovo serait improbable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, force est de constater que, suite au départ du Kosovo des forces armées et de police yougoslaves et à l’installation d’une force armée et d’une administration civile sous l’égide des Nations-Unies, un risque de persécution de la part des autorités yougoslaves ne peut en principe plus être admis actuellement. Ainsi, les faits invoqués par le demandeur comme fondant sa peur des Serbes et un risque de persécution de leur part ne sauraient plus justifier à l’heure actuelle une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Le demandeur restant en défaut de faire valoir, au-delà de ses affirmations à caractère général, des raisons précises tendant à établir la subsistance alléguée d’un risque actuel de persécution de la part des autorités serbes dans son chef, ses développements afférents ne sont pas de nature à énerver le bien-fondé de la décision ministérielle entreprise.

4 En ce qui concerne les autres faits en relation avec la population albanaise du Kosovo, il y a lieu de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants). Une crainte avec raison de persécution en cas de retour ne pourrait partant être admise qu’au cas où le demandeur établirait soit un risque réel que cette protection lui serait refusée pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève par les autorités actuellement en place au Kosovo, à savoir les forces armées et l’administration civile sous l’égide de l’ONU, soit une incapacité caractérisée desdites autorités à lui assurer une protection suffisante, preuves que le demandeur reste cependant en défaut de rapporter à suffisance de droit.

Dès lors que le demandeur reste en défaut d’établir une crainte légitime de persécutions dans son chef en cas de retour au Kosovo, ses moyens en relation avec l’impossibilité d’une fuite interne doivent être écartés.

Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 décembre 2000 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12209
Date de la décision : 20/12/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-12-20;12209 ?

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